Les Michelines en Belgique
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Dans notre numéro du 23 A vril dernier nous
avons consacré un article a la question des
Michelines, voilures automotrices qui remplacent
déja avantageusement les trains sur quelques
lignes stcondaires en France.
Nous annoncions également d nos lecteurs la
reproduction d'un article, traitant le même sujet,
paru dans l'Echo de la Bourse du g A vril
dernier. Uabondance des matières ne nous a pas
Permis de donner en temps voulu ce remarquable
article, mais vu son grand intérét et les ren
seignements si délaillès qu'il contient, nous nous
Jaisons un plaisir de le reproduit e ci dessous
UNE CONFÉRENCE DE M. BOURDON
DEVANT LA SOCIÉTÉ BELGE
'DES INGÉNIEURS ET DES INDUSTRIELS
Les Michelines ont été présentées mer-
-credi soir aux techniciens beiges par M. Bour
don, directeur de la maison Michelin, de trois
manières a la fois. D'abord sous les espèces
d'une réduction du jeune et célèbre véhicule,
portant la marque des usines Minerva, qui ont
regu licence de la construction pour notre
pays. Ensuite grace a un film extrêmement
intéressant mcntrant les diflérentes expé
riences qui ont été faites en France, agrémen
té de diagrammes parlantsetde dessins animés
et par endroits humoristique. Enfin, paria
parole de M. Bourdon, conférencier disert et
agréable, témoin de la laborieuse naissance
des Michelines» et de leur rapide fortune.
Cette triple présentation a eu beaucoup de
succès. ElléVest faite devant un auditoire trés
nombreux, au point que la grande salie de
1'Hotel Ravenstein s'est trouvée trop. petite.
Nous ne pouvons songer a reproduire d'un
bout a l'autre cette causerie qui, par endroits,
servait de commentaire au film cinémato
graphique. Nous nous efforcerons simplement
d'en extraire le plus de renseignements-possi-
bles susceptibles d'intéresser a la fois les
techniciens et le grand public.
La Micheline est une automobile sur
rail. Non pas une automobile munie de roues
de chemin de fer, mais pourvue de ses ban
dages pneumatiques.
Première question que posent les techni
ciens comment cette voiture est elle calée
sur rails D'une manière extrêmement simple.
Les bourrelets que porte le bandage d'acier
de nos rou.s de chemin de fer est constilué
par le débordement d'un disque d'un flas-
que d'acier accolé a la roue de manière a
dépasser le pneu d'environ 18 millimètres sur
toute sa circonférence. Cela suffit évidemment
pour que la voiture ne déraille pas.etle système
s'est montré efficace aux grandes vitesses com-
me dans les aiguillages les plus compliqués.
Léger correctif, le bord du disque est garni
d'une bande de caoutchouc maintenue en place
par un artifice de construction. II n'y a done
pas de frottements d'acier sur acier quand le
véhicule roule: marche absolument silencieuse.
Seconde question qu'arrive t il en cas de
crevaison Cette question n'a qu'un trés faible
intérét. Depuis 1929, plus de 200.000 kilomè-
tres ont été parcourus en essais divers, sans
autres crevaisons que celles qui été provo
quées pour des expériences. Au surplus, lé
pneu de la Micheline est muni d'un dispo-
sitif intérieur qui limite l'écrasement a 1 centi-
mètre en cas de dégonflement.
Ces questions préalables élucidées, il im
porte de connaitre le caractère véritable de la
Micheline Ce n'est pas, comme on le croit
,généralement, un véhicule de chemin de fer,
un wagon muni de bandages pneumatiques.
C'est une voiture automobile roulant sur rails.
Les premières expériences faites dès 1929 par
l'usine Michelin de Clermont Ferrand ont en
effet démontré que le problème du pneu sur
rail est avant tout un problème de véhicule.
Pour le résoudre, il a fallu sans doute con-
struiredes pneus spéciaux munis d'un disposi-
tif de calage, mais il a fallu surtout établir un
véhicule exactement adapté au service qu'il
devait fournir, avec un poids maximum, des
ressorts appropriés, un longueur convenable,
et toutes les précautions nécessaires pour
éviter le galop
La question du poids a été, si l'on peut
dire, une pierre d'achoppement. Pour suppor
ter un poids de cinq tonnes, il faut deux pneus
jumelés de 10 pouces voila ce que l'expérien-
ce enseigne chaque roue supportant 5 ton
nes par exemple les roues d'un camion de
20 tonnes brutes - repose done sur le sol sur
une largeur de 52 cm. Dans ces conditions,
un pneu reposant sur un rail de six centimè-
tres de largeur pratiquement 55 millimètres
a cause de l'effacement des bords ne peut
porter que 35o kilos, soit 700 kilos par essieu.
Grace a la construction spéciale du pneu, la
maison Michelin a réussi a porter ce poids au
double 1,400 kilos par essieu. Mais c'est
actuellement le maximum de ce qui est pos
sible. Conséquence les plusgrandes Miche
lines actuellement construites, pour trans
porter 24 personnes, sont pourvues de 5
essieux elles pèsent six tonnes en ordre de
marche.
Tant qu'on roulera sur les rails actuels, et
tant qu'on n'aura pas découvert autre chose
que le caoutchouc pour fabriquer des pneus,
il est done inutile d'espérer que les Miche
lines puissent servir aux transports pondéreux.
C'est pour cela qu'elles se présentent non
comme le succédané, mais comme l'auxiliaire
du chemin de fer.
Elles ont des qualités de souplesse extra
ordinaire. Grace a leur légèreté relative, et
surtout g-ace a l'adhérence extraordinaire du
caoutchouc sur le rail cette adhérence est
triple de celle de l'acier elles démarrent
et freinent trés «rapidement. Au bout de 3oo
mètres en palier, elles atteignent une vitesse
de 60 kilomètres a l'heure elles démarrent
trés;, facilement sur une rampe de 3o millimè-
itres L'arrêt com plet est obtenu au bout d'un
nombre de mètres égal a la vitesse horaire en
kilomètres c'est ainsi qu'une Micheline lan
cée a. 70 kilomètres a l'heure, s'arrête sur 70
mètres. En fait, on a déja obtenu des freinages
plus rapides il y a de la marge.
Les Michelines actuellement en service en
France notamment sur la ligne Charleville-
Givet arrivent pratiquement a une vitesse
de train express tout en faisant le service d'un
omnibus elles font, en 57 minutes, les 64
kilomètres qui séparent ces deux gares, y
compris six arrêts d'une minute chacun cela
représente une vitesse moyenne de 68 kilomè
tres a l'heure.
Ces chiflres s'appliquent a des voitures
munies d'un moteur Panhart de 22 CV. de
puissance fiscale, mais qui développè réelle-
ment prés de go CV. Ainsi équipées, elles
atteignent la vitesse de 120 km heure en palier,
avec 24 personnes. Au cours d'expériences an-
térieures, cette vitesse a été largement dépas-
sée avec d'autres moteurs sans que la stabilité
du véhicule en souffre. Les expériences se
poursuivent le problème de la vitesse de
120 kilomètres est considéré comme résolu
c'est le maximum autorisé par les règlements
sur les réseaux frangais - et l'on s'attaquera
ultérieurement aux i5o kilomètres.
Pour ce qui est de la capacité de transport,
des réalisations nouvelles ont été accomplies
depuis la mise au point de l'actuelle Micheline.
Dès maintenant, on peut considérer comme
résolu le problème du transport de cinquante
voyageurs dans une seule voiture.
Nos lecteurs sont suffisamment au courant
des différentes données du problème des
transports sur rail pour que nous ne nous
étendions pas sur les applications nombreuses
dont le nouveau véhicule est susceptible. La
première qui vient a l'esprit, c'est que la
Micheline remplacera comme le font déja
maintenant les voitures auto-motrices a vapeur
ou a Diesel les convois complets qui ciircu-
lent a grands frais sur les lignes secondaires.
Elle pourra également, comme cela se fait
actuellement en Italië, accompagner les ex
press en leur amenant les voyageurs recueillis
dans les petites gares. Elle sera précieuse
pour desservir pendant la saison les cités bal-
néaires. On prévoit enfin une large utilisation
aux'Colonies, oü se trouvent le plus souvent
des voies d'exploitation difficile.
Les personnes qui ont participé aux essais
des Michelines en France nous en avons
rencontré a la conférence d'hier soir sont
unanimes a vanter le confort extraordinaire
du nouveau véhicule. A 90 kilomètres k
l'heure, nous disait un professeur de l'Univer-
sité de Bruxelles, j'ai pu écrire dans une
Micheline, moi qui ne suis même pas capable
de lire mon journal dans une voiture de che
min de fer Pas de bruit, pas de secousses.
Les techniciens ajoutentet pas d'usure de la
voie ce qui se comprend a la fois a cause
du bandage de caoutchouc et par suite de la
légèreté relative de la voiture. lis font obser
ver aussi que la rapidité du freinage permettra
aux Michelines de circuler a 200 mètres
environ l'une de l'autre sans être couvertes
par des signaux
Mais la question capitale pour le grand pu
blic, c'est le confort. Ce fut d'ailleurs le point
de départ des essais de la firme Michelin En
1928, M. André Michelin avait passé une trés
mauvaise nuit en wagon lits. Et tout en comp-
tant les bouts de rail au lieu de dormir, il se
disaitSi l'on pouvait mettre des pneus a
ces roues si bruyantes... Le lendemain, il
écrivait une lettre a son frère. Quelques
mois après, l'usine de Clermont Ferrand se
mettait au travail,., après quelques protesta
tions du personnel technique qui considérait
cette idéé comme romantique.
Ces souvenirs authentiques de la naissance
des Michelines ont rappelé a M. Bourdon
une anecdote qui a fortement diverti l'auditoi-
re. En 1925, après la course automobile Paris-
Bordeaux, oü le vainqueur avait fait 25 kilo
mètres a l'heure, il y eutliatuiellement un ban
quet au cours duquel quelqu'ün porta un toast
au construe eur qui atteindrait le premier le
cent kilomètres a l'heure. Le voisin de table
de M. Bourdon se pencha 5 son oreilie et lui
ditC'est malheureux, dans tous les ban
quets, il y a tou jours un type qui a trop bu et
qui se léve pour dire des bêtises...» Cinq ans
après, les voitures de sport faisaient du cent.
L'idée de faire circuler sur rail des voitures
a pneus n'était pas plus folie, bien qu'un jour
nal parisien ait écrit en 1924, en évoquant
cette idéé comme une utopie C'est de la
folie pure
Voila done les Michelines» lancées dans
la circulation, et ofïrant aux voyageurs un
confort insoupgonné. La meilleure vote ferrée
a des défauts Les lignes ferrées sont toutes
des fausses-plates, dit M. Bourdon, exacte
ment comme nous disons de certaines femmes
que ce sont des fausses maigres C'est bien
vrai, et le public qui prend place dans les
voitures de chemin de fer s'en rend compte
tout de suite. La voiture montée sur pneus,
selon l'expression célèbre, boit l'obstacle,
et... ne compte plus les bouts de rail.
Existe t il un instrument qui permette de
mesurer le confort? M. André Michelin pósa un
jour la question a un grand savant frangais.
Voyons, lui dit il, vous devez certainement
posséder un dynamométre, un vibromètre, un
sismographe quelconque qui mesure le confort
dans les véhicules Certainement, répondit
le savanteet instrument existe, et j'en ai un
exemplaire il se trouve la, au bas de mon
dos...»
C'est pourquoi l'on fera bien, pour se docu-
menter sur le confort des voitures, de se ren-
seigner auprès des voyageurs, car ils possè-
denttous le sismographe en question. Et tout
ce que disent ou prétendent les fonctionnaires
des compagnies de chemin de fer c'est nous
qui l'ajoutons incidemment ne signifie rien
a cöté des constatations de eet instrument