de déplacements, de loyer et d'entretien). Les
coopératives qui ont tout dépensé, qui ont
épuisé leur fonds de prévision, ne sont pas
taxées mais celles qui ont géré avec une
parcimonie sans exemple, le sont
C'est invraisemblable, mais cela est
Les coopératives ont parfaitement le droit
de répartir entre leurs membres le reliquat au
prorata des contributions pergues (i p. c., sur
le montant de l'indemnité), ce ne serait qu'une
simple restitution partielle. Mais la plupart
des coopérateurs s'opposent a cette répartition
et abandonnent, dans un beau geste, les parts
q.ui leur revienner.t, sans aucun doute a des
oeuvres philanthropiques ou a la Fédération,
done a l'Etat.
Et l'Etat, oubliant que la grande majorité
des administrateurs et commissaires ont
exercé leurs mandats sans indemnité aucüne,
ont collaboré gratuitement a la restauration
des régions dévastées, perdant de vue le gran
diose travail accompli par cette élite en son
lieu et place, supprimant la vérité que c'est
grace a l'enthousiasme et au dévouement des
coopératives qu'il a pu concracter successive
ment tiois emprunts d'un milliard que le
public lui aurait lefusés sans elles, taxe et
surtaxe
Nous laissons aux lecteurs le soin de
conclure. (Journal de Bruges),
SOUVENIRS DB QUBRRE
Darss» Sa Eaurnaise C3!«acée
Ypras sjprès i'ifnscerodïe
Poperinghe, 25 Novembre igii-
Je les avais vues si belles eet été, les cam
pagnes des Flandres, avec leurs arbres char
gés de fruits et leurs houblonnières, profondes
et mystérieuses, pareilles a des forteresses qui
auraient été envahies par la verdure, si touf-
fues qu'en nul endroit on ne distinguait leur
squelette, si élevées, si larges, si solides que,
de loin, on pouvait s'imaginer qu'a l'inté-
rieur il y avait des salles et de longs corridors,
et des escaliers monumentaux pour atteindre
la terrasse. Et voila qu'elles ont disparu A
leur place, il n'y a plus que de hauls et mai-
gres espaliers dégarnis, semblables aux écha-
faudages noircis d'une construction qu'on ne
se résoudrait pas a entreprendre et, formant
au pied de chaque fut un petit tas qui se
réduit un peu plus tous les jours, les lianes
qui ont glissé du sommet a la base, entre-
lacées, nouées et sèches. C'est le seul vestige
de l'opulence verte de eet été.
Aussi loin que le regard peut porter, on ne
découvre que de ces espaliers noirs qui ont
l'air menagant d'immenses pièges. Les grives
et les étourneaux qui émigrent, les bandes de
corbeaux qui tournoient, ne s'y posent pas.
Üe'ci de-la,'une haie sombre, des arbres
sombres et, sur le sol, la nt-ige, non pas
cette neige épaisse et molle qui emmitouile
la terre, assourdit les bruits et rend gai, mais
une neige avare et rude qui laisse voir la
crête des mottes, la pointe des herbes et qui
n'est pas paqvenue a combler les sillons. La
terre résonne sous les souliers elle est
hostile, elle aussi, comme la mare gelée sur
laquelle vont et viennent des chevaux impa-
tients de boire, comme la petite maison fer-
mée d'oü nulle fumée ne s'échappe, comme
les moulins a vent qui fauchent l'air silencieu-
sement, comme cette brume qui forme a cinq
cents mètres de vous un mur qui arrête
implacablement le regard. Oü que l'on aille,
ou que l'on s'arrête, elle est la, cette brume,
tenace, immobile, et la bise qui cingle ne peut
soulever son rideau derrière lequel, sans
discontinuer, ronfle la canonnade. Durant le
jour, étalée sous un ciel bas qu'éclaire dure-
ment une lumière nickelée, fausse et fuyante,
le pays a un aspect de haine contenue qui
vous étreint.
La nuitAh la nuit, c'est une autre
chansonII n'y a plus de brume, les erodes
sont astiquées et clignotent, les routes cris
sent et résonnent sous l'immense serpente-
ment des convois et le canon tonne a ce point
que dans la ferme oü l'on m'a cantonné les
rnurs en sont ébranlés.
A certains coups, on jurerait que ma tenê-
tre est poussée par une main invisible qui
voudrait forcer ma retraite a certains
autres, c'est la fenêtre de la chambre voisine
qui s'agite tandis que la mienne reste au
repos. La maison semble fléchir a chaque
instant c'est comme si nous avions au des-
sus de nous une bande d'endiablés qui dan
seraient silencieusement et bondiraient en
cadence.
Soudain, a l'éclateinent d'une bordée, voi
la qu'une pendule se met a sonner
J'écoute attentivement sije perqois, dominé
par les maitres fracas de l'artillerie, le crépi-
tenrent de la fusillade qui, d'ici, me fait son
ger au bruit régulier et mat que rendaient les
grains de poudre dont nous parsemions les
cendres chaudes du foyer, quand nous étions
enfants. Que c'était charmant, ce jeu de la
petite guerre sous le manteau de la cheminée
et que ce souvenir m'était done bienfaisant, a
cette heure oü tout ce qui faisait notre intimi-
té plus serrée et plus précieuse, oü l'ancien
charme de notre vie, s'était évaporé, oü une
terre nouvelle défrichée, labourée, amendée
de notre meilleur sang, s'ensemengait de grai-
nes nouvelles
Jadis, dans mon esprit, la Patrie n'avait
pas l'aspect qu'elle a subitement revêru. Je
me la repiésentais tantöt grave, tantöt aima-
ble, mais toujours un peu débonnaire. Je ne
m'imaginais pas qu'elle pourrait se lever du
ti one ou elle était assise depuis si longtemps,
je ne m'imaginais pas qu'elle ouvrirait les bras
pour nous enfermer dans une seule étreinte.
Je ne doutais pas d'elle, mais comment
dire je croyais qu'elle s'était déshabituée
des grands gestes et qu'elle avait perdu le
goüt des grandes épopées.
Elle est si belle, aujourd'hui, tendue, sou-
ple, alerte, frémissante.... Je la vois ainsi,
dans ce Nord, sur un sol qui n'est pas le sien,
mais oü elle est plus belle encore qu'enfer-
mée dans ses frontières, et j'ai revu la piètre
et fausse image que je m'en faisais hier,
il y a trois mois, il y a une éternité, avant que
je ne parcoure les champs oü l'on fait de
l'Histoire et de l'Avenir.
Dans cette ferme des environs de Poperin-
ghe, c'était le même crépitement de poudre
que j'avais entendu tout enfant et qui me
revenait a travers l'espace glacé et les murs
de mon logement de fortune, si méticuleuse
ment propre et si pacifique, avec ses murs de
fin papier gris, son lit Restauration, son
éJredon de perse, ses cadres de gravures
saintes et de photographies, accrochés haut
et desquels pendaient des chapelets d'oeufs
de perdrix et d'oeufs de caille.
Sans la canonnade, je ne me serais pas ciu
au seuil de cette effroyable mêlée dont aucune
expression, dont aucun discours ne pourra
donner une idéé paree que, pour représenter
un objet nouveau ou une situation nouvelle,
il faut avoir recours a une image et qu'il n'y
en a pas. Ce sont les étapes mêmes de
cette guerre qui, plus tard, serviront d'image.
Le canon continuait de ronfler il y avait
de toutes les voix, lancées a toutes les
distances, bénignes comme le roulement d'un
orage qui ne montera pas ou gonflées,
pathétiques, grandioses, ou nettes et déchi
rantes et furieuses.
Maintenant, les éclatements se dédou-
blaient, c'est-a-dire que le premier préparait
le second, qui survenait, lui, plus impérieux,
plus prolongé, et ma fenêtre s'agitait d'une
autre facon la main invisible ne se conten-
tait plus de la pousser une fois, elle la
secouait.
II ne fallait plus songer a dormir je me
lev ai pour regarder dehors. L'horizon f
rait et, par cette nuit glaciale, enceM^
cette campagne blanche de neicp ant
b c etait
extraordinaire, un prodigieux oraoP a n
i ui- -a °ntle?
eclairs blemes, rapides, courts et ]0'
ne correspondaient pas au lracas sa
sataSie
entier
qui semblait couvrir le monde
l'ébranler.
Et, soudain, en me retournant
qu'une partie de l'horizon était embrasée
C'était du cöté d'Ypres...
Ypres était en Hammes 1
Alors, je songeai aux villes que j'a
je vis
J ava's déja
vues biüler et mon cceur se serra. La cano
nade pouvait continuer, je ne l'écoutais plUs
Le lendemain, des rémgiés nous apprirei)j
qus les Halles brülaient, que la Cathedral
prenait feu, que les obus incendiaires tom
baient sur les maisons de la Grand'Place et
qu'ils se rapprochaient du petit musée de la
tóoucherie....
Une nouvelle cité martyre s'inscrivait dans
le livre des fastes barbares de ig 14.
Les réfugiés devinrent plus nombreux ils
arrivaient a Poperinghe, portant leur petite
fortune sur leur dos ou la trainant dans une
voiture a bras, et ils allaient droit a une
maison, sans hésiter, comme si depuis long
temps ils s'étaient concertés pour s'abattre la
quand le fer et le feu auraient détruit 'leur
demeure.
Et ils s'y abattaient comme de vrais migra-
teurs a bout d'ailes.
Aussitöt, l'hótesse improvisée faisait du
café on s'asseyait autour du poêle, qui est
un four a tout faire, entretenu, soigné, brosse
comme un animal de sang et, sans grande
fagon, sans avoir l'air de parler d'une chose
exceptionnelle, absolument comme s'il s'agis-
sait d'un banal événement de la vie couranie,
le chet de familie commengait a rapporter
leur aventure... Aventure ne convientpas:
pour eux, ce n'est plus une aventure que de
passer a travers les balles, que d'éviter le pan
de mur qui s'effondre, que de risquer vingt
fois d'être tué cela se narre sans mine et
sans ménager ses effets. On en discute avec
simplicité, avec candeur, comme si, durant
toute la vie, on n'avait fait que cela, comme
si on n'avait été créé que pour cela,
Pendant ce temps, la femme, qui sans rien
dire avait examiné les angles de la pièce,
s'était levée, était allée dans un coin, avait
placé son métier sur ses genoux, s'était
installée commodément aussitöt Ie clair
bavardage et le jeu rapide des fuseaux avaient
commencé.
Pendant què le canon grondait, i'ai vu des
denteliières qui travaillaient sans perdre un
lacis des yeux, tandis que l'hótesse parlait
doucement, comme si elle avait récité une
cantilène.
Ah les braves gens que j'ai recontrés ici 1
Le lundi soir, 23 novembre, de ma chambre
des champs, je vis encore l'horizon rouge.
Ypres continuait de brüler
Le mardi, l'ennemi bombardait encore avec
tant de violence qu'il ne nous fut pas possible
d'entrer dans la ville. II pleuvait, il tombaitde
la neige... C'était un temps fait pour pleurer
sur l'agonie d'une ville.
Enfin, le mercredi matin, nous avons Pu
aborder la Cathédrale elle n'a plus de toitu-
res sa tour et ses murs sont écrêtés, écorneSi
labourés... A ses pieds, le fer et le feu on'
ravagé les maisons qui s'abritaient dans son
ombre...
Mais, a cette seconde, un autre désastre
surgit devant nous, un désastre d'une noblesse
déchirante, d'une tenue, d'une ligne insoup
gonnée c'est celui des Halles de Baudouiö
'ssenh
crois
et
de Flandres Telles qu'elles m'apparai
du coin de la rue d'Elverdinghe, je
avoir devant moi une réplique assombrie
matée du palais des Doges. La fine tour
de l'Ouestest debout, le gros beffroi, ^cor^j!
défoncé, tient toujours, mais le haUt