Mercredi d Avril 1899
10 centimes le N°.
84e Année. N° 3431
Affaire Dreyfus
Le crime de Lille
Une parole du Saint-Père
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Le Figaro doone la fin de la deposi
tion de M. Cavaignac.
M. C-avaignae s'explique sur le
bordereau. II expose qu'au printemps
de 94 on sut au ministère de la guerre
qu'un officier de l'dtat major livrait
des secrets. Un grand nombre d'offi-
ciers furent surveillés. ües soupcons
sur Dreyfus prirent naissance uon au
bureau des renseiguements, mais au
4e bureau, oil I on recounut lecfiture
du bordereau sur une feuille de notes.
Les soupcons se portèrenl sur Drey
fus. Quinze jours après on découvrait
le bordereau.
M. Cavaignac fait remarquer que
M. Picquarl n'a érois aiicuu doutesur
lauthenticite du bordereau.
Dans la seance du 10 Novembre,
sur luiterpellation du president, M.
Cavaignac dit qu'il lui est impossible
d'indiquer par quelle voie le borde
reau arriva dans les mains de Henry,
pour ne pas divulguer ce que 1 on
appelle la voie ordinaire et le nom de
l'agent. II dit cependantque le borde
reau arriva en fragments avec d'autres
pièces.
M. Cavaignacestimc qu'il est impos
sible que le bordereau ait été fabriqué
par Henry, car Henry ne connaissait
pas les secrets essentiels de letat ma
jor.
Sur unedemande du president, M.
Cavaignac dit qu'antérieurement a
l'arrivée de Dreyfus au ministère de la
guerre, il y a eu des fuites au mini
stère, mais pas a l'état major.
Le bordereau désigne lui même son
auteur comme étant un officier d'artil-
lerie. Or, Dreyfus pouvait connaitre
les renseiguements énumérés.
M. Cavaignac declare que les ren-
seignements complémentaires de l'en-
quête prouvent ^existence de relations
criminelles entre un officier de l'état-
major et des attachés étrangers.
M. Cavaignac rappelle ensuite les
circonstances des aveux de Dreyfus,
au sujet desquels il existe deux sour
ces de preuves concordautes. s
L'ancieu ministre conclut que rien,
dans ces renseiguements ni dans les
documents recüeillis.nepourrait infir-
mer la condamnation, qui, au contrai
re, est confirmee.
L'affaire du crime de la rue de la Monnaie
est entrée dans une nouv.elle phase et l'in-
struction va se continuer maintenant devant
la chambre des raises en accusation, hors de
la portée des raagistrats de Lille qui onl si
éirangement cherché k fausser l'opinion pu-
blique.
Et pour que, dans cette première partie
du drame, il n'ait rien manqué k l'odieux,
voici maintenant le sénateur Maxime Le-
comte qui intervient et qui dénonce au garde
des sceaux le Syndicat Flamidienet, k
défaut de ce syndicat qui n'existe que dans
l'imagination surexcitée de ce dreyfusard, les
participants aux souscriptions ouvei tes par
certains journaux de Lille et de Paris, dans le
butd'araener la découverte du véntable cou-
p a tile, cVsl k dire, en réalité, de contribuer
a la recherche de lavériié.
Vous n'ignorez pas, écrit il, les ou
trages déversés chaque jour sur les magis
trals qui, avec indépendance et courage,
font leur devoir. Vous savez que M. Delalé,
juge destruction k Lille, a été appelé,
lortionnaire, barnum du crime, barnum
du cadavre, tou ou criminel Qu'un jour
nal a imprimé Les magistrals qui se
sorit prêtés k de pareilles infamies sont les
derniers des misérables et les plus ignobles
cyniques et Ikches crapules qu'on puisse
imaginer.
Et encore
Quand leur bêiise et leur ignorance
nous jetteiont k la figure Torquemada,
l'écho populaire leur répondra Delalé.
J'ai l'honneur d'appeler également votre
attention sur ce fait que des fonds sont réu- j
nis par voie de sousaription publique dans j
le but de découvrir le véritable coupable j
du crime de la rue de la Monnaie.
J'avais toujours pensé jusqu'ici que c'é- j
tait piécisément la le róle de la justice, dans j
notre pays comme dans tous les autres, et
que ce service social essentiel étaitdoté des
ressources nécessaires, C'est un signe d'a-
narchie assez inquiétarif de voir ainsi les
particuliers se substituer k l'Etat sous le
prétexte d'accomplir mieux que lui les fonc-
lions et les devoirs qui lui incombent.
L'institut des Frères de la doctrine chré-
tienne est puissamment riche et peut subvenir
facilement k la dépense des honoraires des
défenseurs et des eontre-experts, et on doit
supposer que les souscripteurs ou ceux qui
devront employer leurs fonds out un autre
but que de remplacer la congrégation ou la
familie du coogréganiste pour les dépenses
de cel ordre.
Vous croirez sans doute utile de doneer
des instructions pour être suffisamment ren-
seigné sur les agissements du syndicat qui
se charge de l'eaploi de ces fonds de sous-
cription.
Vousjugerez également k propos, je n'en
doute pas, d'aviser de vos renseignements
votre collègue, M. le ministre de l'intérieur
et des cultes car il serait inconvenable et
intolérable que des fonctionnaires publics
prissent part k une action si anormale et si
suspecte. Je vous signale cependant que de
irès nombreux mambres du clergé n'ont pas
hésité k le faire.
Vous aurez, j'en suis persuadé, la volonté
et les moyens de faire tout rentrer dans l'or-
dre, en rendant a la magistrature ce qui lui
appartient, c'est-k-dire en assurant sa com
pléte indépendance et le respect dü k ceux
qui ne peuvent répondre aux suspicions et
aux ouirages et accomplissent honnêtement
la plus haute fonction sociale.
Ce que nous relevons surtout dans la lettre
délatrice du sénateur Maxime Lecomte, c'est
le souci que lui cause la sauscription ouverte
peur découvrir le vrai coupable du crime de
la rue de la Monnaie. Et l'on se demandera
pourquoi
M. Maxime Lecomte peut avoir raison de
dire que c'est un signe d'anarchie assez
inquiétant de voir ainsi des particuliers se
substituer h l'Etat sous le prétexte d'accom
plir mieux que lui les devoirs et lesfonctions
qui lui incombent Mais k qui la faute
Pareille idéé serait elle venue k personne si
l'on avait vu la justice remplir, en efFet, im-
partialement les devoirs et fonctions qui lui
incombent au lieu de s'obstiner k ne diriger
aucune recherche en dehors de la voie oii
tout prouve aujourd'hui qu elle s'est engagée
k faux
A eet égard, il serait par trop facile de
retourner contre M. Maxime Lecomte ce
qu'il ose avancer sans preuves sur la difficul-
té d'une instruction dirigée contre un con-
gréganiste. En réalité, c'est la défense qui
voit sa lache rendue singulièrement difficile
en pared cas. Pour quel autre accusé qu'un
congréganiste, en efFet, aurait on multiplié
ces actes raonstrueux de procédure lortion
naire qu'on a justement reprochés au juge
d'instruction dans la cause
II suit de lk que les catholiques, contre
lesqueiles se tourne toute Faction des forces
de l'Etat, qui devrait leur assurer les garan
ties de tout le monde, sont amends k ne pas
reculer, même devant des moyens extraor
dinair, pour préparer et assurer leur dé
fense. Si l'utilité, k ce point de vue, de la
souscription que nous avons ouverte avait
encore besoin d'être prouvée, M. Maxime
Lecomte, par sa lettre, se serait chargé de
le faire.
(La Vérité.) Auguste Roussel.
Les délégués de la presse calholique ont
été regus par le Souverain-Pontife, Samedi.
Léon XIII s'est adressé aux journalistes
beiges avec toute l'affeclion d'un père. II leur
a exprimé ses tendresses et ses angoisses.Et,
comme un père qui voit ses enfants aux ex-
trêmes limites de la vie, il a tenu k leur dun
ner ses derniers conseils.
Parlant k un de nos confrères de la Ga-
zette de Liége, le Saint-Père s'est écrié
Ah! Liége! Vousêtesdans la lutte.lk-bas;
vous êtes malheureusement divisés. J'ai
appris qu'un socialiste avait été élu di-
manche. II faut combattre les socialistes.
Que taites vous dans ce but
Nous travaillons et nous avons créé
beaucoup d'oeuvres.
II faut s'unir pour les combattre effica-
cement, insiste le Pape.
Et quelques instants après, l'auguste Pon-
tife revenait k la charge, disant
Les eatboliques doivent s'unir et se faire
des sacrifices mutuels. Car, si vous vous di-
visiez, vous ne pourriez pas résister, et le
triomphe des socialistes serait un immense
malheur
Et ensuite encore, tandis que les délégués
lui rendent compte de leur oeuvre, et jusqu'au
moment de l'adieu, c'est toujours l'union que
Léon XIII recommande...
Ce pressant appel, tant de fois renouvelé
par le Vicaire du Christ, sera entendu. Com
ment les catholiques beiges pourraient-ils y
demeurer insensibles
Supposezque des frères, depuis longtemps
brouillés. se rencontrent au chevet de leur
vieux père vénéré. Le vieillard les supplie
de se pardonner leurs griefs réciproques,
d'oublier lout, de faire la paix. Comment ré
sister k cette objurgation Est-il possible
d'hésiter seulement? Ces frères vont ils, tout
en protestant de leur amour pour la con-
corde, défendre leur conduiie, ptouvér qu'ifs
ont eu raison de se hair? L'un atiendta-t il
que l'autre fasse les premières avances?Non!
ils ne discuteront pas, ils ne raisonneront
pas, ils échangeront en pleurant le baiser de
la réconcilialion ils confondront leurs lar-
mes sur le cceur de leur père.
El le plus noble et le plus grand sera non
celui qui a eu le bon bout dans ia querelle,
mais celui qui sera le premier marchó vers
son frère en ouvrant les bras.
Léon XIII est notre Père aussi, Père spiri-
tuel, qui a voué toute sa vie k ses enfants, et
qui, ployé par l'kge, s'incline lentement vers
la tombe. Nous nous sommes rencontrés de
vant lui pour recevoir sa bénédiction, la
dernière peut-être.et nous avons déposé kses
pieds 1'ofFrande des catholiques beiges. Mais
ce père nous demande autre chose, il nous
demande plus qu'un témoignage de généro-
sité. Nous sommes ses fils.et il veut que nous
nous conduisions comme tels, en nous trai-
tant les uns les autres comme des frères.
Prouvons que nous ne sommes pas des en-