L'OPINION, Journal d'Ypres.
clergé tant régulier que séculier de la Flandre. C'est
que Dieu a réservé pour les jeunes gens de eette
nouvelle terre-sainte une vocation toute de faveur
et il fallait bien que les évêques de Bruges pour
planter leur pépinière choisissent une contrée
fertile!
AYpres il en est autrement, car au collége Saint-
Vincent-de-Paul lui-même on faconne peu a l'état
ecclésiastique. Je ne me charge pas de dire le
pourquoi de la difference. Toujours est-il que les
élèves de ce dernier établissement semblent plu
tót accuser des dispositions pour le theatre, car
au dire du Propagateur, outre la bonne tenue
et le bon accent, ils ont une physionomie fran-
che, douce, honnêtè et toujours joyeuse. Voila
une vocation comme une autre. Or! comme toute
vocation vient d'en haut, il ne faut pas y apporter
d'entraves. J'affirme done que le congrès de Ma-
lines a eu tort de decider que Fan prochain le Pro
pagateur ne pourra plus annoncer le programme
du théatre de la rue de Menin, et surtout qu'il de-
vra s'abstenir de donner un compte détaillé de la
représentation.
Quel facheux contretemps! Voyez combien la fête
de mercredi ëtait charmanteUn chceur, qui a
marché avec un aplomb et un entrainemeni admi-
rabies, a ouvertles exercices. L'exécution decette
marche fait le plus grand honneur a l'habile direc
te t,ion de M. Breyne.»
Heureux spectateurs qui avez pu contempler ce
chceur, ouvrant les exercices et marchant avec un
aplomb et un entPainement dignes d'un bataillon de
zouaves
Aussi sont-ils d'accord avec le Propagateur pour
reconnaitre que cette marche fait le plus grand hon
neur a M. Breyne, que je n'avais pas l'honneur de
connaitre, mais qui apparemment est le cousin de
M. Breyne, l'artiste-musicien si favorablement connu
dans les families d'YpresJ'irai aux informations
chez M. le directeur du théatre.
Puis on a donné le drame si émouvant de Vil
ei dac... Plus d'une fois l'émotion a gagné toute la
salie et les applaudissements n'ont pas manqué
aux acteurs.
Voyez, chers parents, quel avenir attend vos en-
fants sur les fraudes scènes de l'Europeavec cette
physionomie tranche, douce, honnète et joyeuse qui
les distingue des élèves de Poperinghe, ils" ont fait
des débuts brillants, couronnés par les applaudis
sements de toute la salie, y compris les abonnés.
Leur bonne tenue et Faplomb avec lequel ils mar-
chent les feront toujours distinguer d'entre tous les
acteurs, leurs rivaux. II faudrait vraiment n'avoir
pas d'enfanls males, pour ne pas coqfier leur édu-
cation artistique aux mains de l'habile directeur du
théatre St-Vincent de Paul.
Pendant qu'un public d'élite s'amusait au spec
tacle, deux orateurs étrarigers la ville donnaient
sous l'auvent de la Concorde une conférence publi-
que et gratuite sur l'importante question de Yunioh
des capitaux avec l'industrie et'le commerce.
En passant par.la j'ai remarqué que l'auditoire
était choisi parmi les grands propriétaires d'Ypres.
J'ai même pu surprendrc quelques paroles de l'un
des orateurs. Je les abandonnerai littéralement a la
discussion sérieuse du journalisme tie la localité
Pour vous prouver, disait l'orateur, que l'union
du capital avec le travail est de l'essence de la so
it ciété moderne, voyez ce qui se passé autour de
vous. Yous possédez dans le cercle étroit de vos
anciens murs une grande richesse territoriale.
-« Mais cette richesse est de sa nature sterile pour
le public. Qu'importe en effet que M. X... possède
dix fermes, ou qu'il en possède cinquante, si, au
lieu d'appliquer l'excédant de son revenu a im-
planter l'industrie dans votre ville, ou a comman-
diter quelque commergant, il le destine a l'acqui-
sition d'une cinquanle-unième ferme? Cela arron-
djra le revenu de M. X... mais, sans aucune utilité
pour la ville. Car les stricts besoins de consom-
cc mation sont et demeureront toujours l'unique dé-
pense des rentiers. Or, chacun sait combien ces
besoins peuvent se restreindre au gré du consom-
mateur.
D'ailleurs que peut devenir une ville qui au lieu
de produire ne fait que consommer Votre bour-
geoisie, si puissante lorsqu'elle se trouvait a la
tête de l'industrie drapière, croupit aujourd'hui
dans i'inaction. Elle cherche dans un débit de
bière ou d'épiceries une triste existence. Elle fait
cc faillite faute de louer unquartier. Lefils dubour-
cc geois dispute au fjls du rentier une place de SOO
cc trancs. II demande d une administration publique
cc une humble retribution, paree que, privé de capi-
cc taux, il se voit réduit au buralisme. Tout se
meurt, tout dort autour de lui; que lui reste.-il,
siüon dedormir? Voyez, dans les centres in-
dustrielscomme la fortune est remuante
comme les millions tendent la main au tra
ce vail, a l'activité, a FintelligenceVoyez même
cc a vos anciennes portes ce que deviennent Pcou-
cc Iers, Iseghem, Roubaix et tant d'autres localités
cc moins importantes que la vötre. Vous avez des
cc canaux, des chemins de fer, des bras, la matière
cc première, et vous voila impuissants Conserven
cc la rubanerie, a fonder une seule fabrique. L'asso-
cc ciation agricole vante les gTaines étrangères, et
cc il 11e se rencontre personne pour en essayer le
cc commerce. Le sang se fige dans les veines de vos
cc enfants, la gêne s'implante chez vousaprès elle
cc viendra la misère, et vous verrez les rentiers con-
cc tinuer leurs emigrations vers les grandes villes,
cc 11 est temps, si les capitaux veulent mériter les
cc faveurs qui les accablent, qu'ils apportent en
cc échange leur appui au travail de la bourgeoisie.
L'association du capital et du travail est la seule
cc sauvegarde contre une déeadence toujours crois-
santé.
Je n'entendis plus les paroles chaleureuses que
l'orateur continua d'adresser a son auditoire, mais
je lus fort préoccupé de celles que j'avais enten-
dues.
Je m'apercois que voila le mois de septembre et
ma chronique n'esl qu'au mercredi 12 aoüt! on l'ac-
cusera d'etre plus oisive que la tortue elle-même.
D'autre part, si elle ne dit rien des quatrc derniers
jours du Tuyndag, on lui reprochera d'etre incom-
plète.
Que faire? M'eXcusant pour cette fois auprès du
lecteur, il ne me reste qu'a supplier l'autorité com
munale de commencer le prochain programme par
le second dimanche, et de nous ordonner de célé-
brer Je Tuyndag a reculons. De cette facon en deux
fois j'aurai parcouru tout le cercle de nos plaisirs.
Nous ëprouvons une vive satisfaction a reproduire
d'après 1 Indépendance beige l'extrait d'un compte-
rendu de l'Exposition des Beaux-Arts ouverle
Bruxelles, paree que nous trouvons, dansles lignes
élogieuses que nous citons, un hommage juste et
impartial rendu au talent de M. Ceriez. Quoiqu'il
soit bien jeune encore, nous connaissons M. Ceriez
depuis quelques années. Ses incroyablesprogrès ne
sont. pas ce que nous admirons lè moins en lui, et
il ne laudra plus longtemps a notre artiste pour as-
seoir déFmi tl vemen t sa naissante reputation. Au Sa
lon de Gand de 1862, nous avonsvu son cc Joueur de
guitare; en 1863, il a créé cc La lecture, deux
ceuvres charmantes, qui décèlent tont l'avenir de
leur auteur. S'il nous était permis de donner un
conseil a M. Ceriez, nous l'engagerions vivement
quitter Ypres, pour aller fortifier son talent aux
sources vives des Beaux-Arts.
cc L'analogio des sujets dit 1'Indépendance
cc ou du moins de l'époque oü sont pris les person-
cc nages, rapproche M. Ceriez de M. Fichel.
cc Ce sont également des gentilshommes du
cc xvnie siècle qui sont mis en action dans la fin
cc du repos-,deux convivessontcommodément ins-
cc talles devant une table élégamment servie; ils ont
cc l'attilude nonchalante de gens qui ont traverséla
cc période active de l'appétit; deux visiteurs ont été
cc introduits et la conversation s'estengagée. A Fen
ce trée d'une pièce voisine se montre une servante
cc accorte portant un plateau. Ce sujet est lortsim-
pie et nous ne le citons pas comme un chef-d'ceu-
cc vre de conception, mais ce qui rend le tableau de
cc M. Ceriez très-supérieur a ceux de M. Fichel,
cc c'est que les personnages sont vivants et font vi
ce siblement ce qu'ils sont supposés faire. Nous
avons loué l'attitude gastronomiquedes convives;
cc disons encore que des deux visiteurs l'un cause
et qu'on l'entend parler, tandis que l'autre écoute
cc a merveille. Le tableau de M. Ceriez est d'une jo-
tc lie couleur, très-finement peint,et décèle une en-
cc tente peu ordinaire de la couleur.
cc Cel artiste, dont le nom nous était inconnu,
cc est élève de 1'Académie d'Anvers et de M. Fauve-
cc let, a ce que nous apprend le catalogue de l'Ex-
cc position.
cc II est done allé a Paris terminer son éducation
cc technique,^ et nous voyons dans sa peinture la
cc trace de Finfluence des legons de son dernier
cc maitre. Nous lui conseillons de considérer désor-
ce mais comme compléte son initiationauxprocédés
cc de 1 art, et ne prendre conseil que de lui-même,
cc de son propre sentiment.
Ce qu'il y a de pire, c'est d'imiler, même un
bon maitre. Nous espérons que M. Ceriez ne se
cc renfermera pas dans la sphère étroite des sujets
cc d une seule époque, et qu'il ne sevouerapasè
cc perpétuité,comme M. Fichel, auxpetits messieurs
cc du xvitP siècle. Le domaine de la peinture est im-
cc mense; c'est avoir une ambition trop modeste, en
cc vérité, que de se borner a en défxacher un petit
coin, r
Le correspondant de Mndépendance conseille
M. Ceriez de ne pas se renfermer dans la sphère
étroite des sujets d'une seule époque. Et pourquoi?
Le xviii0 siècle, avec sa noblesse et sa bourgeoisie,
avec ses moeurs et son histoire, n'offre-t-il pas au
génie de l'artiste un champ assez vaste et assez va-
i'ié pour qu'il s'y renferme sans humiliation pourlui-
inême et sans perte pour l'art? Certes, si l'on ren-
contrait sur toütes les ceuvres les mêmes figures ou
la même robe, cette monotonie enlèveixiit a l'artiste
sa consideration, a ses ceuvres une partie de leur
mérite. Mais que M. Ceriez étudie beaucoup toutce
quenous a laissé le xviii'- siècle, qu'il varie le sujetde
ses compositions en les choisissant dans les ciiver-
ses classes de la société d'alors, et dans les mille
situations de la vie, qu'il cherche dans son imagina
tion autant que dans son pinceau le cachet d'origï-
nalité qui seul fait l'artiste, et il agira plus sagement,
suivant nous, qu'en abandonnant une époque ou un
genre largement étudié, pour essayer de nouvelles
études qui conviendraient peut-être moins a son ta
lent ou son goüt. Bien des grands maitres, de tous
les genres, peuvent servir d'exemple de cette stabi-
lité, et ce n'est pas pour avoir fait quelques beaux
portraits qu'ils ont dévié de la spécialité qui a fait
leur gloire.
D'ailleurs M. Ceriez a déja fait bien des portraits;
il essaiera sans doute d'autres compositions encore!
Peut-être y trouvera-t-il des lauriers. Cependant il
l'era bien,suivant nous, de nepas abandonner la voie
par laquelleil pénètresiheureusementdans le monde
choisi des artistes.
Correspondance particuliere de L'OPINIOiV.
Iiruxellea, 28 aoüt.
Le congrès catholicfiie de Malines a terminé ses travaux
Quelques divergences de vues qui s'y soient manifestées, il a
adopté par acclamation tous les articles de son programme, tel
que je vous l'ai résumé la semaine dernière. La legon apour-
tant été rude. Nos cléricaux avaient voulu avoir M. de Monta-
lembert et ils l'ont eu, mais ils savent it quel prix. D'abord
tous les étrangers de distinction que l'on était parvenu a atti-
rer k Malines n'ont eu que des paroles d'admiration pour les
institutions beiges, des paroles d'envie pour les libertés dont
les catholiques jouissent chez nousils semblaient tous ne rien
comprendre aux accusations violences denos cléricaux; ils
sentaient que, dans un pays essentiellement catholique conime
le nötre, la majorité ne peut ótre hostile aux crovances, mais
qu'elle veut sauvegarder les grands principes issüsde 1789 et
proclamés dans notre Constitution de 1831.Cela n'était pas asses
que d'avoir dit aux cléricaux beiges que voulez-vous encore
que peut-'il vous manquer, lorsque le restant du monde catho^.
liquo épuise toutes ses forces h la recherche des incomparahks
libertés dont vous jouissez sans conteste? M. de Montalw'm-
bert, qu'on avait eu tant de peine h faire venir, est arrivé et
il a eu le courage de faire entendre a nos ultramontains ces
avertissements salutaires t
L'ancien régime, quelle qu'ait été sa grandeur, a un défaut
capital il est mort et il ne ressuscitera jamaisla démocratie
existedans unemoitié de l'Europe, elle existera demaiu dans
l'autre moitié. L'iliustre orateur a proclamé, au sein du con
grès de Malines, qu'il n'y a plus aujourd'hui de röle possible
pour la théocratie que la révolution qui a fondé la société ae~
tuelle est irrévocablequ'il faut corriger la démocratie par la
liberté,en acceptant l'une et l'autre sans arrière-penséo et con-
cilier enfin le catholicisme avec la démocratie.
Vous jugez si l'auditoire a entendu sans frémir procla mer
de telles maximes, par un homme qui avait fait, auparav^nt ls
profession de foi que voici
Prêt h tout, assez indifférent aux questions de forme
moins indifférent aux questions de personnes, je, me résisnè
h tout gouvernement oü l'arae (lisez la religion'. et l'honneur
(lisez la noblesse) seront saufs. Je ne croi.» pas au nroerès
humanitaire, it la raison universelle, ii rir.iaillibilité des Deu-
ples. Telle est ma foi politique et je compte y persévérer
Hors qu'un commandement du Pape exprès ne vienne
II y eat, vous comprenez, des frémissements et des murmu-
res mais Montalembert était tire, <1 fallait le boire iu^au'a la:
lie. Est-ce que par hasard, se disait-on,un commandement ex-
pres du Pape etait yenu? Quoi! o'étaitla le petit-fils de sainte
Elisabeth de Hongrie, celui qui a égorgé la liberté et la revolu
tion en irance, qm a poursuivi de ses anathèraes l'idée nou
velle partout ou elle plantait son drapeau, qui a barré le naL
sage aupeuple en marche vers l'avenir et l'a cóntramt une
halte forcée, qui a dtngé les baionnettes francaises contre h
répubhque romaine, qui s'est fait le complice du Deux Dë-
cembre après avoir défendu l'honneur de Louis-Napoléon Bo
naparte. et qui a consent! a la chute des institutions narle
mentaires? 1 10
C'était lui-mdme qui venait proclamer le triomphe de la vlé
mocratie dans le présent et dans l'avenir, la barbe de vens
qui voulaient retourner a tous les abus de l'ancien régime nour
1 instruction, pour le temporeldes cultes, pour la bienfaisance
pour les couvents, etc qui voulaient en un mot déclarer la
Smod0erees?rinCipeS l^é,3ireS 6t C0«-
Aussi le congrès de Malines n'a-t-il pas pris au sérieux i«
parole éloquente de M. de Montalembert. oSl'a beaucoup ai -
plaudi, mais comme orateur. Quant i, ses nouveaux principee
pohtiques, ils ont cte condamnés par le congrès avant d'etre
remés par le Bzen pubkc de Gand, dont la politique a tr omphé
avec celle de la Patrze de Bruges. - II est bien évident que
tous les congrès catholiques du monde et toutes les subtilués
des docteurs en droit ecclésiastique ne feront point, par exem
pie, renc,ncer la société civile k la haute et noble tirhe de
gérer efle-même le bien de ses pauvres; que jamais L nation
beige ne se désistera, en faveur d'un ministre dérmal
du droit da fondation qu elle exeree aujourd'hui elle-même, pap
(1) Des intéréts cathtliques au xix« siècle, page 337,