L'OPINION, Journal d'Ypres.
cour de Rome, sur les terrains les plus brülants de
la politique. En effet, combienle pays n'a-t-il pas vu
de déplorables dissentimentsentre Ie curé, voulant,
au nom de l'intolérance romaine, jeterdans quelque
ignoble fosse les dépouilles mortelles d'un citoyen
beige, et le bourgmestre, qui, au nom de la übertéde
conscience, voulait enterrer dans le cimetière com-
mun! Que de localités oü, en dépit de l'article 17 de
la Constitution et de la loi du 23 septembre 1842,
l'enseignement est tout entier aux mains du clergé,
qui se contente de perpétuer la génération des cré
tins, dont parlait M. de Decker! Que de fondations
charitables oü la surveillance laïque est effacéeQue
de fabriques d'église dont l'administration s'inspire
aux caprices du desservant
II importe, dans toutes ces matières, qui sous les
simples dehors d'affaires communales cachent les
principes fondamentaux de la liberté de conscience,
de la séparation de l'Etat et de l'Eglise, il importe
que le bourgmestre sache revendiquer et faire pré-
valoir les droits dupouvoir laïque. Et si leclergén'a
pas plus tót porté la Jutte au sein de la commune,
c'est précisémentparee quelepouvoir laïque s'y mon-
trait généralement très-bon enfant, docile aux or-
dres au pouvoir spirituel.Maislesscandales d'Uccle
et d'Assebrouck ont montré dans toute leur hideuse
extravagance les prétentions du clergé. D'autre
part les communes, comprenantmieuxl'importance
de l'enseignement primaire, construisent des bati-
ments d'école et s'arrogent le droit d'instruire les
enfants.
Les Chambres se sont occupées du temporel des
fabriques d'église et ont enterré la fameuse loi de
main-morte.Voilü pourquoi les apötres du passé, les
soutiens de la domination de l'Eglise sur l'Etat, s'in-
surgeront cette fois, partout oü ils ont quelque es-
poir de réussite, contre les élus des communes
qui ont conservé le respect de leur dignité en s'af-
franchissant de l'humiliante tutelle du curé.
Les dernières élections générales ont suffisam-
ment signalé ces administrateurs ül'oeil vigilant d'un
clergé vindicatif, qui sans nul doute relèvera fière-
ment la tête a Wervicq, a Elverdinghe, a Renin-
ghelst, a Rousbrugghe, a Poperinghe, a Ypres
peut-être, et dans bien d'autres localités de l'arron-
dissement.
Grace au souffle d'intolérance qui déja révoltait
M. Dedecker, et quele Congres de Malinesvient de
déchainer avec une force centuplée, nous pouvons
nous attendee a voir plus d'un de nos amis aux prises
avec son curé, son vicaire, son sacristain,suivis de
tous les gens de goupillon de la commune. Pareille
lutte est terrible, parce que, dans les petites locali
tés surtout, l'ignorance, le fanatisme, la sourde ca-
lomnie.les sermons de circonstance, les pamphlets,
et tant d'autres moyens dont nous n'avons pas le
secret, ont une puissance incalculable sur les élec-
teurs.
II est done de notre devoir a tous d'apporter a
nos amis les secours que nous puisons dans l'ar-
deur de nos convictions. Dans les communes oü,
comme l'écrivait dernièrement le Progrès, le parti
manque d'union et d'organisation, il importe de
faire taire les questions personnelles qui divisent,
et d'organiser les forces éparpillées.
C'est le moment d'utiliser Faction des jeunes élé-
ments que I'on voit poindre a l'horizon sur tous les
points de Xarrondissement et de venir au secours de
tous ces hommes qui ont su hautement afficher leurs
opinions et prouver quils tiennent a lionneur d'ap-
partenir a Xopinion libérale.
Quant a nous, nous ouvrons dès aujourd'hui nos
colonnes a tous ceux de nos amis qui veulent de-
mander a la presse le secours de sa publicité.
Espérons d'autre part que l'opinion libérale trou-
vera de nouveau dans l'association d'Ypres un puis
sant auxiliaire, et que dans les reunions que le co
mité ne tardera certes pas de fixer, nos amis
pourront expóser la tactique de leurs adversaires,
chercher des moyens de défense ou d'attaque, et
dans tous les cas puiser les encouragements néces
saires h la lutte.
line question a la MTRIE.
Quand la presse libérale accuse les gens d'église
d'être des ambitieux, avides de pouvoir et de domi
nation, exploitant les choses de la religion au profit
de leurs intéréts terrestres, les journaux catholiques
lui répondent qu'un pared langage est impie et blas-
phématoirequ'on ne peut toucher au clergé sans
froisser le dogme, que le prêtre et la religion ne
font qu'un.
Quand la presse libérale signale certaines turpi
tudes dont le clergé semble, depuis quelque temps,
s'être fait un apanage exclusif, ces mêmes journaux
lui répondent qu'il ne faut pas confondre le prêtre
avec la religion et que celle-ci n'a rien voir dans
les crimes commis par celui-la.
II serait cependant bien désirable de savoir a quoi
sen tenir. Le prêtre ne peut pas être tour a tour
confondu avec la religion ou distingué d'elle, selon
le bon plaisir ou les convenances de la presse cléri-
cale. II doit y avoir une règle, et c'est cette règle
qu'il importe au plus haut point de connaitre. La
Patrie, qui compte d'anciens professeurs de théolo
gie parmi ses rédacteurs, ne pourrait-elle pas nous
éclairer sur cette grave question?
Quiconqii©. Préposé. Animal.
L'application aux faits de presse des principes de
droit commun en matière de responsabilité civile est
destinée a jeter une lumière de plus en plus vive sur
la condition des écrivains dans notre libre Relgique.
Les écrivains se croyaient protégés par une légis-
lation spéciale; ils prétendaient n'être jugés que par
le jury. On leur a fait voir qu'ils se trompaient et
qu'ilsn'avaient d'autre protection a réclamerquecelle
du droit commun. Quiconque cause du dommage
autrui, leur a-t-on dit-, est obligé de réparer le dom
mage causé par sa faute. II n'y a pas de legislation
qui puisse prévaloir contre ce principe d'éternelle
équité. Lisez l'article 1382 du Code civil.
A partir du jour oü la jurisprudence l'eut décidé
ainsi, l'écrivain perdit la garantie du jury et devint
le quiconque de l'article 1382 du Code civil.
Cette première entreprise, couronnée d'un plein
succes, grace l'inertie de la presse, qui se laissa
faire comme un mouton, avait affriandé la jurispru
dence. Elle ne tarda pas a en tenter une autre plus
audacieuse et qui réussit non moins bien.
Les écrivains prétendaient que s'ils n'avaient pas
droit au jury, tout au moins il était -certain que la
censure avait été abolie, qu'ils n'avaient a soumet-
tre leurs écrits a l'avis de personne, pasplus l'avis
de l'éditeur qu'a l'avis du pouvoir,et que c'étaitpour
mieux assurer leur liberté, sous ce rapport, que la
Constitution avait posé comme un principe absolu
l'irresponsabilité de l'éditeur.
On leur fit voir, clair comme jour, que cette fois-ci
encore ils se trompaient grossièrement. Le com-
mettant,leur dit-on, est responsable des faits de son
préposé, l'article -1383 du Code civil l'enseigne tout
au long. Or, qu'est-ce qu'un écrivain, si ce n'est un
préposé salarié par son éditeur?
De ce moment, l'écrivain cessa d'être le quicon
que de l'article '1382 du Code civil pour devenir le
préposé de l'article 1383.
Reste l'article 1384 du même code, dont on ne
tardera pas sans doute a provoquer l'application.
Cet article est ainsi congu Le propriétaire d'un
animal, ou celui qui sen sert, pendant qu'il est a
son usage, est responsable du dommage que Fa
ce nimal a causé'soit que l'animal fütsous sa garde,
soit qu'il fut égaré ou échappé.
L'animal prévu par cet article, c'est évidemment
l'écrivain.
Voici l'article que le Journal de Gand consacre a
M. Callier, qu'une mort prématurée vient d'enlever
a la Relgique. La ville de Gand, le pays tout entier
font une immense perte dans leprofessèur distingué,
qui unissait a la science la plus étendue les con-
naissanccs administratives et une aclivité surpre-
n'ante. Le libéralisme perd dans M. Callier un de ses
hommes les plus distingués
La ville de Gand, le pays, tous les amis de l'hu-
manité viennent de faire une perte irreparable.
M. Gustave Callier est mort cette nuit après une
maladie cruelle et de longues douleurs, supportées
avec une inalterable patience et une admirable séré-
nité. II est mort comme il a vécu; calme devant la
dernière heure, ferme contre Fagonie, rassurc par
la paisible purcté dela conscience; s'efforgant, l'ceil
déja voilé des ombres de la mort, de sourire a ses
amis et de les consoler de sa perte. Le matin, vers
dix heures, il a cessé de les reconnaitre; a minuit
il a rendu le dernier soupir.
Le désespoir de sa familie, la douleurde ses amis,
qui l'aimaient d'une affection profonde, le deuil de
cette ville, qui sept la perte quelle fait, passent
toute expression; quand la friste nouvelle de cette
mort sera répandue, ce deuil sera un deuil national.
C'est avec une extréme stupeur qu'on Fa apprise
Gand. La maladie dont souffrait depuis plusieurs
mois M. Callier, et qui était une lésion interne a la
hanche, paraissait terminée. Une fièvre lente, une
sorte de langueur y avait succédé, mais elle pouvait
être considérée comme le repos du mal aigu qui si
longtemps l'avait fait souffrir, et on y voyait le pré
sage de sa convalescence. Pour favoriser par une
tranquillité compléte son retour a la santé, on l'avait
conduit a la campagne, ou plutót a l'extrémité de la
ville, a la maison de campagne de son beau-frère,
M. le docteur Dumont. Cette translation était d'au-
tant plus nécessaire que, préoccupé sans cesse du
devoir, M. Callier, malgré ses vives douleurs, rece-
vait des visites des fonctionnaires en rapports jour-
naliers avec lui, lisait et signait les actes de la com
mune quiétaient de son ressort, travaillait lui-même
et ne cessait point de s'informer avec sollicitude de
1'oeuvre dont l'organisation et les développements
sont l'honneur de sa vie l'enseignement public a
Gand.
C'est moins a cette affection de la hanche qu'il a
succombé qu'a la fièvre d'épuisement qui le minait
et qui était surtout l'effet des fatigues excessives
que par dévouement il s'était imposées. Cette oeuvre
de l'instruction publique est ce qui Fa tué. II est
mort au champ d'honneur. Elle lui survit, admirable
dans l'ensemble comme dans les détails, et avec elle
la reconnaissance du bienfait, qui se perpétuera chez
nos arrière-neveux, mais il ne l'aura pas vu fleurir,
il n'aura pas vu sortir, de ces écoles qu'il a créées,
cette génération instruite et intelligente dont il sui-
vait les progrès avec amour.
Professeur de philosophie a l'Université, il donna
ses cours, oü son mérite brillait d'un si vif éclat,
avec une grande exactitude; échevin chargé des
beaux-arts et de l'instruction publique, il était l'ame
et l'une des lumières du conseil; administrateur des
hospices, il mit a ces fonctions l'ardeur qu'il portait
a tous ses autres devoirs; il y réalisa d'importantes
réformes et il y prépara des plans dignes d'un bien-
faiteur de l'humanité. L'un de ses plans favoris était
la création d'un hospice riant pour ces ménages
pauvres que la bienfaisance publique sépare encore
aujourd'hui. II était heureux a la pensée de la reu
nion, jusqu'au dernier jour, dans de petites maisons
gaies et salubres, de ces pauvres époux, accoutu-
més a vivre ensemble pendant de longues années,
et que leur pauvreté sépare au moment oü leur af
fection mutuelle est le dernier lien qui les attache a
la vie.
On ne l'abordait point sans le trouver attaché a
quelque étude pareille, a quelque progrès; il com-
battait l'ignorance, la misère, les mauvaises pas
sions qui déciment l'espèce humaine, et c'est cette
vaillante lutte qui l'a tué. Sa grande ame y pouvait
suffire, son corps y a succombé. Pen a peu la fati
gue se fit plus vivement sentir; la nature prodigua
ses avertissements, mais le devoir seul fut écouté,
seule son impérieuse voix fut obéie. M. G. Callier
tomba enfin sur le lit de douleur, et ce fut pour ne
plus se relever. Le mal local dont la recrudescence
était plutót un effet qu'une cause fut suivi d'un aff'ai-
blissement graduel, puis survint un épanchement
au cerveau, précurseurde la mort qui l'a frappé cette
nuit.
II y a des hommes auxquels manque seul un vaste
théütre, si toutefois l'étenduc du théatre et l'éclat de
l'oeuvre qui peuvent flatter la vanité, sont de quel
que poids dans la balance des destinées hu-
maines. II est certain que M. G. Callier était
un homme de grande proportion. Son coeur et
son caractère avaient des beautés extraordinaires
et d'un ordre très-supérieur a celles des ames
même les mieux trempées. Ses qualités, relevées
par une dignité douce et sereine par une sorte
de majesté qui lui était aussi naturelle qu'au lion
la force tranquille donnaient a son influence
quelque chose d'irrésistible. Enfin, pour le faire
bien connaitre, il faudrait, oubliant les régies ordi-
naires des choses, les dimensions de la scène et les
conventions du style, dire ce fut un grand homme.
Aucun de ceux qui Font connu ne démentira cette
expression ni ne songera a la trouver dispropor-
tionnée. C'est de son ame que l'homme tire sa gran
deur, non de ce qui l'entoure ni des circonstances,
et nous n'avons jamais rencontré une ame plus
grande ni plus belle que celle de l'homme que nous
pleurons, que de nombreux amis et toute une ville
reconnaissante pleurent et regrettent avec nous.
Correspondance particuliere de L'OPINION.
M. Rogier (l'étranger!) M. Rogier (I'accapareur!) l'honorable
ministro des affaires étrangères qui avait échoué k Dinant aux
élections du 11 juin, k l'heure même oü il venait de proclamer
l'affranchissement de l'Escaut, M. Rogier a été élu hier repré
sentant de l'arrondissement de Tournai, avec une majorité de
500 voix sur celles données k son adversaire, un des hommes
les plus honorables et les plus universellement estimés de l'ar
rondissement. II était arrivé k Tournai la veille au soir, et les
électeurs libéraux avaient fait k leur candidat une réception
magnifique. M. Rogier était descendu k l'hótel de M. le repré
sentant Crombez, oü il a repu toute la soirée et pendant une
grande partie de la nuit une foule de personnes notables em-
pressées de venir lui donner une marque de sympathie. Hier
matin, dès la première heure, la ville avait un caractère d'ani-
mation extraordinaire. Les bureaux n'étaient pas encore ou veris
que déjk, dans toutes les rues, on voyait circuler d'immenses
ccriteauxportantles unsChtrles Rogier tout court,les autres;
Bruxelles, i l septembre.