L'OPINION, Journal d'Ypres. Monsieur le directeur, A mon grand étonnement je n'ai vu aucun jour nal liberal de la capitale ni de la province entre- prendre la réfutation du discours proiioncé par M. le procureur général de Bavay, a l'audience de rentrée de la cour d'appel de Bruxelles, en faveur du maintien de la peine de mort dans notre legis lation pénale. A-t-onjugé que la thèse de Thono- rable magistrat ne méritait pas d'etre.réfutée? On a eu tort de penser ainsi. En elfet, bien que les argu ments sur iesquels il se base soient trop faibles pour exercer quelque influence sur les esprits éclairés, il est nécessaire de les examiner et den montrer la faiblesse, quand ce ne serait que pour empêcher eet ardent partisan de la peine de mort de s'écrier l'an prochain comme cettc année, avec l'accent du triomphe Mes arguments sont restés debout! II ne faut pas d'ailleurs se le dissimuler, malgró les efforts des vaillants amis du progrès, a la tète desquels brille cette grande intelligence, ce grand coeur qui a nom Victor Hugo, la peine ca pitale est considérée par beaueoup comme néces saire et par conséquent comme devant être main- tenue. II est done bon, quoique tout ait été dit sur ce grave sujet, de protester chaque fois qu'une voix s'élève pour prendre la défense de l'échafaud et de réfuter sans cesse, düt-on se répéter toujours, cette thèse impie, que la peine de mort est la sau- vegarde de la société. Vous partagerez, je l'espère, monsieur, cette ma- nière de voir, puisque votre estimable journal s'est déja prononcé avec énergie contre cette peine, et vous accorderez une place dans vos colonnes a l'examen de la mercuriale de M. de Bavay. Veuillez agréer, etc. M. «Se USavay et la pesae «le mort. La peine de mort,aux yeux de M. le procureur gé néral prés la cour de Bruxelles, nest pas autre chose qu'une médecine preventive de correction, mé- decine nécessaire a la société pour quelle n'éprouve pas trop souvent les effets terribles de cette affreuse maladie qui s'appelle l'assassinat. Cela est certainement très-franc et nous louons cette franchise, mais nous protestons contre cette dófinition triviale! Ce nest pas ainsi que l'on parle du glaive de la justice, de ce glaive qui tranche la vie dun homme et le lance dans l'éternité. On ne saurait en pareille matière avoir une trop grande dignité de langage, ni s'élever a une trop grande hauteur de vues. Mais M. de Bavay dédaigne la phi losophic: les penseurs qui se demandent si la société a le droit pour sa défense de supprimer une exis tence lui font pitié... Ce sont de pauvres idéolo- gues'En sa qualité de procureur général, voyant de prés les grands criminels, il raisonne en esprit pratique il affirme que la mort fait peur et que par conséquent l'échafaud est indispensable pour inspi- rer une crainte salutaire. Cela est si vrai, dit-il, que les chauffeurs dispa- rurent lorsque leurs principaux chefs eurent payé de la vie leurs nombreux forfaits, tandis que les ga- lères n'avaient pas suffi a les intimider. De même le mauvais gré a cessé dans l'arrondissement deïour- nai depuis les deux executions qui sont venues mon trer aux habitants de ces localités que la peine ca pitale, abolie de fait a leurs yeux, existail encore dans notre Code pénal. Chauffeurs et mauvais gré, voilé, toute l'argumentation de M. le procureur gé néral. i Eh bienoui, les chauffeurs et le mauvais gré ont disparu. Mais est-ce paree que l'on a appfiqué la peine de mort? Sans nul doute,répond M.de Bavay, qui applique comme incontestable eet adage si faux post hoc ergo propter hoe. Nous lui disons qu'en savez-vous? avez-vous in- terrogé tous ceux a qui vous supposez l'idée de se faire chauffeur, ou de tuer et d'incendier par mau vais gré, et vous ont-ils confessé que la peur de l'échalaud les empêchait d'obéir a leurs mauvais ins tincts? Etpourtant que devient sans cela votre ar gumentation, comment établissez-vous l'effet salu taire d'une exécution? Les chauffeurs ont disparuJe crois bien, leurs principaux chefs avaient péri sur l'échafaud Si l'on avait enfermé ces scélérats dans une prison oü ils auraient été tenus jusqu'a leur mort, l'effet n'au- rait-ilpasété le même? Non,affirmez-vous; la crainte des galères ne suffisait pas, car beaueoup d'entre eux y avaient été envoyés et les crimes n'avaient pas cessé. II est presque puéril de réfuter pa reille objection, car elle prouve seulement que l'on n'avait arrèté qu'une faiblepartie de ces malfaiteurs et que les principaux d'entre eux avaient échappé aux poursuites de la justice. II faut avoir une bien singulièrc opinion de l'hu- ïnanité pour croire que la société est constamment menacée de voir se former des associations de ban dits. Dieu merci, l'homme n'est point si scélérat et lorsque le bagne et l'échafaud ont supprimé une bande de malfaiteurs, il est tout naturel que de nouvelles bandes ne se forment pas, comme il est impossible d'attribuer ce fait a la peur inspirée par la peine de mort. Les chauffeurs, on ne doit pas 1'oublier, ont été le produit de ces temps de troubles, d'agitation et de misère qui ont suivi la révolution de 1789; ce n'est point lé l'état social normal. Les êtres vicieux sont i'exception et il faut longtemps pour qu'il s'en re- produise. Lorsqu'ils sont nés, ce n'est pas la peur de l'échafaud qui les ferait entrer dans la voie du bien. L'exécution des chauffeurs n'cmpêchapas les exploits desvoleurs de i'Entre-Sambre-et-Meuse, ni les horribles assassinats de la Bande-Rouge. Quant au mauvais gré, nous croyons savoir que l'un de ceux dont la tête est tombée sur l'échafaud était une sorte de bravo qui acceptait pour quelques francs d'incendier les fermes et les meules apparte- nant aux victimes du mauvais gré. Certes, il ne se rencontrera pas souvent de pareils hommes chez nos populations agricoles, si généralement paisibles et laborieuses. Ajoutons cela que l'instruction et le bien-être se sont considérablementdéveloppés sousl'influence d'un immense progrès économique et social. Voilé les véritables causes de la disparition des chauffeurs et du mauvais gré; il n'en faut pas cherchef d'au- tres; il ne faut pas surtout attribuer cette puissance civilisatrice la guillotine, qui n'effraie guère les criminels, quoi qu'on en dise, car ils espèrent tou jours y échapper. Intimider, faire peiy, tel est le but de la repres sion selon M. le procureur général prés la cour de Bruxelles. Vraiment,c'est n'y pas croireTous les criminalistesmodernes reconnaissent comme un des buts principaux de la peine Yaméliorationda coupa- ble par le ehatiment qui lui montre sa faute tout au plus placent-ils sur la même ligne l'effet préven- tif de la répression. Pour M. de Bavay,au contraire, c'est lé le seul but a atteindre (cela se congoit d'ail leurs, car il serait difficile de concilier la peine de mort avec cette idéé, éminemment civilisatrice, d'a- méliorer le coupable par le ehatiment!) de sorte que dans le système de l'honorable magistrat le cri- minel n'est pius même frappé d'une peine proportion- nelle au crime commis (proportion qui est eIlc-~ même un principe fondamental du droit pénal,mais la peine est en raison de l'effet quelle doit produire sur les dmes perverses! Ge n'est done pas aumalade, eet homme qui s'est laissé entrainer par la fièvre du vice commettre un crime, que M. le procureur général administre une médecine, pour nous servir de son expression favorite, c'est la société qu'il donne cet homme en médecine pour guérir ceux de ses membres qui pourraient être atteints de lamême fièvre. Prenons-y garde, car on nous ramènerait en vertu de ce principe aux législations les plus cruelles qui aient déshonoré l'humanitéaux siècles de féroce bar baric. En effet, si l'on applique ce principe avec ses conséquences, il faut rendre la peine la plus terrible possible, afin que l'effet d'intimidation soit plus grand. Avec la peine de mort et malgré elle, il y a encore des assassins; il faut nécessairement trouver une peine plus forte; il faut que le condamné meure dans les conditions les plus propres terrifier; il ne suffit pas de la guillotine, il faut rétablir la roue, l'écartellementle bücher et l'écorchement. Oui, M. de Bavay, c'est lé que vous devez nous conduire. Puisque vous déclarez vous-même que si l'on vous donnait une peine aussi efficace que la peine de mort vous rcnonceriez a celle-ci, soyez logique et demandez en même temps une peine plus efficace, puisque l'échafaud ne préserve pas suffisamment la société. Vous voulez inspirer une crainte salutaire aux scélérats, la crainte n'est pas assez grande, il faut produire plus d'effet.Il doit en êtreainsipour toutes les peines édictées par notre législation pénale. Au- cune d'elles n'atteint Ie but suprème, selon vous, de la répression, il est nécessaire de renforcer leur ac tion préventive en les rendant plus fortes. Retour- nons, je vous prie,au temps de Dracon et punissons tout, crimes et délits de la peine capitale, dressons l'échafaud a tous les coins de rue, per- sonne alors sans doute n'osera porter atteinte a l'Etat, l'individu ou la propriété. Quel magnifi- que terroriste vous faites En admettant par pure hypothèse que la peine de mort produise une crainte salutaire et rende moins fréquents les crimes qui en sont punis, en admet tant de même que l'on puisse assigner pared but la répression, il faudrait encore examiner si la so ciété a le droit de faire tout ce quelle juge utile d ses intéréts. Mais M. de Bavay a soin de ne pas aborder le terrain philosophique et social, jugeant sans doute n'avoir rien a répondre a tout ce qui a été dit cet égard. Prenant acte de ce silence,nous considérons comme établi que la peine de mort est injustifiable au point de vue de la.philosophie. C'est ce qu'avait déjé reconnu l'immortelle Assemblée constituante; on y convint généralement que la rai son, la justice et l'humanité commandent I'abolition de la peine de mort, et on ne la maintint que pro- visoirement, raison des circonstances terribles oü la France était engagée. (Garnot, sur l'art.T du Code pénal, 1.) C'est ce qu'avait enseigné lecélèbre Bec- caria,qui disait:« Malgré tous les efforts de sa raison, on trouve dans une partie reculée de son ame, ou les formes originelles de la nature se sont mieux conservéesun sentiment qui nous a tou- jours dicté que notre vie n'est aupouvoir légitime de personne, que de la nécessité qui régit l'uni- vers. 3> De quelle valeur,en supposant qu'ils en aient une, sont,a cöté de cette grande pensée du savant juris- consulte, les arguments de M. le proeureur-général prés la cour de Bruxelles? Nous terminons en adressant nos félicitations les plus vives l'Association liégeoise pour l'abolition de Ia peine de mort. Nous joignons nos voeux aux siens, nous espérons que nos Chambreshonoreront la session qui s'ouvre en suivant l'exemple de la Toscane et du Portugal. Ce serait outrager la na tion que de lui dire Beiges, vous n'êtesfpas assez civilisés pour supprimer l'échafaud, alors que nous marchons a la tête des peuples, tenant d'une main ferme l'étendard de l'ordre et de la liberté. Nous nous rallions entièrement la pensée huma nitaire et civilisatrice qui a'inspiré notre corres- pondant la lettre et l'article qu'on vient de lire. En presence des efforts suprêmes, tentés par les plus beaux esprits pour épargner la civilisation mo derne la trace hideuse de sang humain imprégnée sur le front de toutes les législations passées, les hommes de progrès se sont tous sentis profondé- ment attristés la lecture de la mercuriale de M. de Bavay. Nous remercions notre correspondant de s'être fait l'organe de ce sentiment général. Correspondance particulière de L'OPIMOIV Bruxelles, le 20 novembre 4883. Ce qui se passe en ce moment k la Chambre doit donner k réfléchir k tous ceux qui, comme nous, sont fermement dé- voués au régime sous lequel nous avons le bonheur de vivre. Toute l'organisation politique de laBelgique repose incontesta- blement sur le système électoral décrété par la constitution et développé par le Congrès national. II importe donc.avant tout, que nous fassions en sorte que la solidité de cette base ne vienne pas k faire défaut. Or, voilk bientót quinze jours que la Chambre est réunie et jusqu'ici on n'y a guère entendu parler que de corruption. Je vous avais dit que la validité des élections de Bruges, de Di- nant et de Bastogne serait contestée. On a, de plus, contesté la validité de l'éiection de Gand. On a d'abord ajourné la véri- fication des pouvoirs des députations de Bruges et de Dinant,en attendant la communication des pièces de Tenquête judiciaire ordonnée dans ces deux villes. Entretemps, la commission chargée de la verification des pouvoirs deM. de Kerkhove,élu k Gand, présentason rapport, qui concluait k une proposition d'enquête parlementaire. On accusait l'administration des hospices de Gand d'avoir exercé une pression scandaleuse sur les fermiers de ces hospices, et M. de Kerkhove, ou plutót des gens attachés k son service, d'avoir, k la veille des élections, placé en quelque sorte sous le régime de la terreur une cemmune tout entière. Cependant la Chambre re?ut d'un membre de la commission des hospices une petite lettre congue en termes si énergiques que la com mission, saisie de cette pièce, n'insista pas sur sa proposition d'enquête. Par conciliation», dit le rapporteur, M. Thonis- sen, professeur k l'université de Louvainnous vous pro posons k l'unanimité, de valider les pouvoirs de M. de Kerkhove. II paraft que, dans les couloirs, et même au sein de la com mission, certains renards de la gauche avaient donnó k enten dre que si le corbeau voulait bien se dessaisirde son fromage, on se montrerait conciliant sur le chapitre de l'éiection de Bas togne. Mais, l'éiection de Gand validée, M. Bara se leva indigné sur les bancs de la gauche et s'écria qu'il n'appartenait pas k des représentants de la nation de dire, pour valider l'éiection d'un aminous transigerons sur les droits des électeurs. II n'y a pas de conciliation possible en pareille matière, dit-ilNous n'avons qu'une chose k faire; consulter notre conscience. Si nous avons la conviction que l'éiection est entachée de fraude, de corruption ou de tout autre vice, nous devons l'annuler' quand bien même cette déeision devrait atteindre un de no3 amis. Nous ne pouvons pas transiger, car ce n'est pas nous qui sommes les électeurs. Grande fut la stupeur de la droite, vous comprenez, en en- tendant ce langage. II ne lui restait plus qu'une chose k faire, démontrer que l'éiection de Bastogne n'était entachée d'aucun vice, et cela n'était pas ainsi. Elle tenta néanmoins l'aventure, mais elle avait affaire k forte partie,et la discussion prit un ca- ractère de violence des plus passionnées. II était tout naturel qu'il en sortlt des révélations, et voici littéralement ce que M. Coomans a osé dire, en pleine Chambre, et sans même sou- lever de sa part la moindre protestationj'en atteste les An~ nales parlementaires Je déplore le débat; je ge l'ai pas provoqué, je regrette qu'il doive rester incomplet. Force m'est pourtant de le dire y en a-t-il beaueoup d'entre nous qui puissent se vanter que leur élection n'a rien coüté k eux ou k leurs amis Je ne sais pas ce que l'honorable M. Van Hoorde a dépensé k Bastogne. Je suis sür que lui et ses amis y ont dépensé de i'argent.Mais qui done

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L’Opinion (1863-1873) | 1863 | | pagina 2