JOURNAL D'YPRES ET DE I/ARRONDISSEMENT
YPRES, I)imanche
25 Décembre 1864.
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PKix
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Correspondence particuliere de 1'ÖPISIOS.
Bruxelles. 23 Décembre IS64.
Les journaux annoncent que M. de Conway, remis
de son indisposition, a repris ses fonctions au Palais.
Pour quiconque sait ce que parler veut dire, cela si-
gnifie que M. I'inlendant de la liste civile ne sera pas
dèsavoué et qu'il continue a jouir de toute la faveur
de Sa Maiesté. Au surplus, cette nouvelle n'a surpris
personne ici, sauf peut-être quelques habitués de la
Aouvelle Carpe et des Trois Pigeons qui, sur la foi des
assurances réitérées de ces inêmes journaux, s'atten-
daient d'un jour a l'auire a voir paraltre au Monileur
le désaveu de Ia inalencontreuse épitre, voire même
la destitution de M. de Conway. Les bonnes gens 1
Que le ministère eut étè bien aise de donner cette
satisfaction a l'opiniori publique, il n'en faut pas dou-
ter mais ce qui est certain, c'est qu'il n'a fait aucune
démarche pour l'obtenir. Le ministère avait deux
voies devant lui réclamer le désaveu de M. Conway
et, en cas de refus, offrlr sa demission, provoquer
une crise politique; ou bien, ne pas s'occuper du tout
de la lettre, soit pour la defendre, S-it pour la con-
damner. C'est a ce dernier parti qu'il s'est arrêté et
je crois, a vrai dire, que c'etail le parti le plus
sage.
Rendons justice, même a nos adversaires. On a es-
sayé de rèpandre le bruit que la lettre adressée a
M. le Doven de Sainte-Gudule n'etait pas destinée a
la public"te et qu'elle avait étè eommuniquée aux
journaux a l'insu de M. I'intendanl de la liste civile.
Or, je sais de très-bonne source qu'avant de publier
la lettre, la Societé a depèchè un de ses membres a
M. de Conway pour ótre êclairée sur son veritable
caractére et que la reponse de ce personnage a été
que la Sooiótè pouvait faire de cette lettre l'usage
qu'elle jugerait convenable. Ce que je sais encore,
c'est que dans une conversation toute récente en-
tre M. de Conway ct un autre membre de la
même Société, M.rintendautdela lisle civile a relevé,
dans la copie transmise aux journaux, une inexacti
tude qu'il considérait comiue tres-fócheuse, en ce
sens qu'elle justified jusqu'a un certain point l'opinion
de ceux qui ne voulaieut voir dans celte lettre qu'un
écrit purement confidentiel. On me fait écrire, disait
M de Conway Recevez, Monsieur le Doyen, la nou
velle assurance de mes sentiments dêvoués, ce qui im-
pliquerait, en effet, quelque chose de confidentielor,
ma lettre porie Itecevez, Monsieur le Doyen, la nou
velle assurauce de mes sentiments distisgbés, ce qui
est tout differententre ces deux adjectifs,iI y a toute
a distance qui sépare une lettre inlime d'une lettre
destinée a la pub'icité et il est vraiment facheux
qu'une erreur aussi grossière alt p issé inapercue.
Peut-être trouvera-l on que M. de Conway porte
un peu loin l'observation des nuances épistolaires
mais l'excès même de son scrupule ne fait que prou-
ver mieux son désir de donner a la Société de
Sainte-Barbe un témoignage public de la satisfaction
royale.
Le parti clerical tiendra l-il grand compte a la Cou-
ronne de la lettre de M. de Conway? Je ne le pense
pas Parmi les jeunes de ce parti, beaucoup regrettent
même qu'elle ait été publiée. Cette lettre, disent-ils,
n'est après tout qu'une fiche de consolation pour les
déboires que l'on nous prépare en sanctionnant la loi
des bourses; d'un cöté, on nous enlève 25,000 francs
de rente et de l'autre,on nous fait un méchant cadeau
de mille francs. En publiant la lettre, nous avons l'air
d'accepter le marché, c'est a-dire d'être des dupes.
Certes, nous ne pouvions pas, sans injure, refuser le
royal cadeau, mais rien ne nous obligeait a publier
la missive de M. I'inlendant et peut étre en voyant le
peu de cas que nous en faisions, y aurait-on regardé
a deux fois avant de meltre le sceau a l'oeuvre de
spoliation forgée par le ministère. Voila ce que disent
les jeunes et bien des vieux pensent de même, sans
rien dire.
La Société la LibrcPensde s'est réunie, jeudi der
nier, en assemblée genérale. L'assistance était nom-
breuse; il y avait la des delegués de toutes les Sociétés
de libres-penseursdu pays. 11 s'agissait, comme vous
savez deja, de protester contre la fameuse lettre. A
la grande surprise de i'assemblée, M. Berend, un
correspondant de la Gazette de Cologne, s'est mis
d'abord a développer une fort singuliere proposition,
dont voici l'incroyable teneur. La libre-pensée, n'at-
tachant aucune importance a l'opinion de M. de
s Conway sur la liberie de conscience, passe a l'ordre
du jour. Voyez-vous des gens qui arrivent des
quatre coins du pays et qui se réunissent avec grand
fracas pour declarer qu'ils n'atlachent aucune im
portance a ce qui fait l'objet même de leur reunion?
Comment M. Berend n'a-t-il pas compris qu'en adop-
tant une semblable proposition, I'assemblée se serait
exposée a un ridicule achevé? II va sans dire que
cette proposition a eu le sort qu'elle méritait et que
l'auteur en a été pour ses frais d'eloquence enfari-
née.
Deux aulres projets, entr'aulres celui d'uue peti
tion au Roi et aux Chambres ont été tour-a-tour écar-
tés par I'assemblée qui s'est ralliée, sous certaines
réserves toutefois, a une proposition formulée par
M. Arnould, rédacteur du Precurseur d'Anvers, ayaut
pour objet la reunion a Bruxelles d'un Congrès de li-
bres-penseurs. Ce Congrès aurait pour mission de
discuter toutes les questions relatives a la separation
de l'Eglise et de l'Etat, telles que la question de l'en-
seignement, celle des traitements des minislres des
cuUes, etc. M. Arnould veut répondre a M. de Con
way 5 la manière du philosophe qui prouva le mou
vement en marchant. Je crois que c'est la bonüe
et que cette protestation en vaudra bien une autre.
Tandis que les libres-penseurs se réunissaient a
YHótel du Grand Miroir, une autre assemblee, une
assemblee de saints hommes, celle-ci, avait lieu A
VUötel de Suède oü dtnait, en compagnie de M. De-
champs el d'autres notabilités clerioo-libérales, M. Al-
bert de Broglie.académicien et philosophe après boire.
C'est uu terrible homme que ce M. Albert de Broglie
et il ne fait pas bon lui conceder quoi que ce soit, si-
nou on est perdu. Sa facon de prouver la réalité des
miracles par raison demonstrative mérite d'être citée
cêté de l'inimitable scène oü le maHre de phi los jphie
apprend a M. Jourdain les mystères de la lettre u.
Ecoutez bien ceci M. de Broslie prend dans I'assem
blée un bon jeune homme, je suppose M. I'avocat Lé
ger. Bon jeune homme, lui dit le prince, vous n'êtes
pas sans sa voir qu'il v a parmi le monde de soi disant
philosopbes qui necroient ni a Dieu, ni au Diable, ni
a saint Cupertin, et qui pretendent que le monde s'est
fait lout seal. Ces soi-disant philosophes, bon jeune
homme, on les appelle des matérialistes et l'on en
compte jusqu'a cinq dans l'univers, qui sont Re-
nan, Taine, Comte, Littré, mon confrère de l'Acadé-
inie francaise et Vacherot, qui n'est pas même acadé-
micien.
Maintenanl, bon jeune homme, je vous parie ce que
vous voulez qu'en cinq propositions, je fais de vous,
qui êtes un agneau sans lêche, un animal tout setn-
blable a Renan. Tenez-vous Ie pari?Mouvement
d'admiration dans i'assemblée,le bon jeunehommede-
vieüt pale comme un mortRassurez-vous.reprend
le bon priuce, ce que j'en dis n'est que pour rire,
mais du diable si j'ai menti pour un liard. Vous ailez
voir comment je procédé, Et d'abord, première pro
position Croyez-vous, bon jeune homme, au miracle
de St-Cupertin, dansant Ia farandole entre ciel et
lerre? Vous me direz que la chose est absurde, im
possible, contraire aux lois immuables de la gravita
tion. Très-bien répondu. Eh bien, mon ami, je ne
vous en demande pas davantage et vous allez voir oü
je vais vous conduire Si St-Cupertin n'a pas pu
danser entre ciel et terre, inutile de prier pour votre
mère malade, car il est impossible qu'elle guérisse si
les lois de sa maladie veuleut qu'elle meure. Done la
prière est inutile. Ceci est ma deuxième proposi
tion.
Troisième proposition Si Dieu n'a pas la puis
sance de modifier les lois de la création, il n'y a plus
de providence ni de justice au monde. Dieu n'est plus
qu'urj Roi faineant et découronné. J'espère, bon jeune
homme, qu'en voila une a laquelle ni vous ni per
sonne de l'aimable société, vous n'étiez préparés.
De plus fort en plus lort. Du moment oü Dieu ne
gouverne plus le monde, il n'y a plus de raison de
supposer qu'il existe. Done, pas de Dien Ceci, mes
sieurs, fait l'objet de ma quatrième proposition qui
m'a valu les suffrages de plusieurs têtes couron-
nées.
J'arrivea ma cinquième et dernière proposition
si Dieu n'existe pas, il n'y a plus, pour l'homme, ni
liberté, ni conscience et vous, bon jeune homme qui
avez eu l'imprudence de me concéderque St-Cuper
tin n'a pu valser qu'en touehant terre, vous n'êtes
qu'une sorle de brute a l'image de mon confrère Lit
tré de I'Académie francaise.
M. de Caston, qui assistait a la séance, en est sorti
émerveillé.
La statislique des expulsions proDoncées depui.s
1835 a profondement ému l'opinion publique. Prés
de 42 mille étrangers expulsés du pays en moins de
trente annees! Le chilfre est formidable et accuse une
situation que tout homme de cteur et fier de son pays
doit profondèment dépiorer. Pour attènrier l'effct pro
duit pir ces chiffres accusateurs, le Journal de Liége
avance que les individu» aiusi repous.'ses du lerritoire
sont pour la plupart des mondianty,, des vagabonds,