y trouver la place publique et la Tribune. Ed partant
du Portique de I'archonte-roi, deux rues nous cou-
duisent a l'agoraprenons celle de droitefranchis-
sons les deux portiques auxquels elle aboutit, le por
tique d'Hermès et le Poecile, et nous arriverons au
Pnyx oü les Athéniens tenaient leurs assemblées.
C'est une esplanade ombragée de platanes, pratiquée
sur une roche escarpée au revers du Lycabettus.
G'est sur l'acropoie qu'athènes Sssied sa Tribune
et ses templesa Pentrée de la citadelle, nous rencon-
trons les Propylées, construits par Mnésiclès, et le
temple de la Victoire; a gauche nous voyons le dou
ble temple de Neptune Erechtee et de Minerve Polias,
ici, les autels de la Pudeur et de l'Amitié, plus loin le
temple de Jupiter Olympien. Sur le point le plus émi
nent de l'acropoie s'élève le Parthenon superbe, qui
domine la cité de Minerve.
C'est sur l'acropolis, dit M. Bancel, qu'Athènes
installe les dieux de sa religion démocratiqueses
divinités, laillées sur le modèle de ses héros, sont
debout dans leurs temples de marbre, au sommet de
la citadelle, en pleine lumière; comme pour appeler
la lumière de la raison.
La religion d'Athènes provoque la discussion et le
libre examen le peuple alhénien ne reconnait que la
souveraineté de l'espritet si la déesse de la Sagesse
siége a la clme de l'acropoie, ce n'est point pour que
sa ville soit oppressée par des dogmes inflexibles, ces
moules, dans lesquels on précipite l'êmedes peuples,
et qui engendrent l'immobilité de l'Inde, le fatalisme
musuiman et les Encycliques.
La Tribune s'élève au midi du Pnyx elle est creu-
sée dans le roe même et Ton y monte par quatre de-
grés égalemeut taillés dans la pierre. C'était de cette
Tribune'que les orateurs parlaienl au peuple d'A
thènes, alors le plus spirituel et le plus léger de la
terre, dont Thucydide nous trace le portrait dans
son histoire de la guerre du Póleponèse
II y a un peuple qui ne respire que les nou
veautés prompt a concevoir, prompt a exécuter,
son audace passé sa force. Dans les perils, oü sou
vent il se jette sans réflexion, il rie perd jamais Tes-
pérance; naturellement inquiet, il cherche a s'agran-
dir au dehors; vainqueur, il s'avance et suit sa vic
toire vaincu, il n'est point découragé. Pour les
Athéniens la vie n'est pas une propriété qui leur ap-
partienne, tant ils la sacrifient aisément a leur pays!
lis croient qu'on les a privés d'un bien legitime toutes
les fois qu'ils n'obtiennent pas l'objet de leurs désirs.
lis remplacent un dessein trompé par une nouvelle
espéranceleurs projets a peine concus sont déja
exécutés. Sans cesse occupés de l'avenir, le présent
leur échappe peuple qui ne connait point le repos et
ne peut le soufTrir dans les aulres.
Un autre Athénien, né en Picardie, celui-ci,
Camille Desmoulins, compléte ce portrait, en disant
qu'Athènes nomme Solon le premier de ses sages,
quoiqu'il confessat qu'il aimait le vin, le plaisir et la
musique.
Devant ce peuple artiste, l'éloquence réclamait de
ses ministres le goüt le plus dèlicatdevant ce peuple
mobile, assez pénétrant pour comprendre au premier
mot, trop impatient pour écouter les détails, l'orateur
avait besoin des ressources de l'art le plus achové.
Une parole diteau hasard pouvait tout compromettre;
le moindre objet sulïisait a distraire Passembléeune
fois, au dire de Plutarque, elle se leva, presque toute
entière, et courut après un petit oiseau qu'Alcibiade
avait par mégarde laissé échapper de sa poitrineles
émotions les plus diverses se succédaient dans l'as-
semblée avec la rapidité de l'éclairun jour, les ci-
toyens appelaient a grands cris Cléon, qui tardait a
paraitre a la Tribuneils trépignaientCleon arrive
et les prie de remettre la délibération a un autre jour,
paree qu'il avait du monde a diner et n'avait pas Ie
temps de s'occuper des affaires publiques. Les ci-
toyens se levèrent et battirent des mains a cette im
pertinence.
Ce peuple était frondeur del'autoritéce n'est point
a Athènes que le béton d'un constable aurait dissipè
une assembléedans sa comédie des Oiseaux, Aristo-
phane construit une ville au mdieu des airs; elle n'est
point achevée qu'apparait un inspecteur on le bat
quoi 1 dit-il, l'on ose me frapper et je suis inspecteur
Un Athénien, qui s'est enfui d'Athènes pour batir la
cité nouvelle, s'écrie la-dessus Nous commencons
a peine a construire notre ville et déja des inspec
teurs!
11 faut croire qu'on abusait un peu alors des ins
pecteurs et des commissions.
Ce peuple, si passionné pour Timprévu, ne devait
point aimer la régularité des assemblées ordinaires;
aussi se dispensait-il volontiers d'y assisteron vou-
lutl'y forcer par des amendes, mais rien n'y fit. Pé-
riclès trouva le vrai moyen de le rendre assidu il fit
donner une obole a tous les assistants.
Quelque démocratique que fut eet auditoire, aucun
ne fut cependant plus sévère et plus puriste la con
dition suprème de l'éloquence a Athènes, c'était l'èlé-
gance et l'harmonie de la parole; une marchande
d'herbes reconnaissait a son langage que Xénophon
n'était point né dans l'Attique. Les Athéniens as
semblés a l'Agora n'avaient pas l'oreille moins cha-
touilleuse. Devant le peuple athénien, ditCicéron,
un orateur n'eut osé se servii' d'un terme inusité ou
déplaisant. Périclès n'allait jamais a la place pu
blique sans avoir demandé aux Dieux la grèce de ne
rien dire d'imprudent, rien qui nefüt nécessaire, rien
qui ne fut convenable. Le plus grand et le plus aus-
tère des orateurs d'Athènes est oblige de s'excuser
d'avoir manqué a l'élégance altiqueet de rappeler aux
Athéniens que le sort de la Grèce ne dépend pas d'un.
geste oraloire.
Quoiqu'il fut libre a tout citoyen de monter a la
Tribune, on n'y voyait cependant d'ordinaire que les
citovens les plus éminents. L'éloquence exigeait de
vastes études préliminaires; Eschine, Aristote et Ci-
céron rappellént que ce n'etait qu'au prix des plus
puissants efforts que 1'on pouvait aspirer au litre
d'orateur. Le plus souvent, l'orateur athénien n'était
point seulement tribun du peuple, il était encore tri
bun militaire; les expéditions, que sa voix appuyait
sur la place publique, il les dirigeait a la tête de l'ar-
mée.
Le róle de ces citoyens était grand mais une puis
sance aussi ótendue a ses dangers adorés par la
multitude, ces généraux-orateurs deviennent trop
facilement, aux jours du péril, dessauveurs inévita-
bles.
Pour se garder de ces influences si funestes a la
liberté, Athènes voulut que sa Tribune fut respectée
et qu'aucun citoyen indigne n'y eut accès. La loi
éloigne de la Tribune, dit Eschine, dans son discours
contre Timarque, celui qui aurait frappé son père ou
sa mère, ou qui leur refuserait les moyens de subsis
ter paree qu'en effet on ne connait guère l'amour
de la patrie, quand on ne connait pas les sentiments
de la nature; elle en éloigne celui qui dissipe l'héritage
de ses pères, paree qu'il dissiperait avec plus de faci-
lité les trésors de l'Etatcelui qui n'aurait pas d'en-
fants légilimes ou qui ne posséderait pas de biens
dans l'Attique paree que, sans ces liens, il n'aurait
pour la République qu'un intérêt général, toujours
suspect quand il n'est pas joint a l'intèrêt particulier
celui qui refuserait de prendre les amies a la voix du
général, qui abandonnerait son bouclier dans la mê-
lée, qui se iivreraita des plaisirs honteux, paree que
la lacheté et la corruption, presque toujours insépa-
rables, ouvriraient son ème a toutes les espèces de
trahisons et que d'ailleurs tout homme qui ne peut ni
défendre sa patrie par sa valeur, ni l'édifier par ses
exemples, est indigne de Téclairer par ses lu-
mières.
En lisant ces paroles, il sernble, dit M. Bancel, en
tendre Saint-Just dieter les lois de sa république aus-
tère et s'écrier Bronzez la liberté
C'est par l'enseignement de sa jeunesse qu'Athènes
travaiile encore a garantir l'avenir de sa liberté; les
habitants de Mytilène, après une victoire, défendirent
aux vaincus d'instruire leurs enfants; Athènes sait
aussi qu'il n'est pas de meilleur moyen de tenir les
peuples dans Tasservissement que de les tenir dans
l'ignorance.
11 fut un temps a Athènes, oü la force morale fut la
seule arme des orateurs; mais ces beaux jours pas-
sèrent; Cleon üatte déja les instincts de la démago
gie, que M. Bancel appelle le plus grand écueil des
démocraties Aristophane flagelle Cleon de sa verve
inordante, mais n'arrête point les excès descourtisans
du peuple. La parole finit par s'abimer dans la cor
ruption.
Le caractère de l'éloquence subit done des transfor
mations successives Après les guerres Mediques, le
róle de l'orateur etait de modérer le peupleEschine
raconte que Themistocle, Aristide et Périclès, pres-
qu'immobiles a la Tribune, imposaient aulant par la
gravité de leur maintien que par la force de leur élo-
quence. Plus tard, la démocratie devint paresseuse
il fallut entrainer le peuple par une parole énergique,
rapide, animée Ce fut Ie tour des Demoslhènes et
des Eschine.
Dans les premier temps de la République, les Athé
niens n'avaient pas été trompes, ils se laissaient vo
lontiers persuader par Ia voix de leurs orateursles
déceptions les rendirent méfiants et rebelles aux en-
trainements de la parole. Etcependantcetteéloquence
athénienne, calme avec Périclès et Thucydide, ar-
dente avec Demosthènes, demeure toujours noble et
belle. La parole de ces grands hommes est i'image de
leur vie; elle lutte vaillamment avec la destinée; la
vie de Demosthènes n'est qu'un long combat contre
Philippe son exemple console des bassesses des Fou-
cher et des Taillien, qui se courbent sous les yerges
de la destinée et qui, les plus fougueux des Jacobins,
deviennent les plus muets des sénateurs.
La parole convaincue et honnête est une puissance
que certains hommes peuvent trouver gênante;
Turcaret se plaint de ce que Barnave dévoile les se
crets de la financemais c'est une puissance contre
laquelle la Force ne prévaudra jamais.
M. Bancel applaudit a notre amour et a notre vó-
nération pour la Belgique qui nous donne une tribune
libre.
Si I'homme, depuis l'antiquité, s'est élevé a l'idée
de l'unité humaine, ce n'a point été au préjudice de
la patriele cosmopolilisme moderne n'est point
celui du Plutus d'Aristophane, qui pense que la pa
trie est partout oü 1'on trouve le bonheur s'il em-
brasse tous les peuples dans un sentiment de frater-
nité, il s'allie, par les liens les plus étroits, au culte de
la patrie et de la nationalilé.
Nous ne donnons, est-il besoin de le dire
qu'une reproduction fort imparfaite de la conférence
de M. Bancel; sans prétendre a aucune exactitude de
détail, nous avons essayé d'indiquer le chemin qu'il
a parcouru et de procurer a ceux qui ont eu le plaisir
de I'entendre, l'occasion de réminiscences person-
nelles, plus agréables qu'un compte-rendu incomplet.
Nous ne terminerons point sans féliciter l'éloquent
professeur sur l'harmonie, la grace et l'atticisme de
son langage, qu'il sait rendre digne du peuple athé
nien dont il nous a vanté le goüt épuré et l'esprit dè
licat.
La prochaine conference de M. Bancel, fixée au 26
janvier, sera consacrée aux Origines de l'Eloquence.
Hécrologie.
Lundi matin, a 10 heures, a été célébré en l'église
de Saint Nicolas, le service, funèbre, corps présent,
de M. Léonard Comyn, avocat.
Cette triste cérémonie avait réuni tout ce <|ue la
ville compte de plus intelligent et de plus notable.
Dans I'assistance, qui était très-nombreuse, on
remarquait, outre la familie, tous les membres de la
magistrature et du barreau des autorités civiles et
militaires; des personnes appartenant a diverses ad
ministrations; des amis, des connaissances.
Ce citoyen dévoué, que la mort vient d'enlever a
tant de coeurs reconnaissants, laisse d'unanimes re
grets. Son affabilité connue de tous, sa probité, son
désintéressement el son savoir modeste lui avaient
fait mériter, a juste litre, la sympathie générale.
Voici les paroles prononcées sur sa tombe par
M. l'avocat Bossaert
Messieurs,
Ne quittons point cette tombe sans dire un dernier
adieu aux restes que nous y sommes venus pieuse-
rnent déposer.
Le Barrau éprouve d'ailleurs le besoin de consa-
crer, par quelques mots d'éloges et de regret, la mé-
moire de celui qui, durant plus de trente ans, fut un
de ses membres les plus estimés.
Oui, messieurs, nous tous, ses confrères et ses
amis, nous aimions Comyn d'une sincère et vive af
fection... C'est qu'il portait en lui, avec un esprit fa
cile et judicieux, un coeur tout plein de bons etgéné-
reux sentiments.
C'est justice et devoir de le proclamer sur sa
tombe si, parmi les vertus que requiert la profes
sion du Barreau, la probité, le désintéressement et la
droilure comptent au premier rang, personne plus
que Comyn ne fut digne de porter la robe et d'être,
prés de la Justice, l'interprète et le dófenseur des in
téréts litigieux.
Et cette sévère probité qu'il apportait dans tous ses
conseils et dans les relations de sa clientèle, devenait
scrupuleuse loyautó dans ses procédures et dans les
relations avec ses confrères. 11 tenait pour principe
et règle constante de conduite, que la franchise et
l'honnêteté des moyens ne se doivent jamais séparer
de la justice des causes, et que le droit ne doit jamais'
triompher qu'a l'aide de la siucérité.