Chroilique cléricalc.
On parle beaucoup depuis quinze jours d'un gros
petit scandale donl une commune de l'arrondisse-
ment aurait étIe théalre. II ne s'agirait de rien
nioins que do souiïlets administrés par un oint une
pauvre nonette une scène dans Ie genre de celles
qu'on trouve dans le fameux roman de M. I'abbó
mis a l'index comme hautement diffamatoire Si les
aits sont réels, le Journal d'Ypres, a même d'être
bien renseigné, a perdu une belle occasion d'illuslrer
son premier numéro par le récitdeces v acta sancti
Mais les faits sont-ils vrais Voila sans doute ce
que dame Thémis voudra rechercher. En attendant
que lumière se fasse, nous réserverons nos reflexions.
Espérons loutel'ois que !a rurneur aura grossi les cho-
ses. Qu'un oint s'oublie prés d'une religieuse jus-
qu'ala battre, ce serail un peu fort el comme
chez Nicolet.
Le Roi a encore recu les adresses des Conseils com-
munaux de Staden, Becelaere, Westroosebeke, Zon-
nebeke, Rousbrugghe-Haringhe, St-Jean-lez-Ypres,
Zuydschote, Boesinghe, Hollebeke, Dranoutre, Dicke-
busch, Reninghelst, Crombeke, Wulverghein, Elver-
dinghe, Stavele, Weslvleteren, Houthem-lez-Ypres,
Zandvoorde, Zillebi ke.
De la Société d'Agriculture de l'arrondissement
d'Ypres.
De la Société des Francs-Bouleurs, a Ypres.
Nous rappelons au public que le projet de modifi
cation au tracé du canal, düa l'initiative du Gollége
échevinal, est exposé dans la Salie Bleuea l'inspec-
tion de tous ceux que la chose intéresse.
Chroniquc des Conférences.
(Suite.)
Pas plus que M. Bancel nous ne rechercherons
s'il existe un enchainement entre les divers carac-
lères si parfaitement détaillés par La Bruyère nous
nous contenterons de butiner, un peu a l'aventure,
dans sou oeuvre.
Une remarque cependant sur la composition de ce
livre De même que le lieu qui en unit les chapitres
paraitse dérober a l'esprit, de même toute transition
soluble fréquemment faire dèfaut d'une phrase a
l'autre, on sent que l'auteur, avide d'effct, veut avant
tout étonner ses caractères reprcseutent, du reste,
comme l'observe M. S'° Beuve, une somme d'addi-
tions palicntes et ingénieuses; ce ne sonl point des
portraits fondus d'un jet ni rassemblés dans l'éclair
d'une physionomie.
M. Bancel a emprunté a cel écrin d'aphorismcs ci-
selés quelques-uns de ses plus riches joyaux.
Le chapilre 111 traite des femmes La Bruyère
pense que le naturel est la première de leurs graces,
el l'on ne peut être que de son avis
Quelques jeunes personnes, dit-il, ne connais-
n sent point assez les avautages d'une heureuse na-
humain produit sur des personnes aliénées un etfet
salutaire, il s'èvertua a tenir sou unique organe de
vision constamment fixésur la personnede M. Alexan
dre Trott. Ce touriste infortuné fixait a son tour ses
regards sur son trop consciencieux geölier, jusqu'a ce
que les traits de ce dernier lui parurent de moins en
moins distinctes, ses cheveux moins roux et que l'ap-
partement prit une teinte plus brurneuse et plus
sombre M. Alexandre Trott tomba alors dans un
sommeil bienfaisant et profond d'oü il ne fut tiré que
par l'arrivée d'une voiture el par les ci is poussés et
répétés par toute la valetaille. Voilure a quatre
chevaux pour Ie numéro vingl-cinq. A ces cris
succéda un lumulle inusité sur le grand escaiier; la
porie s'ouvril au large et livra passage a M Joseph
Overton, suivi de quatre domesliques bêtis en her
cules et de Mmc Williamson, l'hötesse replète des
Armes de ffinglebury.
M. Overton! s'écria M. Alexandre Trott, bondis-
sant de sa chaise comme mü par un ressort et saisis-
sant, dans un accès de frénésie, les deux mains de
l'honorable magistral. M. Overton, regardez eel indi-
vidu-la et considérez la situation oü je me suis trouvé
durant trois heures1'homme que vous avez en-
voyé pour me proléger plutót que pour me garder,cet
hoinme est foufou, vousdis-ja, fou furieux,foua lier!
ture, et comme il leur serait utile de s'y abandon-
ner. Ellcs affaiblissent ces dons du ciel, si rares et
si fragiles, par des manières affectées et par une
mauvaise imitation. Leur son de voix et leur dé-
marche sont emprunlés. Elles se composent, elles
D se recherchent, regardent dans un miroir si elles
v s'éloignent assez de leur naturelce n'est pas sans
peine qu'elles plaisent moins.
Et puisSi les femmes veulent seulement être
belles a leurs propres yeux et se plaire a elles-mê-
mes, elles peuvent sans doute, dans la manière de
f s'embellir, dans le choix des ajustements et de la
parure, suivre leur goüt et leur caprice; mais si
c'est aux hommes qu'elles désirent de plaire, si c'est
pour eux qu'elles se fardent ou qu'elles s'enlu-
minent, j'ai recueilli les voix, et je leur prononce,
de la part de tous les hommes ou de la plus grande
partie, que le blanc et le rouge les rendentaffreuses
et dégoütantes.
lei encore et toujours, le beau, c'est la splendeur
du vrai.
La Bruyère s'attaque surtout aux travers de l'hu-
manité; il faut croire que les femmes de son temps
n'en étaient guère exemptes, car il est long, le cha-
pitre IIImais si le beau sexe n'y est pas épargné,
le sexe laid y trouve aussi son compte
II y a telle femme qui anéantit ou qui enterre
son mari, au point qu'il n'en est fait dans le monde
aucune mentionvit-il encore? ne vit-il plus? on
en doute. 11 ne sert dans sa familie qu'a monlrer
l'exemple d'un silence timide et d'une parfaite
soumission. II ne lui est dü ni douaire ni conven-
tions mais a cela prés, et qu'il n'accouche pas, il
est la femme et elle le mari. lis passent les mois
entiers dans une même maison sans le moindre
danger de se rencontrer il est vrai seulement
qu'ils sont voisins. Monsieur paye le rótisseur et le
cuisinier et c'est toujours chez Madame qu'on a
soupé. I! n'ont souvent rien de commun, ni le lit,
ni la table, pas même le nom; ils vivent a la ro-
maine ou a la grecquechacun a le sienet ce n'est
qu'avec le temps, et après qu'on est initié aujar-
gon d'une ville, qu'on voit enfin que monsieur B..
est publiquement, depuis viugt années, le mari de
madame L..
Vous aimeriez mieux être Madame? Monsieur B..
I'aimerait mieux aussi.
11 ne faut pas penser qu'a propos des femmes La
Bruyère ne fasse résonner que celto corde ironique;
il montre aussi qu'il s'est parfois humanisé el qu'il
n'était pas aussi sauvage qu'on pourrait le croire;
c'est lui qui a dit L'harmonie la plus douce est le
son de la voix de celle que l'on aime.
Sur cette charmante observation quittons le cha
pilre III et descendons avec La Bruyère dans une pe
tite ville du xvii® siècle; vous vous imaginez coinbien
sa malice va s'y d inner carrière
II y a une chose qu'on n'a point vue sous le ciel,
et que selon loutes les apparences on ne verra ja-
mais c'est une petite ville qui n'esi divisée en au-
d cuns partis, oü les families sont unies, et oü les
cousins se voienl avec confianceoü un mariage
n'engendre point une guerre civileoü Ia querelle
o des rangs ne so réveille pas a tous moments par
Bravo 1 fit Overton tout bas.
Le pauvre jeune hoinme I ajouta la compatissante
Mm® Williamson; les fous s'imaginent toujours que
ceux qui les entourent sont fous.
Le pauvre jeune homme répéta M. Alexandre
Trott d'une voix suflbquée par la colère. llé, mille
lonnerres! que prétendez-vous dire avec voire excla
mation de pauvre jeune homme! Êtes-vous l'hötesse
de céans
n Certainement, certainement, répliqua la vieille
dame; mais'calmez-vous, de grace songez done qu'on
vous attend; mènagez vos forces; allons, du calme!
Ménager mes forces, cria ou hurla M. Alexandre
Trottménager mes forces mais a qui dois-je done
d'avoir encore un souffle de vie alors que grace a vous
je falllis être assassiné, rompu vif par ce monstre de
borgne a la tête couverte d'étoupes. Comment osez-
vous garder un fou, Madame, comment osez-vous
garder un homme qui assaillit les voyageurs, qui les
ette dans les plusgrandes terreurs?
Capital! bien jouél fit M. Overton sotta voce, en
même temps qu'il euveloppait M. Alexandre Trott
d'un épais manteau de voyage.
Bien joué I monsieur, répéta Trott a haute voix
mais c'est horrible I mais le souvenir seul de la chose
me fail encore frissonner. Pardieuje préférerais me
s I'offrande, I'encens et le pain bénit, par les proces-
sions et par les obsèquesd'oü l'on a banni les
caquets, Ie mensonge et la médisance oü l'on voit
parler ensemble le bailli et le président, les élus et
les assesseurs; oü le doyen vit bien avec ses cha
in noines, oü les chanoines ne dédaignent pas les
chapelains, et oü ceux-ci souffrent les chanlres.
Le terrible homme! il n'y a pas couché deux nuits
et déja il connait tout le mondei
Mais voila qu'il fait entendre des accents plus gra
ves et plus eloquents; le champ de ses observa
tions s'élargit et son esprit va jusqu'a embrasser son
époque toute entière les crands saus pudeur, le
peuple qui soutïre, le cuile de l'or, la pensée bail-
lonnée, la iiberté de conscience proscrite, l'hypocrisie
a la mode.
C'est ici que sous l'apparente variété des sujets
qu'il aborde on pourrait distinguer le lien qui les unit;
ce n'est a rien moins qu'a son siècle tout entier qu'il
en veut; il écarté la pourpre qui recouvre la monar
chie absolue et met a nu l'horrible mal qui la ronge.
Comme La Fontaine il est du parti des colombes
contre le milan
Si je compare ensemble les deux conditions des
hommes les plus opposées, je veux dire les grands
avec Ie peuple, ce dernier me parait content du
nécessaire, et les autres sont inquiets et pauvres
s avec le superflu. Un homme du peuple ne saurait
faire aucun mal; un grand ne veut faire aucun
bien, et est capable de grands mauxl'un ne se
forme et ne s'exerce que dans les choses qui sont
utiles; l'autre y joint les pernicieuses la se mon-
trent ingénument la grossièreté et la franchiseici
se cache une sève maligne et corrompue sous
l'écorce de la politesse le peuple n'a guère d'es-
pril; el les grands n'ont point d'aine celui la a un
bon fondset n'a point de dehors; ceux ci n'ont
que des dehors et qu'une simple superficie. Faut il
opler? Je ne balance pas, jo veux être peuple.
II a un pied dans le despotisme et un pied dans
la Iiberté, dit M. Bancel; en même temps que précep-
leur des Condés, il est peuple; ce n'est pas des Gon-
dés que lui vient son indépendance, c'est du peuple.
Duns la bourgeoisie il apercoit
Des ames sales, pétries de bave et d'ordure,
o éprises du gain et de l'intérêt, comme les belles
ames le sont de la gloire el de la verlu capables
d'une seule voluptó, qui est celle d'acquérir ou de
ne point perdre; curieuses et avides du denier di»;
uniquemenl occupées de leurs débiteurstoujours
inquiètes sur le rabais ou sur le décri des monnaies
enfoncées et comme abimées dans les controls, les
titres et les parchemins. De telles gens ne sont ui
parents, ni amis, ni citoyens, ni chréliens, ni peul-
être des hommes ils ont de l'argent.
Jean Jacques dira Ces ames cadavéreuses I Pour
treute deniers, comme Judas, ces hommes de boue
vendraient leur Dieucombien deinanderaient-ils pour
leur nationalité a II n'y a pas de patrie dans le des-
polique, dit La Bruyèreces gens-la n'ont jamais
de patriela Iiberté, I'indépendance, ce qui fait la
dignité humaine, que leur importe?
II va sans dire que La Bruyère reud justice a ce
battre quatre fois en duel en trois heures de temps, si
je tuais mes trois premiers adversaires, que de rester
aussi longtemps face a face avec un fou.
C'est parfait, fit Overton a voix basse; continuez
ainsi quand vous descendrez l'escaliervotre carte est
payée; j'ai fait metlre voire porte-manteau dans la
voiture. Puis il ajouta a haute voix Maintenant, gar-
50ns, monsieur est prêt.
A ce signal, les garcons d'hótel entourèrent
M. Troll l'un d'eux s'empara de son bras gauche,
l'autre saisit son bras droit, un troisième, armé
d'une bougie, marcha devant lui et un quatrième,
égaiement armé d'une bougie, le suivaitd'autres
domesliques y compris le Boots avec son gourdin, fer-
maient la marche avec M. Williamson a leur tête. La
desceule s'opéra non sans protestation de la part de
M. Trott qui, monlant sa voix a un diapason aigu,
exprimail soit sa feinte opposition a son départ forcé
ou sa réelle indignation d'avoir été enfermé avec un
fou.
M. Overton attendait prés de Ia voilure; les postil
lons furent bienlöt sur leurs siéges ou sur leurs che
vaux quelques palefreniers et d'autres domesliques
pour tout faire se lenaienl alenlour pour être té-
moins du départ d'un gentleman fou.
(A continuer