dignité, répondaux demandes de satisfaction qui lui sont adressées en second lieu, paree que je regarde- rais toujours comme peine perdue d'exiger quoi que ce soit d'un homme qui épie l'instant oü vous avez le dos tourné pour se servir deson courage. Tel est l'état des négoeialions jusqu^ ce jour. En les exposant dans leur simple vérité, j'ai pour unique but de prévenir les interpretations, malveillantes pour mai, qui tenteraient de se faire jour. Je vous remercie, Monsieur, de l'hospitalité que vous me donnez dans vos colonnes et je vous prie d'agréer, etc. J. Capron. L«s Travailleurs de la lier, par Victor HUGO. Nous ne résistons point au désir de donner une analyse rapide de eette nouvelle oeuvre du maitre il nous semble qu'il est bon que la presse de province ne demeure point étrangère au mouvement littéraire et nous nous plaisons a associer notre sympathie aux manifestations qui accueillent l'ouvrage du grand poëte. La trame du roman est d'une simplicité extréme Gilliatl aime Deruchette; pour elle il accomplit un travail surhumain mais Deruchette aime Eliezer CaudrayGilliatt se sacrifie, il marie Deruchette et Eliezer et se tue. Sur cette donnée, le poëte a conslruit une épopée. Gilliatt est une nature profonde, concentrèe, indé- pendante e'est une conscience; avant qu'il ne ren contre Deruchette, il a ce calme dont nous disons Stille waters, diepe grondence calme, qui cache la tempête. La lempête éclale au jour que Deruchette, plus innocemment coquette que la Galatée de Virgile, écrit le nom de Gilliatt sur la neige Gilliatt est amou reus et, dès lors, sa peine se manifeste d'une fagon qui est bien celle des ames renfermées el fortesil regarde Deruchette par dessus le mur de son jardin, écoutc son piano qui chante et, par les nuits noires, joue sur sa cornemuse écossaise l'air Bonny-Dundee que Deruchette affectionne. II necherche point a plaire autrementil se complait dans ce sentiment melanco- lique et semble avoir le pressentiment de l'anankè de l'amour qui pèse sur lui. Combien vraie est la conduite de Gilliatt el comme la devination du poëte est süre Gilliatt est l'antithèse d'un Don Juanon peut dire de lui ce que Goëlhe dit, dans Wilhelm Meisterd'un de ses personnages En aimant il ne savait. pas être aimable. n Deruchette est une ravissante créature, un oiseau qui a la forme d'une fille, joues roses et regards bleus. Un autre acteur du drame, et non le moins impo sant, e'est la Durande, un bateau a vapeur, que la bonne gent dévote de Guernesey appelle le devil- boat, et qui est si bien une oeuvre du diable qu'il lui arrive malheur. Ce bateau a vapeur apparlienl a I'oncle de Deru chette ce naufrage ruine Deruchette et son oncle. La Durande est clouèe sur un rocher a cinq lieues en pleine mer, mais, par un hasard providentie!, la machine est demeurée intacte La mécanique est en vie, dit Inbrancam le chauffeur. Gilliatt entreprend de sauver la machine Deru chette sera le prix du combat singulier qu'il va sou- tenir contre la mer. C'est ici qu'éclate principalement la grandeur de l'oeuvre La pensée du poëte est celle-ci la puis sance humaine est inflnie; rien ne résiste a la volonté inflexible; l'intelligence a raison des forces naturelles en les disciplinant. Gilliat est seul en présence de l'Océan immense, il doit lui arracher sa proie., Vous êtes-vous arrêté parfois immobile dans la contemplation de la vaste mer, perdu dans cette étendue, écrasé par cette masse qui roule, dans sa majesté fiére, ses flots innombrables Vous êtes-vous demandémoyennant quels efforts l'humanité, cavalier gigantesque de ce coursier Titan, est parvenue a faire de eet adversaire un aliié Gilliatt a l'ême de bronze de celui qui le premier affronta la colère de l'Océan, illi robur et ces triplex. Robinson volontaire, pendant deux mois il se livre a ce labeur herculéen Sur un rocher s'accomplit touie une Odyssée. Tantót la mer, comme pour faire a son hóte les honneurs de son domaine, conduit Gilliatt dans l'alhambra qu'elle s'est construit dans le roe tantót, dans ce palais même, elle suscite a Gilliat un èunemi, la pieuvre, ce haillon vivant, qui est armée dequatre cents ventouses et n'est vulnerable qu'è la lête. Tantót enfin l'abime se décide a livrer a Gilliat le grand combat. II faul lire cette lutte terrible entre l'Océan dé- chainé et une créature humaine. La langue de Victor Hugo est faite pour de pareils tableaux c'est le pinceau de Michel Ange peignant la Chapelle sixtine. On n'imagine rien de plus grand. Gilliatt triomphe de tous les dangers conjuréscontre lui et rentre a Guernesey, la machine amarrée sur sa barque. C'est la nuit; il aborde, il court au jardin de Deruchette et trouve Romeo aux pieds de Juliette. Vous vous souvenez de la tempête sous un crane, dans les Misérables; il se passé en Gilliatt ce qui s'est passé en Valjean. Deruchette n'aime pas Gilliatt, elle aime Eliezer que Deruchette et Eliezer söTent unisl Le lendemain ils sont mariés, Gilliatt l'a voulu. Et lui Gilliatt, le héros, que va-t -il faire? Pared a Charles Meoor qui, dans les Brigands de Schiller, va, quand il a sacrifié Amélie, demander a la société qu'il a combaltue la mort qu'elle lui ré serve, Gilliatt va se remettre aux mains de sou en- nemi de la veille la marée qui monte engloutil Gil liatt au moment oü disparail a l'horizon le navire qui emporte Eliezer et Deruchette. Gilliatt, eet athlète, ce victorieux Giilialt qui a Iriomphé de l'anankè des choses échoue misérable- ment devaut l'anankè de l'amour. Maitre, tu n'as done fait Gilliatt si grand que pour le précipiter de toule sa hauteur dans le suicide? Et quelle Sme désespérée résistera a l'attraction du tom- beau si une ame comme celle de Gilliatt se laisse en- trainer par la folie de la douleur? Tu nous avais donné, poëte, un rêve merveilleux nous assistions pleins de confiance a cette lutte splendide de la vo lonté de l'homme aux p'rises avec les forces indiscipli- nées de la nature nous nous écriions, pleins d'un genéreux orgueit, que la raison est maitresse de la matière; tu nous faisais entrevoir pour la puissance humaine un avenir éblouissant; et puis, nous sui- vions, avec une foi si entière, ce Gilliatt livré a ses instincts, cette plante sauvage, abandonnée a elle- même; nous faisions avec lui comme une grande ex- périence la société n'avait point mis sur lui son em- preinte; de quel cóté peneberait cette nature vierge? El nous la voyions forte, robuste et grande; et nous proclamions déja que la nature conduit infailliblement l'homme au bien et qu'il sufflt de la laisser faire. Mais voila qu'arrivé au moment suprème Gilliatt nous trahitDans ce combat de la passion et du de voir sa volonté chancelle; ou plutót, non sa volonté ne chancelle point; dès qu'il a perdu Deruchette son suicide est accompli 1 II y a heureusement autre chose en ce monde que le bonheur, a dit Ampère; il appartenait au grand 'poëte de donner a Gilliatt I'intuition de cette belle parole. Sans doute les Travailleurs de la Mer sont une ceuvre magnifique, mais il s'en fut dégagé une moralité plus haute si Gilliatt avait èté vainqueur du vaulour que Ie poëte lui attache au flanc et avait ainsi témoignè que les Dieux ne sont plus jaloux de Pro- melhèe. BIltLlOGRAPHIE. files Bibliothèques Populaires, par M. J.-B Arixoot. II vient de paraitre a Bruxelles une brochure inti- tulée Les Bibliothèques populair es, par M. J.-B. Annoot. M. Annoot n'est pas un inconnu. Professeur distin gue de malhématiques supérieures l'Athenée roval de Bruxelles, il s'est deja signalé dans le monde des penseurs par un reruarquable Essai sur la méthode. On se rappelle aussi avoir lu de lui d'excellentes Con siderations sur l'Enseignementservant de preface a un Projet de reorganisation de la Section profession- nelle a PAthénée de bruxelles. travail dont il fut chargé par M. le bourgmestre de celle ville, conjointement avec MM. Gauthy et Marchand. Expérimente dans toutes les choses qui touchent a l'instruction, esprit large, ferme et convaincu, coeur droit, généreux et ardent, M. Annoot est l'homme qu'il fallait pour plaider cette grande cause des Bi bliothèques populaires, qui n'est autre que celle de l'ouvrier honnête el digne, demandant a la société sa légitime part de lumière intellecluelle et morale, et sa place au banquet de la civilisation. Dans ce moment oü la question sociale de l'ensei- gnement primaire est partout a l'ordre du jour; oü tous les esprits sérieux se coalisent contre l'ignorance, cette vieille ailiee de tous les despotismes, et réelament énergiquement pour le peuple une plus forte diffusion d'instruction, la brochure de M. Annoot arrive a point nommé, avec tout le mérite de l'a-propos et de l'ac- tualité. Quel esprit sensé et réfléchi n'apercoit, en effet, l'intirne rapport qui existe entre l'école primaire et la Bibliothèque populaire, l'une formant le complé ment de l'autre, celle-ci devant entretenir, continuer et développer l'enseignement de celle-la"?Elpour- tant, il s'en faut que tout le monde soit convaincu de l'utilité, et moins encore de la nécessité qu'il y a de créer partout des Bibliothèques de l'espèce.M. An noot pense que ce qui s'oppose surtout a la propaga tion de ces établissements, c'est l'incerlilude du suc ces, le manque de confiance dans leur avenir et l'in- différence supposée du public pour la lecture. Or, ce sont la des idéés fausses craintes sans fondement, doutes sans raison, auxquels l'auteur répond par de uombreux faits qui démontrenl, a la dernière évi- deuce, que ce ne sont pas les lecteurs qui manquent aux livres, mais les livres qui font défaul aux lec teurs. Et, a ce propos, M. Annoot cite l'exemple sai- sissant du célèbre Franklin, l'inventeur des Biblio thèques populaires. Franklin se trouvail dans les plus mauvaises conditions possibles lorsqu'il entreprit son oeuvre. II habitait Philadelphie, alors petite ville de 10,000 êmes, située au milieu d'un désert. C'était en 1730, c'est-a-dire une époque oü la civilisation commencait seulementa poindre dans l'Amériquedu Nord. Les livres étaient rares et chers il fallait les faire venir d'Angleterre, de plus de mille lieues, a travers l'Océan. Eh bien malgré ces conditions dé- favorables et tous ces obstacles, Franklin réussil et bien au-dela de ses espérances. Son exemple trouva de nombreux imitateurs. Sa Bibliothèque de Philadel phie fut une mère féconde il surgit des Bibliothèques populaires partout et la lecture devint a la mode, comme il le dit lui-même dans ses Mémoires. Depuis lors, combien de créations nouvelles et quelle im mense trainée de lumière sur le sol de l'UnionCet exemple si frappant, si pèremploire, répond aussi a ceux qui s'effraient des obstacles matériels et s'itna- ginent qu'il faut de grosses dépenses pour fonder une Bibliothèque dans une commune. L'auteur démontre au surplus qu'il n'en coüte guèrequ'une première misedeoO a 100 francs suffit, et qu'avec 200 francs on peut déja se procurer une excellente collection de bons livres. Abordant toutes les questions que la matière peut soulever et les résolvant toutes, l'auteur, après avoir demontré l'utilité des Bibliothèques et la facililé de leur création, examine successivement qui doit les fonder et quels moyens il faut mettre en oeuvre pour les propager. Sur le premier point, il se prononce pour les communes, de préférence a l'Etat et aux Pro- vinces, auxquels il suffit d'intervenir par des sub sides. C'est pour elles un devoir strict, dit-ii, et nous partageons complètement sou avis. Non, Ia commune n'a pas rempli toutes ses obliga tions lorsqu'elle a fondé une école. Souvent même, trop souvent, l'instruction qu'elle y donne demeure une oeuvre stérile. L'enfant quitte le maitre a 12 ou 14 ans et les lecons s'oublient bien vite dans le milieu d'ignorance oü il est force d'entrer, A partir de ce moment plus de livres, plus de rayon de lumière ve- nant rèchauffer son coeur et vivifier son intelligence. Le travail dans les ténèbr.s, et pour distraction les plaisirs abrutissants du cabaret I Ah! il faut lire la dessus les eloquentes considèrations de l'auteur. De quelle vérité elles sant empreintes l Sur l'autre point, les moyens de propagation, M. Annoot recommande vivement les associations comme étant les meilleurs véhicules de l'idee. C'est dans les pays oü l'esprit d'association est le plus ré- pandu que les Bibliothèques,poputlaires ontpris nais- sance et se sont Ie plus rapidement développëes. La Belgique, sous ce rapport, est demeurée en arrière non-seulement de l'Amerique, mais de l'Angleterre, de l'Ecosse et de la France peut-être aussi de ('Alle- magoe. L'association, qui a produit chez nous de si grands résultats dans le domaine industriel et écono- mique, n'a presque rien fait encore dans la sphere de l'enseignemenl. Mais le signal est donne. II vient de se créer a Bruxelles une Sucietè puissante qui, il le faut espérer, saura donner l'impulsion dans tout le pays. La Ligue de PEnseignement se trouve toute for- mèe, dit l'auteur, pour mener ii bonne fin une sem- blable entreprise. Elle réussira sans aucun doute, a la condition qu'il se rencontre, nous ne dirons pas dans

HISTORISCHE KRANTEN

L’Opinion (1863-1873) | 1866 | | pagina 3