JOURNAL D'YPRES DE L'ARRONDISSEMENT
YPRES, Dimancbe
Quatrième année. N° 31.
5 Aoüt 1866.
1
Paraissant le dimanche.
PK1X IVABOMEMEXT
POUR LA BELGIQUE
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L'OPINION
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Ypres, s Aoüt iseo.
La politique que les victoires de l'armée prussienne
imposent I'Allemagne ne se trouve pas tout entière
dans les préliminaires de paix posés a Nikolsbourg.
Elle s'accuse et se compléte par d'autres faits qui ne
doivent pas passer inaper^us devant le public, car ils
indiquent seuls, dans toute leur étendue, les desseins
politiques dont on poursuit a Berlin la realisation. Ce
que M. de Bismarck accomplilen ce moment, au mi
lieu de Feffroyable intimidation qui pèse sur I'Alle
magne, c'est déja la constitution au nord, d'une vaste
monarchie militaire, désormais compacte dans son
terriloire, s'ouvrant sur la mer par les ports du Ha-
novre, et faisant face au sud par la longue ligne du
Mein. Ce qu'il prépare, c'est l'absorption compléte de
I'Allemagne dans cette monarchie, et la reconstitu-
tion, au profit de la couronne dont il est le ministre,
d'un empire germanique dont la puissance d'action se
serait accrue de tous les progrès de la civilisation mo
derne et qui serait bientót amené par ses conditions
géographiques el par ses ambitions, a exerccr sur
l'Europe la plus redoutable suprématie.
II résulte de ces sous-entendus de la politique prus
sienne que les projets accomplis au grand jour ne
constituent pas le véritable but des efforts que l'on
a tentés, tandis que ce but apparait avec une incon
testable évidence dans les plans que l'on désavoue.
L'habileté de M. de Bismarck consisle a assurer le
succès des ambitions qu'il ajourne, en executant de
ces vastes desseins la portion necessaire pour amener
dans l'avenir leur compléte realisation sans éveiller
en Europe de sérieuses inquietudes et en France des
susceptibilités trop legitimes pour être sans peril. Le
gouvernement prussien s'attache done a faire ressor-
tir par ses organes officiels la moderation de ses de-
mandes après d'aussi soudaines et décisives victoires
montrons, a notre tour, en quelques mots, ce qui se
cache de prétent ions extrêmes sous cette apparente
modération.
Et d'abord, le Moniteur prussien déclare que le seul
but du gouvernement est de donner a la Prusse, dans
la repartition des territoires des Etats, une base mieux
déterminée. Rien n'est, sans aucun doute, plus mo
deste ni plus rassurant pour l'Europe qu'un tel lan-
gage. Mais la presse officieuse, plus libre dans ses al
lures, quoique non moins autorisée dans ses declara
tions, la Gazette de VAllemayne du Nord, la Gazette
nationale, la Cotrespondance provinciale, revendique
pour la politique de M. de Bismarck, l'honneur de pre
parer el d'accomplir dés maintenant l'oeuvre d'unité
dont la pensee a été depuis sept ans le lien du Natio
nal verein, et que le hardi ministre du roi Cuillaume
a fait sortir des stériles débals des associations popu
lates pour, la faire entrer dans les conseils actifs de
son pays et de son souverain. Devant ces affirmations
contradictoires, qui pourrait hèsiter a reconnaïtre ófi
est la sincérité Le Moniteur prussien est écrit pour
les cours étrangères et les chancelleries les organes
officieux répondent a l'orgueil de la nation, dont ils
ont pnur têche d'affermir, d'exalter et de diriger le
patriotisme.
En second lieu, les représenlants de la Prusse ne
comprennent dans les préliminaires dont l'Autrichea
subi la dictée Nikolsbourg qu'un plan général d'or-
ganisation de I'Allemagne du Nord; il s'agit pour la
Prusse d'organiser fortement ses pays au-dessus du
cours du Mein et, pendant que ces actes se signent,
les agents du cabinet de Berlin, les membres du parti
de Gotha, tous ceux qui, dans le sud, se sont associés
au rêve d'une patrie germanique absorbant dans son
unité les souverainetés détruites des divers Etats,
tous les politiques que le mouvement italien entraine
dans une dangereuse imitation, font circuler, comme
dans le grand-duchè de Bade, des pétitions annexion-
nistes, pour lesquelles ils recueillent les signatures de
ceux qui sont las de la pratique 'paisibie des libertés
publiques sous une domination éclairée.
Cette tactique, qui apparait, ici, dans les jonrnaux,
lé dans les tentatives de manifestations publiques, se
poursuit dans les négociations elles-mêmes. Avant
Couverture des hostilités et pendant la guerre, la
Prusse n'a pas eu assez d'accusations contre l'asser-
vissement des Etats secondaires qui avaient aliéné,
disait-elle, leur indépendance dans les mains de l'em-
pereur Francois Joseph, et qui, après avoir fait de la
politique autrichienne leur politique, allaient faire de
leur armée une armée autrichienne. Mais la victoire
obtenue, lorsqu'il s'est agi de traiter avec I'Autriche
plus encore demoralisée que vaincue, on a isolé ces
Etats de cette même alliance, on a refuse de les com-
prendre, et dans les bases de l'armistice et dans les
préliminaires de la paix, de fagon a ce que, terrifiés
de eet abandon, réduits leur propre faiblesse, sans
chef, sans lien comnrun dans ce désordre des trans
formations accomplies par la guerre, ils tombent a la
merci de la force et s'inclinent devant le vain-
queur.
Enfin, le dernier trait et le- plus caractéristique
peut-être de la politique de M. de Bismarck, c'est la
brusque rupture des liens du Zollverein qui unis-
saienl comme dans un faisceau ['industrie allemande,
et qui l'avaient vivifièe en donnant pour marché aux
produits particuliers de chacun des Etats I'Allemagne
tout entière. Aujourd'hui, dans le négoce comme
dans la politique, on veut concentrer dans le Nord
toute l'activité et toute la puissance, afin qu'il ne
tarde pas a n'y avoir plus qu'une armée allemande,
l'armée prussienne; qu'un commerce allemand, le
commerce prussien et que par eet irrésistible attrait
de Faction et de la vie, les Etats restés en dehors de
la Confédération qui s'organise sous l'autorité de la
Prusse cherchent d'eux-mêmes a élargir le cercle de
cette domination pour y pénétrer et s'y asservir a
leur tour.
Ces faits ont la clarté de l'évidence et ils aug>
mentent, suivant nous, d'une manière terrible, de
vant le sentiment public de I'Allemagne et devant
l'Europe, la responsabilité des resolutions suprêmes
auxquelles I'Autriche a cédé après une seule défaite.
Si les préliminaires signés a Nikolsbourg étaient con-
firmés par une paix definitive, ce ne seraient pas
seulement la Prusse agrandie, les Etats du Sud
isolés et I'Autriche annulée dans les conseils de l'Eu
rope; mais ce serait I'Allemagne livrée avec toutes
ses forces politiques, militaires et économiques, a une
domination nouvelle et a une des plus redoutables,
par ses tendances, que l'histoire ait connues.
La Correspondance provinciale, de Berlin, l'un des
organes par lesquels M. de Bismarck aime parler au
public, nous apporte une nouvelle edition des préli
minaires de Nikolsbourg. Elle ajoute peu de chose
ce qu'on saVait déja mais elle precise, d'une manière
très-remarquable et avec une singulière insistance,
Ie caractère absolument discrétionnaire que la domina
tion de la Prusse va exercer dans le Nord de I'Alle
magne. On sait déja que le roi de Saxe doit, l'inter-
vention de la France et a la condescendance amicale
du roi Guillaume, la consolation de conserver sa cou
ronne et l'intégrité de soa territoiremais lui-même
ne sait probablement pas encore, a l'heure qu'il est,
quels droits demeureront attachés a son litre et ses
functions, car la position de la Saxe dans la Confó-
d dération du Nord et vis-a-vis de la Prusse, de-
meure réservée a des décisions ultérieures,
c'est-è-dire au pur arbitraire prussien. Le roi Jean
continuera d'être appelè roi par un nombre délerminé
d'hommes appelés sujets; mais, pour le reste, il de-
vra s'en rapporter a la bonne amitié de son frère de
Prusse. Quant aux autres pays occupés militaire-
ment, qui sont le Hanovre, la Hesse-Electorale, une
partie de Hesse-Darmsladt, le duché de Nassau et
Francfort, le roi Guillaume s'est réservé la faculté de
leur appliquer le droit absolu de la guerre, c'est-è-
dire la confiscation de ['existence politique. II n'est
pas ici question de consulter les populations. Le Ha
novre et les autres Etats qui sont placés dans la
même situation subsisteront ou ne subsisteront pas,
selon qu'il plaira au roi de Prusse et a son ministre.
C'est pis encore que si leur anéantissement avait été
stipulé dans les préliminaires. On aurait ainsi au
moins eu l'air de s'occuper d'eux et de les compter
pour quelque chose. II n'y a pas de sort plus degra
dant que de dépendre ainsi du caprice ou de l'intérêt
d'un homme, et nous ne croyons pas que l'histoire
moderne offre un exemple d'un pareii triomphe de
l'arbitraire. Et eet arbitraire est du luxe. La frénésie
unitaire des Allemands permet de croire, en effet,
que si les populations des Etats vaincus étaient appe-
lées voter, elles se prononceraient pour la Prusse
avec fanatisme; mais on ne veut pas les consulter, et
on ne les consultera pas, paree qu'on ne veut rien
avoir de commun avec le droit moderne dans le
triomphe de la Prusse, on veut faire voir au monde
le triomphe du droit divin. Les vainqueurs de Sadowa
répudient tout commerce avec la démocratie. Cela
fait partie de leurs grandes visèes, et leur patriotisme
ne peul se contenter a moins.
La Correspondance prussienne se demande si toutes
les souverainetés actuellement renversées demeure
ront supprimées et morles. Elle pense qu'un sourire
condesceudanl du roi de Prusse pourra bien rappelef
a la vie l'une ou l'autre d'entre elles, mais ce serait
un acte purement gracieux de la couronne de
Prusse, d et il y faudrait regarder a deux fois. En
somtne, la Correspondance eslime que tous les pays
ci-dessus mentionnés seront purement et simplement