JOURNAL D'YPRES DE L'ARRONDISSEMENT
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La contrainte par corps.
La Chambre des reprêsentants s'apprête a rejeter
le projet de loi abolissant la contrainte par corns. La
presse libérale jette les hauts oris, I'opinion publique
proteste et s'indigne peine perdue rien n'y fera et,
cette fois comme dans la question de la peine de mort,
M. le ministrede la justice en restera pour I'honneur
de 1'avoir entrepris.
Ceci n'a rien qui nous étonne. Nous savons depuis
longtemps a quoi nous en tenir sur les sentiments
soi-disant libéraux de la majorité parlementaire, et
les dispositions qu'elie manifeste a l'égard de la con
trainte par corps ne nous ont rien appris, sous ce
rapport, que nous ne sussions dojè parfaitetnent.
Qu'esperer d'une majorité qui a souffert que le gou
vernement beige s'associót a l'entreprise liberticide de
Napoléon III sur la République mexicaine Quelle
confiance peuvent mériter ces libéraux qui redouteot,
l'extension du droit de suffrage comme un malheur
pour la liberté, ces amis de l'egalité qui creent des
juridictions exceptionnelles pour les ministres, ces
partisans du progrès qui votent le maintien de la
peine de mort, ces défetiseurs des droits de la rai-
son qui n'osent arracher la jeunesse de nos écoles a
l'enseignement retrograde du clergé? Les Jósuites, a
dit Victor Hugo, sont la ntaladie de l'Eglise Quand la
Belgique comprendra-t-elle que les doctrinaires sont
la roaiadie du libéralisme
Pour maintenir la contrainte par corps, on invoque
les intéréts du commerce. Mais que sont ces intéréts,
si respectables qu'on les imagine, a cóté des droits de
l'humanité et de la justice? Si le commerce n'est pas
suöisamment protégé contre la fraude, si la legislation
qui punit i'escroquerie, l'abus de confiance, le faux
et la banqueroute renferme des lacunes par oü la
mauvaise foi peut échapper a la repression pénale,
que i'on donue au commerce des protections plus com
petes et plus efficaces, tout Ie monde y applaudira.
Mais la protection que nous lui devons ne peut aller
jusqu'a nous permettre de tolerer plus longtemps le
maintien de cette iniquitó scandaleuse qui s'appelle
la contrainte par corps. II y a autre chose dans le
monde que le commerce, il y a la justice, il y a la con
science humaine, qui ne peuvent souffrir d'atteinte
sans un danger social bien autrement grave que celui
dont nous menacent les partisans de I'emprisonne-
ment pour dettes.
La contrainte par corps, et c'est par ce cöte sur-
tout qu'elie constitue une revoltante iniquite legisla
tive, n'admet aucune distinction entre I'homme que
des evenements en dehors des prévisions humaines
ont mis dans l'impossibiiite de s'acquitter et celui qui
a abusé du crédit et de la confiance de ses conci-
loyenselle ne fait nulle difference entre le malheu-
reuxet le fripon. Eussiez-vous le plus honnête homme
du monde et quand même vous etabliriez que votre
ruine est le résultal d'une catastrophe que nulle pre-
voyance ne pouvait empêoher, elie vous frappe et
permet a votre creancier d'achever votre malheur en
vous deshouorant. Eh bien, nous le demandons a tous
ceux que n'aveugle pas un sordide interêt, est-il pos
sible qu'une législation qui consncre une aussi nion-
strueuse injustice soit maintenue? Eüt-il prouvé que
cette législation est utile au crédit et aux, relations
commerciales, cette considération sorait-elle assez
puissanle a leurs yeux pour triompher de la ré-
pulsion qu'une telle iniquité soulève dans toutes Ies
consciences honnêtes
On a proposé de rendre la contrainte par corps fa
cultative en laissant au juge, dans chaque cas parti
culier, Ie soin d'apprécier s'il y a lieu ou non d'appli-
quer ce mode d'exécution. Cette innovation ferait dis-
paraitre dans la pratique, nous n'en disconvenons
pas, bien des rigueurs injustes; mais il faul recon-
naitre aussi que du jour oü elle serait admise, la con
trainte par corps aurait perdu sa meilleure raison
d'être. En effet, s'il est vrai qu'elie soit une garantie
indispensable d'exactitude et de ponclualitè dans
l'exécution des engagements commerciaux, il faut que
Ie créancier puisse compter sur cette garautie au mo
ment même du eontrat et que Ie débiteur ait la cer
titude qu'il ne pourra échapper a I'emprisonneir.ent
s'il manque a ses obligations. La contrainte par corps
ne serait qu'une garantie fort incertaine si le juge
avait la faculté de la prononcer ou de ne pas la pro-
noncer selon qu'il Ie jugerait convenable et sansêtre
astreint a aucune régie. Pour le créancier elle ne se
rait plus un motif de confiance et, pour le débiteur,
elle cesserail d'être un motif de ponotualité.
Pour être efficace, pour atteindre son but, la con
trainte par corps doit done rester obligatoire, c'est-è-
dire qu'elie n'est utile qu'a la condition d'être im
morele.
Mais est-il bien vrai que cette pénalité rende des
services si importants au commerce Nous n'en
sommes rien moins que convaincus. Quand un com-
mercant est embarrassé dans ses affaires, ce n'est pas
la peur de la prison pour dettes qui le domine, c'est
la crainte de voir sa signature protestée, paree que
ce protét, c'est la perle de son crédit, e'est-a-dire la
ruine et le deshonncur. La faiilile est pour tous les
debiteurs un moyen extréme dont les consequences
sont si graves que la plupart d'entr'eux font tous les
sacrifices possibles pour l'éviter. L'épouvantail du
commerce, c'est la faillite et non la contrainte par
corps.
Sous i'empire de la législation actuelle, la déclara-
lion de faillite affranchit le débiteur de la contrainte
par corps et cela n'est que juste, puisque le debiteur
failli se trouvant dessaisi de I'administration de ses
biens, I'incarceration de sa personne n'aurait plus
aucune raison d'être. Quel sera cependant Ie résultat
de cette disposition C'est que ie commercaut honnête
que des circonstances désastreuses auront précipité
dans-la misère, consentira a subir Ies souffrances et
les privations de la prison plutót que d'encourir le
déshouneur d'une faillite, tandis qu'un autre, moins
scrupuleux, s'empressera de déposer son bilan pour
racheter sa liberte. C'est-a-dire que, dans le fait, la
garantie que I'on a voulu preudre contre Ies com-
mercants de mauvaise foi n'atteint le plus souvent
que Ies commercants qui auraient droit a toute I'in-
dulgence de la loi.
Si la contrainte par corps ne frappait que Ies com
mercants, nous pourrions peut-être en prendre notre
parti, convaincus que nous sommes que la plupart
s'y soustrayenl en declarant leur faillite et que, par
conséquent, elie ne fait pas grand mal. Mais elle
frappe aussi le particulier non-négociant a raison des
lettres de change qu'il a souscrites. Celui-ci n'a au-
cun moyen d'y échapper, la loi le livre a !a discretion
de son créancier qui pourra Ie aétenir pendant trois,
quatre et même cinq années, sans avoir de compte a
rendre a personne. Le debiteur aura bien la ressource
de la cession de biens, mais ce mode de liberation
off're tant de difficultés dans la pratique, que, de
1830 a 1850, sur un nombre de 2,700 détenus, huit
seulemeDt ont pu y recourir, en sorte que I'on peut
le considérer comme tout a fait illusoire.
Pourquoi, cependant, cette difference entre Ie né-
gociant et le simple particulier? N'est-il pas vrai que
la loi devrait se montrer bien moins rigoureuse en-
vers celui-ci qu'envers celui-la? Mais ce n'est pas
tout. Nous affirmons, et personne ne nous dèmentira,
qu'en Belgique le particulier non-négociant ne se de
cide a recourir a la lettre de change que lorsqu'il a
épuisé tous les autres rnoyens de credit, e'est-a-dire
lorsqu'il se trouve dans un état de gêne qui avoisine
l'insolvabilité. Cela est si vrai que la plupart des mai-
sonsde banquedu pays refusent l'escomptedes lettres
de change portaut la signature de non-négociants et
nous crayons bien qu'il en est de même ailleurs.
Ceci posé, nous nous demandons a quel titre le
créancier d'une lettre de change souscrile par un
non-négociant peut réclainer centre celui-ci la con
trainte par corps. II a connu la gêne de cet homme;
pourquoi a-t-il consenti a (raiter avec lui, et, s'il a
voulu courir le risque, de quel droit viendra-t-il de-
mander plus tard a la sociélè de punir son débiteur
de la privation de la liberté?
Ah, nous comprenions cette protection accordée au
créancier du temps oü la loi lui fesait un crime de
dépasser un certain taux d'intérêt. Le créancier pou
vait dire alors a la société Vous êles inlervenue
entre mon débiteur et moi, vous m'avez empêché de
couvrir mon risque comme j'eusse pu Ie faire si j'a-
vais été entièrement libre. Vous avez voulu protéger
mon débiteur, il n'est que juste que vous me proté-
giez aussi en me permettant de l'incarcérer s'il ne
paie pas. Ce raisonnement avait quelque chose de
plausible et nous admettons que I'on s'y arrêtat. Au-
jourd'hui, il n'en est plus de même la société ne se
mêle plus de protéger le débiteur, elle l'abandonne a
la rapacité de I'homme qui conseut a lui prêler de
l'argenlcelui-ci peut stipuler telle prime d'assurance
qu'il juge en rapport avec le risque qu'il s'apprête a
courir. Dés lors, ia garantie spéciale de la contrainte
par corps cesse de lui appartenir, il n'a plus droit
qu'aux garanties communes a tous les créanciers.
II est profondément regrettable que des considéra-
tious d'une pareille gravité n'aient point trouvé grAce
devant la majorité et qu'aprós s'être montree si em-
pressée a décréter la liberté du prêt a iutérêt, il faille
la trouver si rebelle a une rèforme qui en est le cor-
rollaire obligé. L'opinion publique tire de la des dé-
ductions qui ne sont rien moins que flatleuses pour
nos législateurs. Nous voulons croire qu'elie a tort et