ASSOCIATION LIBÉRALE de GAND.
SUPPLÉMENT a /'OPINION DU 10 MARS 1867.
SÉANCE DU 25 FÉVRIER 1867.
La séanoe est ouverte a 5 1/2 heures, sous la pré-
sidence de M. MetdepenniDgen. Le président donne
lecture d'une requête signée de plus desoixante mem
bres de 1'Association et demandant une assemblée
générale. Le président rappelle a l'assemblee que
l'année dernière il a été decidé que le comité central
donnerait sa démission après les elections légisiatives
et que le règlement serait révisé par le comité cen
tral démissionnaire auquel s'adjoindraient deux mem
bres par sous-comité. II ajoute que ceite commission
s'est activement occupée de la revision. I! dit que son
rapport n'est parvenu au bureau qu'aujourd'hui
qu'il sera imprimé et que la discussion publiquesera
fixée au dernier lundi du rnois de mars.
Dans la position transitoire oü se trouvait le co-
mitè central, il n'avait pas qualité pëift-êtré pour
vous convoquer, nous avons cru cependant devoir
déférer au voeu qui nous était exprimé et, si nous
sommes coupables, nous venons'vous demander
un bill d'indemnité pour cette usurpation. Ap-
plaudissements
La parole est donnee a M. Jules Gueqnier.
II commence par constater que l'enseignement pri
maire constitue la seule base solide de tout progrès
social, tant dans l'ordre matériel que dans i'ordre
moral et politique. Aussi eet enseignement est-il une
cause permanente de terreur pour les ennemis du
progrès et de la liberlé qui redoutenl avant tout l'é-
mancipation de la classe populaire. Mais, antipathi-
ques par nature a la sincérité, nos adversaires se
gardent bien de manifester ouverlement leur hostilité
en vers l'enseignement; eet aveu d'ailleurs feraitcon-
naltre trop clairement leurs vceux etleurs tendances.
Ne pouvant supprimer l'enseignement primaire, ils
s'efforcent de l'exploiter a leur profit.
Non-seulement nos ennemis ont organisé direc-
tement un enseignement qui a pour résultat l'asser-
vissementde la penséeet l'étiolement de l'intelligence,
mais leur influence délétère corronipt jusqu'a l'ensei
gnement donné par les communes et par l'Etat. La
loi organique de l'instruction primaire du 23 septem-
bre 1842, consacre et régularise l'immixtion des en
nemis de tout progrès dans le plus important des
services publics.
L'espritetleslendancesde la loi sont renfermés, dit
l'orateur,dans ces paroles de l'honorable M. Notbomb
Pas d'enseignement, surtout pas d'enseignement
primaire,"sans éducation morale et religieuse, el
nous entendons par éducation religieuse, l'ensei-
gnement d'une religion positive. Nous rompons
avec les doctrines politiques du xvin° siècle, qui
avait prétendu seculariser complélement l'instruc-
lion et constituer la sociètë sur des bases pure-
ment rationalistes.
L'orateur aborde ensuite l'examen de quelques-
unes des dispositions particulières de la loi; en vertu
de I'art. 6, qui subordonne l'enseignement de la mo
rale a celui de la religion et le confie aux ministres du
culte, un Collier, un Cbaning ne peut parler d'hon-
neur ou de vertu a l'enfant du peuple ce privilége
est réservé aux bouch.es ouvert.es par l'Eglisequitte
aux tribunaux a prononcer le huis-clos pour juger les
infamies qui se eomroettent trop souvent sous pré-
texte d'enseignement religieux et moral. Le père de
familie ne peut soustraire- son enfant au danger de
eet enseignement qu'en lui interdisant toute frèquen-
tation scolaire. (Voir Moniteur beige du 14 aoüt 1842.)
L'orateur fait observer que l'exécution de cette
prescription suppose une enquête inquisitoriale sur
le culte du chef de familie, enquête inconstitutionnelle
et attentatoire a la liberté de conscience.
L'article 7 qui dispose que relativement a la
religion et a la morale, la surveillance sera exer-
cée par les délégués des chefs des cultes, et
que les ministres des cultes el les delégués des
chefs des cultes auront, en tout temps, le droit
d'inspecter Pécole, confère au prêtre une supé-
riorité incontestable stir l'instituteur, et leur position
respective ne saurait ètre mieux déterininée que par
la circulaire de Nosseigneurs les évêques a MM. les
curés Monlrez a l'instituteur, messieurs, beau-
coup de bienveillance et d'intérêt, assurez-le de
votre concours, taut que son écolerépondra a votre
attente, convainquez-le, par vos actes, que vous
ne vous bornerez pas a des paroles slèriles, et con-
seillez-le avec bonté, mais en évitant de prendre a
son égard un ton familier qui diminue le respect et
affadblit Vaulorité.
Aux termes de l'article 9, les livres employés
exclusivement pour l'enseignement de la morale et
de la religion sont approuvés par les chefs des
cultes seuls, les livres de lecture employés en même
d teinpsa l'enseignement de la religion et de la mo-
rale, sont soumis a l'approbation commune dugou-
j> vernement et des chefs des cultes.
II résulte des declarations de M. Nothomb Moni
teur beige, 16, 17 et 18 aout 1842), que si dans un
livre concernant la religion et la morale tel qu'un Ca-
téchisme, il s'élait glissé une prescription entièrement
contraire a nos institutions, par exemple le paiemenl
de la dime, le gouvernement devrait se borner a faire
ses observations sans pouvoir déclarer que si le pas
sage ne disparaissait pas dans un tel délai, le catè-
chisme ne serait plus employé a l'école.
La loi de 1842 était bien faite pour porter I'indi-
gnation dans l'ame de tous les amis dn progrès. Mais
nous sommes en 1867 et la loi est toujours en vi-
gueur. Quelques personnes demandent le maintien
du statu quo en disant Le prêtre étant admisa l'é
cole a titre d'autorité, il est impossible a un catho-
lique d'atlaquer l'instruction primaire avec autant de
vigueur que si celle-ci était exclusivement laïque, ce
qui revient a dire Laissez le loup pénétrer libre-
ment dans la bergerie,il croquera bien paisiblement
les moutons sans molester chien.pi berger. »D'autres
disent qu'il fautattendre,pour expulserle prêtre de l'é
cole, que le service de l'instruction primaire soit com
plélement organisé, tant sous le rapport mate.riel que
relativemeni au personnel enseignantce qui ne peut
tarder, disent-ellès, vu le développement magniflque
donné a ce service par le cabinet liberal.
Outre que ce système est maladroit comme toutce
qui manque de loyaute, il a le tort de reposer sur une
illusion que le moindre examen suflit a dissiper.
En dépit de nos manifesles et de nos journaux,
l'extension du service de l'enseignement primaire
n'est rien moins que sulfisante. Les enfants en age
d'école sont en Belgique au nombre de 750.000. La
moitié seulement, ou 370,000 frèquentent les écoles
communales. En 1865, 7,363 jeunes gens ont pris
part au tirage au sort dans notre province2,829 ou
38 étaient complélement illettrès, 2,526 ou 84
possédaient une instruction insuffisante, et 2,008 ou
27 savaient lire, écrire et calculer.
A ceux qui demandent qu'on laisse au personnel
enseignant le temps de se former,l'orateur objecte que
l'immense majorité des instituteurs se forme dans les
écolesnormalesépiscopa!es(subventionnées par l'Etat).
Le règlement de ces établissements arrêtè par Nos
seigneurs les evêques fait connaitre ce qu'on est en
droit d'en attendre. Les vertus principales (f. II, 8")
que doit posséder un bon maitre, sont, outre la
piété et le recueillement l'Eglise la charité, la
patience, la prudence, la gravitè, l'humilité et la
modeslie extérieure, la douceur, la fermeté, l'es-
prit d'ordre, la propreté, l'éloighement du bruit et
l'aversion des dissipations mondaines. Les objets
d'enseignement sont dans le cours supérieur A. La
méthodique ou pédagogie B. L'art de catéchiser
C. La langue fraucaise, ses difficultes et ses fautes
(sic) les plus ordinaires aux habitants des pays wal-
lons ou flamands; E. Les mathematiques comprenant
seulement les diverses régies utiles au commerce, la
notion du carré et du cube G. Le système so
laire aeluel et l'usage des tables de l'Observatoire
pour régler les horloges publiques d'après les temps
moyensK. L'instruction de Monseigneur sur les
fabriques d'églisesP. L'art de toucher l'orgue et
le plein chantQ. Diverses notions sur l'économie
domestique, ('horticulture, les devoirs du sacristain,
la manière de faire des cierges, etc. Enfin, le rè
glement d'ordre intérieur se termine par cette dispo
sition (f. V, art. xiv) L'on ne perdra pas de vue
que les élèves doivent lire peu et seulement de tna-
nière a faciliter ou a fortifier leurs études. Rires
dans l'auditoire.)
Et cependant le département de l'intérieur mani
feste une répugnance entière a créer des èeoles nor
males nouvellesou a subsidier celies établies par les
administrations communales. Les', conditions aux-
quelles le gouvernement eut consenti fonder en
notre ville une école normale pour institutrices
étaient tellement onéreuses que le Conseil commu
nal tout entier a cru devoir les reponsser.
La parlie matérielle du service, construction et
ameublement de batiments d'école, trailement du
personnel enseignant, bien qu'en voie de progrès,
laisse énorniement a désirer, faute d'une intervention
suffisante de la part de l'Etat. Par une violation ma
nifeste du lexte et de l'esprit de la loi, le département
de l'intérieur réduit cette intervention a des propor
tions derisoires. Enfin, le déplorable arrêté sur les
écolesd'adultes contrelequei volreConseilcommunala
protestéd'une manière si ferme et si digne,montreceque
nous devons attendre de l'applicationde la loide 1842.
Si tons, sans exception de nuances, ajoute M. Gue-
quier, nousvoulons voir se généraliser l'enseignement
primaire, si nous voulons que eet enseignement lende,
non pas a former de pieux crétins et d'ineptes bi-
gotes, mais si au contraire l'enseignement doit dispo
ser les jeunes gens être un jour des hommes labo-
rieux et moraux, de bons et courageux citoyensles
jeunes filles a remplir les devoirs de sages et respec
tables mères de familie, nous devons être unanimes
réclamer la révision de la loi qui régit l'enseignement
primaire.
Unissons-nous dans une même pensée, sachons
nous élever au-dessus de misérables discussions de
détail. Persuadons-nous bien qu'il s'agitde porter un
coup terrible a l'ennemi commun, et d'un effort una-
nime, travailions a faire rayonner la lumière au sein
des classes populaires, afin de frayer la voie a leur
émancipation matérielle et politique. Applaudisse-
ments prolongés.)
M. Rolin- Jacquemyns. Je suis partisan d'une
séparation aussi compléte que possible entre l'Eglise
et l'Etat, et je fonde mon opinion sur ce que cette sé
paration me parait ce qu'il y a de plus convenable a
l'intérêt de la religion et a celui de la société. C'est
vous dire que je ne suis pas partisan de la fusion ou
plutót de la confusion que la loi de 1842 a opéré entre
les deux pouvoirs, en organisant l'enseignement pri
maire.
Mais tout en concluant ainsi a la révision de cette
loi, il est certaines considérations développées par
l'honorable préopinant auxqüelles je ne saurais m'as-
socier. II s'est placé, comme il en avait le droit, au
point de vue de ceux qui considèrent tout enseigne
ment religieux comme mauvais en soi ou au moins
inutile. Je me placerai, comme j'en ai le droit a mon
tour, au point de vue de ceux qui le considèrent
comme bon et utile. Ce point de vue, qui est le mien,
est aussi, je pense, celui de l'immense majorité des
Belgeset, comme notre arme unique a tous doit être
la persuasion, vousne pouvez, quel que soit votre sen
timent individuel, refuser de mesuivresur ce terrain.
La loi de 1842 s'est flattée d'organiser l'enseigne
ment religieux. Cette pretention est-elle juslifiée par
le résultat? Est-il possible qu'elle le soit? Ce sont la
deux questions auxquelles, je le crois, on ne peut ré-
pondre que nègativement.
Par enseignement religieux il faut, si je ne me
trompe, entendre un enseignement non puremenl
formel, mécanique, mais réel, sérieux. L'enseigne
ment religieux véritable ne peut s'arréteraux lèvres
et aux sens. II s'adresse a l'homme intérieur, et aspire
tout au moins a lui donner une conviction raison-
nable et des espérances qui l'aident a résister aux sé-
ductions et a traverser les épreuves de cette vie.
Est-ce la l'enseignement religieux que réalise la
loi de 1842? Et peut-on sérieuseinenl décorer de ce
nom quelques lecons de catéchisme qu'un élève inat-
tenlif répète rnachinalement a un instiiuteur ennuyé?
Or, notez-le, c'est la en fait ce qui se passé. L'insti
tuteur est ennuyé et il doit l'ètre, paree que son róle
est celui d'une machine a faire reciter. Point d'expii-
cations, (elies sont interdites), partant point de vie
dans eet enseignement. L'élève y apprend des mots,
mais ni sa raison ni son coeur ne sont intéressés.
Telle est, me semble-t-jl, l'exacte véritè. Est-il
des parents religieux qu'un pareil enseignement
puisse satisfaire? Ou plutót ne tend-il pas a perver-
tir le sentiment religieux, puisqu'il fait de la religion
une science de mots, non de choses, un objet non de
conviction mais de mèmoire? Puis si, d'un cólé, la
liberté de conscience proteste conlre ['obligation im-
posée a tout instituteur d'enséigner aussi certains
dogmes dèterminés, de l'autre l'intérêt même de ces
dogmes ne s'élève pas moins contre la possibilitó de
les voir enseignés par un incrédule.
Maintenant serait-il possible que, avec Ie système
actuel, les choses allassent autrement? Je ne le crois
pas. La loi de 1842 a cru pourvoir a tout en disant
que l'enseignement de la religion et de la morale se
donnerait sous la direction et la surveillance des mi
nistres du culte et de la majorité. Cela est logique.
Mais pour que cette direction et cette surveillance
aient quelque chose d'efficace, ou sera peu a peu en-
tralné a en faire la plus insupportable et Ia plus in
constitutionnelle des tyrannies. II faudra surveiller
les opinionsindividuelles, les pratiques religieuses, les
lectures de l'instituteur. II faudra sacrifier la dignilé
et l'indépendance de ceux a qui on demande de former
des hommes, des citoyens. Ei alors même, a quoiabou-
tira-t-on A encourager l'hypocrisie.
Voila pourquoi je serais lente de reprocher a la loi
de 1842, alors que je lui vois faire une promesse
qu'elle n'a pas tenue et qu'elle ne pourra jamais tenir,
d'être elle-même une loi hypocrite, si je n'eiais con-
vaincu de la sincerile el des bonnes intentions de ceux
qui l'on votée. Je ne les accuse done pas, j'accuse le
principe d'oü ils sont partis, lis out péché, comme il
arrive souvent, par defaut de confiance dans la li
berté et dans Ie stimulant qu'elle donne a toutes r.os
énergies morales, et par excès de confiance dans ['in
tervention de l'Etat. Ils se sont dit, el c'est mon avis,
que l'enseignement sérieux de la religion est utile
même pour former des citoyens. Mais ils se sont trop
hdté d'en conclure que cel enseignement n'est possi
ble qu'avec Te concours de l'Etat.
Tournons nos regards vers les Etats-Uuis. N'est-ce
point un pays religieux Les catholiques y sont-ils
moins bien traités, ou y tiennent-ils moins a leur culte