JOURNAL D'YPRES DE L'ARRONDISSEMENI
YPSiES, Bimanche
Cinquièrae année. IV0 11.
17 Mars 1867.
Paraissant le dimanche.
X,
PltlX D'AKOISEIIEIT
POUR LA BELGIQUE
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Ypres, Mars is«>.
A en iuger par les injures dont Ie Progrès nous gra-
tifie chaque semaine, il semblerait que nous sommes
divisés sur les principes fondainentaux de notre poli
tique intérieure et qu'un abime nous sépare. Rien
n'est moius vrai cepsndant, et quoi qu'il nous en
coCite d'admettre en notre compagnie l'organe mal
embouché de notre petite coterie, force nous est de
reconnoitre que nous appartenons au même parti et
que nous portons tous deux les mêmes couleurs
Le Progrès cherche a accréditer l'opinion contraire.
Ses injures n'ont pas d'aulre but que de nous desi
gner au mépris des libéraux comme des homines sans
principes et chercbant a satisfaire. sous le voile du li
béralisme, nous ne savons quelles rancunes person-
relies nóes de l'envie ou des mécomptes de l'ambition
decue. Malheureusement pour les frères et amisle
succes du stratagèrne n'a pas répondu a leur attente
etdéja, pour peu qu'ils sachent lire dans l'avenir, ils
doivent entrevoir le jour oü le public, editie sur leurs
vues et revenu de son engouement, leur infligera le
chaliment qu'ils méritent.
Oui, vrainient, ce qui nous divise le moins, ce sont
les principes. Leur programme est le nótre, le nótre
est le leur, et si ce n'était pas trop présumer du Pro
grès que de lui demander de nous répondre sans se
mettre en colère, nous lui porterions volontiers Ie
défi d'indiquer une seule question sur laquelle, lui et
nous, nous differions d'opinion en principe. Comme
nous, il proclame la separation de l'Eglise et de l'Etat
et Findépendance absoiue du pou.voir civil, corollaire
oblige de cette separation. Comme nous, il vent que
notre legislation soit mise en rapport avec ce dogme
fondamental de la société politique moderne et que les
privileges dont le clergè a joui jusqu'a présent, au dé
triment de l'égalitè civile et de la liberté de conscience,
disparaissent. Comme nous, il reclame l'affranchisse-
menl de l'enseignement du contróle épiscopal et la
secularisation de la bienfaisance publique. Comme
nous, il entend faire a intelligence une large part
dans le gouvernement du pays et se déclare prêt a se
rallier a une réforme electorale qui donne satisfaction
a des droits jusqu'ici méconrius. Comme nous,-il pro-
fesse le plus prófond respect pour toules les libertés
consacrées par la Constitution et affirme bien haut
que ces libertés sont de l'essence même des gouverne-
ments fondés sur la volonté nationale, Bref, en prin
cipe, le Progrès et nous, nous sommes d'accord sur
tous les poiuts.
D'oü vient, cependant, que nous nous entendions
si rarementavec le journaille la coterie? La raison en
est toute simplenous voulons faire de la Constitution
une oeuvre vivante et Its patrons du Progrès veulent
l'embaumer. Nous voulons qu'elle marche, qu'elle
respire a pleins poumons, et nos doctrinaires la vou-
draient enrouler dans des bandelettes pour l'empêcher
de se mouvoir, craignant sans doute qu'elle ne se
brise au moindre effort.
S'il est arrivé au lecteur de s'arrêter, en flénanl,
devaut la vitrine de quelque cordonnier élégant de la
capitaie, il a dü remarquer, précieuseinent préserve
sous un cylindre de verre, l'unou l'autrechef-d'oeuvre
de chaussure, artisteinent travaïllé, admirable de
forme et d'elegance, réunissant, en un mot, toutes les
perfections imaginables. Le chef-d'oeuvre n'a qu'un
défaut, c'est que l'étoffe en est si fragile que le pied
qui tenterait d'en prendre possession la ferait infailli-
blement craquer a toutes les coutures.
Pour nos doctrinairesla Constitution n'est pas
autre chose, lis l'exaltent sur tous les tons, ils ne
laisseut paséchapper une occasion de I'exhiber a ['ad
miration des nations étrangèresmais malheur a
vous, si vous prètendez vous en servir; ils ont si
peu de confiance dans sa solidité, ils sont tellement
pénetrés de l'idée que vous allez la faire craquer,
qu'au moindre mouvement que vous voudrez lui
imprimer, ils vous traiteront de démolisseurs, de
révolutionnaires et vous signaleront au mépris public
comme un être dangereux, capable des plus noirs
forfaits.
Vous vous dites, par exemple, que la Constitution
proclamant la liberté de la presse, vous pourriez dé-
velopper, dans un journal a vous, des idéés utiles a
votre pays. Prenez garde, car si l'on ne peut pas
vous en empêcher directement, on a eu soin de serrer
si bien les mailles par oü votre pensée doit passer,
que vous risquez fort, au moindre écart de votre
plume, de payer votre imprudence de votre fortune
ou de voire liberté.
Appelez-vous les meetings a votre aide Cherchez-
vous a provoquer, par de grandes manifestations col
lectives, un mouvement de l'opinion publique en fa
veur de l'idée que vous avez a coeur de faire triom-
pher? Prenez garde encore, car vos intentions seront
méconnues et il ne dépendra pas des embaumeurs
que votre nom soit cloué au pilori.
Demandez-vous au ministère de conformer sa po
litique aux principes qui l'ont porie au pouvoir vous
êtes un mauvais citoyen, un faux liberal, un radical,
un homme ingouvernable, un brouillon.
Osez-vous dire que le moment vous paratt venu
de lever ('ostracisme electoral qui, depuis 86 ans,
éloigne du scrutin les classes instruites de la société?
Mêmes accusations, mêmes injures. Estimez-vous
heureux si l'on n'insinue pas que vous avez fait al
liance avec te parti clerical ou, pis encore, avec les
annexionnistes du Pays et de la Palris.
Les embaumeurs, fort heureusementcomptent
leurs derniers jours de domination en Belgique. En
dépit de tous leurs efforts pour arrêter l'essor de
l'opinion publique, la lumière commence a se faire
dans les esprits et l'on apercoit de jour en jour plus
clairement les dangers de cette politique opiacée dont
ils ont saturé le pays depuis dix ans. La Belgique ne
veut pas dormir, elle veut marcher et vivre. 11 ne lui
suffit pas d'avoir inscrit dans sa Constitution ces ad-
mirables libertés que les nations voisines nous en-
vient.et dont elle estjustemerit fiere; ces libertés,
elle veut les mettre en mouvement et leur demander
la solution des questions qui interessent sa prospérité.
Une Constitution sous verre est une belle chose,
mais une bonne chaussure vaut mieux tel est son
avis et le nótre.
Dans son audience de vendredile Tribunal de
1r° instance d'Ypres a prononcé dans Faction en
dommages-intérêts intentée par la Société d'exploi
tation de chemins de fer. contre le journal Opi
nion. II a déclaré la partie demanderesse non re-
cevable ni fondée et l'a condamnée a tous les
dépens. Nous donnerons le texte du jugement dans
notre prochain numéro.
lie ministère etson programme.
La ville de Gand marche en ce moment en tête du
libéralisme beige. Après la remarquable discussion
sur la loi de 1842 qui a eu lieu a ('Association, discus
sion dont nous avons publié le compte-rendu, le Con-
seil communal a son tour a décidé, dans sa séance du
11 de ce mois, qu'il enverrait une petition la legis
lature pour la prier de s'occuper sans retard de l'exa-
men de la loi sur Ie temporel des cultes. Cette propo
sition, faite par M. Albert Colson, après une inter
pellation de M. Laurent, a été adoptée a l'unanimité,
sauf les abstentions de MM. le bourgmestre etde Maere,
représentants.
Nous assistons depuis que'que temps a un spectacle
étrange. Temporel du culte, réformeélectorale, milice,
révision de la loi de 1842, le ministère s'efforce de tout
enterrer, ameliorations poliliques et sociales et, il faut
1'avouer, il est admirablement seconde dans cette tóche
impolitique par la plupart de nos représentants. Les
associations, celles du moins qui ne sont pas aux mains
des meneurs, envoient petitions sur petitions, sans
succès. La docilitè et Ie mutisme tendent a s'élever a
la hauteur d'une institution et nous en sommes arri
ves a ce point que fórsqu'une fois en passant laCbam-
bre prend quelquedécision contraire a I'avisde MM. les
ministres, et par.ce que récemment la majorite, prise
d'un scrupule subit et dans le but de lenir enfin une
promesse depuis longtemps faite et fréqueinment élu-
dee, fixe le jour de la discussion de la reforme élec
torale, aussilót les scribes aux gages du ministère
jettent les hauls cris et Ie Progrès entr'autres, dans
Ie langage exquis qui le distingue, ecrit que cléricaux
el avancés se sont coahsés pour faire niche au-minis -
tére. Out I Encore une coalition trouvée par le com
pere, et dire qu'il n'en est pas plus fior pour cela et
que sa modestie ne songe même pas a prendre un
brevet d'invention 1
11 oublie une chose pourtant, c'est que dans la ma
jorite qui a fixe au 19 mars la discussion de la réforme
e ectorate, se trouvail des amis très-devoues au mi
nistère.
Comment concilier cette parlicularité avec la phrase
du rogrès? Ce journal veut il douner le change a ses
locteursou bien est-ou a ses yeux un avance, un ra
dical, un homme de sac et de corde par cela même
qu'on se permet de ne pas accepter toujours le mot
U'ordre de MM. les ministres? II tiendra a honneur
sans doute de nuus edifier sur ce point intéres-
suut.
Jusque-la, en voyant Ie ministère s'opposer a la
réforme electoralequ'il a proposee iui-même, releguer
dans t'oubii le temporel des cultes, etouffer en un'inut
dans les cartons toutes les promesses poliliques de
son programme, meriterd'aulre part, avecie blame
de ses amis, les eloges et l'appui des cléricaux, coiume
dans la creation des ecoles d'adultes, nous ne pou-
vons nous empêcher de penser et de dire, en em-
ployant Ie mot du Progrès, que c'est bien lui, minis
tère, qui veut faire nicbe au pays liberal.