JOURNAL D'YPRES DE L'AKRONDISSEMENT
YPRES, Dimanche
Cinquième année. N° 30.
28 Juillet 186%
Paraissant le dimanche.
PitIX U'ABOillEHEMT
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Abolition de la contrainte par corps.
Le Siècle publie 1'article suivant que nous regret-
tons de ne pouvoir appliquer a la Belgique
Après des débats retentissants au Corps législatif
et au Sénat, Ia contrainte par corps, débris impuis-
sant des vieilles législations, est enfin abolie.
Si nous applaudissons a cette réforme que nous de-
mandions depuis tantd'années, ce n'est pas seulement
paree qu'elle est un hommage au grand principe de la
liberté individuelle, c'est paree que nous croyons
qu'elle rendra d'éminents services A notre commerce.
En effel, comme on l'a vu par les anciennes lois de
douanes, la protection est un oreiller sur lequel on
s'endort trop facilement L'abolition des prohibitions,
les traités de commerce, de libre échauge ont fait plus
pour notre industrie en cinq ou six ans que la protec
tion n'eüt fait en un siècle. On a tenté des efforts de
géant pour lutter avec l'étranger, et ces efforts ont été
heureux. L'industrie francaise, nul ne peut le contes-
ter, est aujourd'hui trés-prés d'être la première du
monde.
Que de plaintes cependant de grands industriels
n'ont-ils pas émises lors de l'abolition de la pro
tection
Un fait analogue se produit aujourd'hui. Un certain
nombre de commercants se plaignent paree qu'ils
n'auront plus entre leurs mains un moyen de coïrci-
tion contre leurs débiteurs.
Mais ils ne voient pas quels avantages il va résulter
pour le commerce en général de la mesure a la fin
votée par le Senat et le Corps-Législatif.
Le premier et le plus grand de ces avantages, c'est
que les capilaux qui, ailèchès par de gros intéréts et
sauvegardés, a ce qu'ils croyaient, par la contrainte
par corps, ne vont plus aller au dissipateur, au fils
de familie, au prodigue. Ces capitaux vont raisonner,
chercher des placements plus sérieux. lis vont refluer
FEEILLETOl
LES TYPES PARIS1ENS.
bes Clubs, Par Charles Yriarte.
I.
(Suite et fin.)
lsabelle la bouquetière est l'ceuvre des Parisiens,
des élégants, des sportmen, des jeunes frances, des
lions, des dandys, et chacun de ces messieurs la con-
sidèreun peu comme son élève. Madrid, Vienne, Flo
rence, Londres, Pétersbourg, Stamboul et Berlin con-
naissent lsabelle on n'est rien si on ne la salue pas,
ou si, dés qu'elle vous voit, elle ne vient pas passer
un bouton de rose a votre boutoDnière. Quelques cé-
lébrilés du Jockey la tutoient; voila le grand genre, ce
qui est du dernier bien. On a conspiré contre lsabelle,
et lsabelle a conservé son tonneau de velours sur le
palier du Jockey il est venu de la forêt Noire des Isa-
belles de contrebande, il en est venu de la Closerie de
Lilas et des Batignollesce n'était plus lsabelle. On ne
se fait point en un jour aux exigences du monde pari-
sien. La bouquetière sait nos tics et ceux de nos gen-
tlemans; elle sait que le comle aime le camelia blanc,
sur la terre, sur l'industrie, sur Ie vrai commerce. lis
n'iront plus a la débauche et a la folie.
Le second et immense avantage de l'abolition de la
contrainte par corps, c'est que le commerce ne se fiant
plus a une protection si souvent illusoire, prendra
mieux ses garanties et ses suretés. II sera forcé de
faire preuve d'initiative en se sauvegardant lui-même.
Se croyant garanti par la contrainte, que de fausses
spéculations ne faisait-on pas dans certaines branches
de commerce, et a quels sinistres ne conduisaient-
elles pas?
Nous avons une dette publique énorme, une dette
départementale et municipale considérable, une dette
hypothécaire loujours grossissant. Sous la fausse pro
tection de la contraiute par corps, la dette chirogra-
phaire menacail de dépasser toute proportion légitirae.
Elle va se restreindre nécessairement. Les fils de fa
milie trouveront moins facilement les moyens de dé-
vorer par avance leur héritage en laissant sur la route
la lettre de change incarcératrice. La contrainte par
corps, qui était la sanction du billet commercial créé
par le non-coramercant faisant acte de commerce,
cette contrainte étani abolie. Ie papier de crédit com -
mercial devient l'apanage exclusif du commerce.
La place sera nécessairement débarrassée d'une
masse incalculable de valeurs fietives dont les créa-
teurs, en engageant leur personne, prenaient d'avance
tous le moyen de la dégager. En un mot, le commerce
deviendra beaucoup plus sür, beaucoup plus so
lide.
Un troisième avantage de l'abolition de la contrainte
par corps, c'est que nous verrons infiniment moins de
failliles.
En effet, un nombre considérable de commercants
en mauvaises affaires, ne déclaraient leur faillite que
pour échapper a la contrainte. lis ne déposaient leur
bilanque pourgarder leur liberté. Ils n'auront plus
cette excuse fataleils lulteront énergiquement jus-
qu'au bout, et ne pourront plus s'abriter derrière la
que le baron veut une rose thé, que le marquis con
somme des bouquets qu'il faut porter rue de l'Arcade,
qu'il n'aime point a cacher sa rosette d'officier avec
un bouton de rose et que la fleur des champs ne brille
point a sa boutonnière.
lsabelle flatte nos penchants, nos manies, parle a
celui-ci de son écurie, a celui-la de sa danseuse, s'en-
quiert des tableaux que le prince vient d'acheter, des
armes rares qu'a dècouvertes le due, carresse les tics
et les faiblesses et ne commet jamais une erreur. Elle
a des petits raffinements, des intentions tout-a-fait
délicates elle souhaite la fête a celui-ci, fleurit la fa
vorite de celui-la, s'enquiert a domicile de la santé
d un troisième. lsabelle sait bien des petits secrets, et
si elle écrivait ses mémoires, Dieu sait ce qu'elle
pourrait dire. On ne se gêne point avec elle; la bou
quetière entre dans le grand seize de la Maison d'Or
ou dans les cabinets du cafe Anglais et vous offre ses
roses au dessert elle plante uncamélia dans les che-
veux d'une brune, un bleuet derrière l'oreille d'une
blonde et se sauve sans atlendre sa récompense. C'est
une fine personne, mademoiselle lsabelle on lui
rend au centuple ses galanteries fleuries ou lui de-
nécessité de soustraire leurs corps a des créanciers in-
traitables.
Que Ie commerce, mieux éclairé, voie done sans
passion la position nouvelle et la réforme accomplie.
Ce n'est pas seulement une affaire de sentiment, de
liberté individuelle, c'est un acte d'une haute pru
dence sociale que celui qui vient d'étre accompli.
Sans doute un certain nombre de débiteurs de
mauvaise foi vont momentanément profiter de la
barrière ouverte par le législateur. Mais les enquêtes
minutieuses auxquelles on s'est livré ont prouvé que
les débiteurs de mauvaise foi passaient presque tou-
jours a travers la contrainte, et qu'elle n'atteignait en
général que des hommes imprudents ou malheureux
qui eussent profité de leur liberté pour travailler a
l'extinction de leurs dettes.
D'un autre cóté, le nombre des débiteurs incarcé-
rés allait toujours en diminuant. Le haut commerce,
comme cela a été déclaré par M. Schneider au Corps-
Législatif, n'avait jamais recours a l'incarcération, et
les frais énormes qui étaient fails pour mettre et tenir
en prison quelques malheureux n'étaient pas du tout
en proportion avec les sommes recouvrées.
Nous croyons done que les inconvénients particu-
liersque l'on signale a l'abolition de la contrainte par
corps sont largement et hautement primés par les
avantages économiques et publics que l'on en reti-
rera.
Ne nous le dissimulons d'ailleurs pas. Tout le
monde en France se plaint de l'énormité des frais de
justice. La justice, quoique gratuite en principe, est
tout ce qu'il y a de plus cher au monde. L'abolition
de la contrainte par corps est un premier coup de
hache porté dans les abus. Dans un pays oü l'on veut
former des hommes libres, il faut habituer le public a
recourir le moins possible a des interventions judi-
ciaires ruineuses. Soyez éveillé sur vos intéréts, évt-
tez les placements hasardeux, et outre que vous crée-
rez moins d'inquiétudes, vous éviterez des frais de
mande de mettre un louis dans votre jeu, et elle par-
tagela bonne fortune desjoueurs sanscourirla chance
de la mauvaise.
A Chantilly, A Vincennes, la Marche, au bois de
Boulogne, elle entre au pesage, gravit l'escalier qui
mène a la tribune du Jockey, complimente Ie vain-
queur dont elle portera demain les couleurs. Le Joc
key-Club, Crockford-Club et Refortn-Club la connais-
senl; elle est du Derby, on la voit a Epsom, a Bade,
au champ de course dTffizheim, a Trouville, Daau-
ville, parlout. Je l'ai vue mettre un millet blanc a la
boutonnière du roi de Prusse, une rose a celle de
M. de Bismarck, et une pensée a celle de M. de Roon.
A Paris, elle se tient, les jours d'Opéra, dans la
grande salie d'attente, coquettement encapuchonnée,
et chacun de ces messieurs lui adresss un sourire et
un mot d'amilié. On Ia dit riche, c'est possible, je ne
dis pas non, et il n'est pas invraisemblable qu'elle
soit portee sur le testament de quelque grand sei
gneur mais, en attendant, elle se tient encore sur le
palier du Jockey-Club, dans son petit fourreau de ve
lours Pompadour, jusqu'au jour ou elle aura un huit
ressorts.
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