Ces manoeuvres, on \e comprend sans peine, n'avaient pas échappé a M. Frère. Mais, sur de sa force et convaincu qu'on ne parviendrait pas in détacher de lui sa majoritè fidéle, il avait laissé faire et ne s'était pas autrement occupé des petites intrigues ourdies autour de lui. C'est ce moment que le gouvernement fran cais adressa la Belgique l'invitation de prendre part aux délibérations de la Conférence. La Bel gique accepterait-elle cette invitation? Le minis tère n'avait encore arrètê aucune résolution, quand M. Coomans l'interpella sur ce point. La réponse deM.Rogier fut ce qu'elle devait être: legouver- nement délibère et prendra telle décision que lui conseilleront les intéréts du pays. II fallait cependant prendre un parti. Presque tous les petits Etats européens avaient répondu au gouvernement francais la Belgique ne pouvait tarder plus longtemps imiter leur exerople. Dans une entrevue qu'il eut ce sujet, avec sou collègue des Finances, M. Rogier émit l'opinion que nous ne pouvions pas, sous peine de désobliger la France, décliner l'invitation qu'elle nous avait faite. Tel ne fut pas l'avis de M. Frère, qui soutint, au con traire, que la Belgique, sous peine de manquer a ses devoirs d'Etat neutre et laïque, devait s'ab- stenir soigneusement de toute immixtion dans la question romaine. Sans doute, M. Rogier ne s'at- tendait-il pas une pareille résistance, car il en fut profondément blessé et des paroles acerbes lui échappèrent. Mais il avait mal choisi son moment. M. Frère, on le sait de reste, n'est pas d'humeur endurante. A peine M. Rogier avait-il lêché ses premières paroles de reproche, que, saisissant au bond l'occasion de décharger le trop-plein de ses ressentiments, il l'interrompit, avec une violence extréme, pour lui reprocher ce qu'il appela sa trahi- son. Vous m'abandounez aujourd'hui, s'écria- t-il, moi sans qui vous eussiez honteusement suc- combé dans cette sale affaire du Mexique que vous aviez tramée mon insu et dont j'aurais pu repousser la solidarité vous m'abandonnez, moi a qui vous devez d'avoir échappé la flétrissure du Parlement. Soit, je n'ai que faire de votre appui. L'un de nous deux doit quitter la place. Dès ce soir, ma démission sera entre les mains du Roi. Faites-en autant. S. M. avisera. Certes, ce pauvre M. Rogier était loin de s'at- tendre cette terrible sortie. II en fut tellement ahuri qu'il ne trouva pas un mot a répondre. Donner sa démission, bonté du ciel rien qu'è cette idéé, le Smg se glagait dans ses veines. Pen dant trois jours le malheureux délibéra, délibéra, délibéra, espérant toujours qu'un arrangement amiable lui permettrait de garder son portefeuille. Le quatrième jour, aucune proposition ne lui étant arrivée, il fallut bien se résigner et le sacri fice fut accompli. Depuis lors, des amis communs se sont entremis et Ia Cour elle-même, qui a fini par comprendre que M. Frère dans l'opposition, c'est Ie projet de loi militaire irrémédiablement compromis, la Cour, disons nous, a fait des démarches pour amener une réconciliation mais M. Ie ministre des Fi nances sent la position trop belle pour ne pas en tirer parti. On a cherché miner sa puissance. II veut, avant de retirer sa démission, que I'on sache bien qu'on ne peut pas se passer de lui et que lui peut se passer des autres. Aussi ne se hête-t-il point. Et maintenant on comprend sans peine pour- quoi la droite s'abstient d'interpeller le ministère. En provoquant un débat sur la crise, elle pense, non sans raison, qu'elle fortifierait, loin de l'é- branler, la position de M. Frère, sa béte noire par excellence. Aussi n'a-t-elle garde de soullier mot. La gaucbe, de son cóté, n'a pas de moins bonnes raisons de se montrer discrete. Au fond, elle ne désire rien tant que la réconciliation des deux anciens amis, non point par naturelle bonté d'ème, mais paree qu'elle comprend fort bien que son sort est lié a celui du ministère et que tout ce qui ébranle celui-ci la compromet elle-même. Or, réclamer des explications, au moment ou l'on met tout en oeuvre pour amener cette récon ciliation, serait d'une imprudence impardonnable. La gauche se tait done comme la droite et c'est ainsi que nous assistons a ce spectacle inouï dans les fastes parlementaires, d'une crise ministérielle passant par dessus les Chambres, protégée qu'elle est contre les indiscrétions des partis par les inté réts et les passions contraires qu'elle a mis en éveil. Mais la Belgique est-elle encore un pays parlementaire? II est permis d'en douter. Logique doctrinaire. A l'occasion de la discussion qui s'est élevée entre quelques journaux de la capitale sur la question de savoir si, sous notre régime constitutionnel, les au torités civiles et militaires doivent participer aux fêles d'installatiou et a l'entrée du nouvel archevêque dans la ville d'; Malines, le Progrès éprouve le besoin de dire son mot. Les prescriptions du décret de mes- sidor an XII sont-elles encore en vigueur ou notre pacte fundamental, qui proclame la separation de l'Eglise et de l'Etat, les a-t-il abrogées? Cette question de droit constitutionnel, qui a pourtant bien son im portance, semble préoccuper médiocrement le Pro grès Avec la largeur d'idèes et la hauteur de vues qui Ie caracterisent, cette question primordiale est réduite, dans son numéro du 19, aux mesquines pro portions d'une ridicule vengeance. II est bien fêcheux que l'organe doctrinaire ne veuille pas examiner, en ce moment, si la Constitu tion a abrogé le décret de messidor en ce qui concerne le clergé beigeson opinion serait précieuse a con- naitre. Disons néanmoins que de l'aveu même de ce jour nal, lorsqu'en 1892, M. le ministre de l'intérieur, répoudant a une invitation qui lui était faite par l'ad- minigtration communale, viut faire a Ypres une vi site oflicielle, l'autorité locale invita les autorités ci viles et militaires, ainsi que le clergéa rendre a ce haut fonctionnaire les honneurs prescrits par le dé cret de messidorLe clergé s'abstinl, on lesait, pour des motifs peu avouables, nous voulonsbien le croire. Mais si cependant, comme le proclame avec raison le Progrès, le décret de messidor n'était qu'une cou- sèquence logique de la position faite au clergé fran cais par le coucordat, n comment se fait-il qu'en Belgique, ou n'existe pas le concordat, ['administra tion communale d'Ypres ait pu inviter le clergé a rendre a un fonctionnaire civil les honneurs prescrits par ce décret de messidor, conséquence logique d'un concordat qui n'existe pas? Ou la phraséologie Ju Progrès n'a pas de sens, ou en 1862 l'administration communale d'Ypres faisait une sottise. Cette même administration qui, en 1862, invilait le clergé a une reception oflicielle en vertu du décret de messidor an XII, peu de temps après s'abstenait de paraitre a l'entrée dqM. Faict dans sa bonne ville d'Ypres. Ils estimaient cette fois c'est le Progrès qui le dit que le décret de messidor était, en ce qui concerne le clergé, abrogé par la Constitution. Voila done deux opinions diamétralement opposées, deux opi nions s'excluant mutuellement, exprimées en peu de temps, sur un même sujet, par des hommes qui se- raient apparemment très-blessés dans leur amour- propre si quelqu'un se permettait de ne pas les trouver sèrieux. Preuve évidente que ce n'était pas une question de droit, ni la volonté de sauvegarder la digmtè, le prestige de l'autorité civile qui inspirait notre collége èchevinal en cette circonstance, mais de mesquines represailles, un pur enfantillage. Le prestige de l'autorité civile! Ah! oui, il s'en souciait bien I Ces mêmes hommes qui, après des hé- sitations déplorables, des discussions laborieuses, des huis-clos el des délibérations mystérieuses, fai- saient crier a tue-tête par leurs créatures qu'ils n'i- raient pas a, la reception de l'évéqueils s'empres- saient d'aller présenter, mais en cachette, leurs hommages a Monseigneur et de se livrer aux risées et aux quohbets des prêtres On a vu paraitre aux audiences de Monseigneur, M. le bourgmestre avec ses échevins et d'autres que nous pourrions nommer. Au fond, c'était la participation de l'autorité civile a la réception de M. l'évéque, mais avec la franchise en moins. Ces faits onl suscité une po'Iémique entre 1''Opinion et Ie, Propagateur, l'organe catholique d'alors. En ce moment, sentant combien ses patrons s'étaient com promis par leur conduite inconsidérée, et pent-être par un reste de pudeur, le Progrès était muet comme une tombe. II parle aujourd'hui. Sans doute il espère qu'après quelques années, le souvenir de eet incident étant affaibli dans l'esprit du public, il lui sera per mis de tronquer les faits et de mentir impunément. 11 se trompe. Le Journal du Jeudi raconte que, tout récem- ment, Bruxelles a été mis en émoi par un nouveau genre de réclame. Un char immense formé de pièces d'étoffe, a prix violemment réduits, c'est le terme consacré, a parcouru les rues et les places de la capitale. Cette exhibition d'une nouvelle espèce, a été fort appréciée ici, parait il, et il est question dans l'esprit des sauteurs de notre arrondissement, de construire un char sur le même modèle, pour les élections du mois de Juin. Ce ne seront pas des pièces d'étoffe qu'on mettra en montre, prix violemment réduits. Quoi done? DES CONSCIENCES. Nous lisons dans le Journal d'Ypres Comme manifestation de la pensee intime de nos adversaires quotidiens, notons encore ce traitOn a fait courir le bruit de la mort de Mazzini. Hier on b disait déja que le grand agitateur était a toute ex- trêmité. Rien n'est venu confirmer ofïiciellemeut cette triste nouvelle. Et la feuille fanatique souligne le mot triste, apparemment pour faire comprendre que, dans sa pensée intime, la mort d'un homme, quand eet homme est un adversaire politique, n'a rien de triste. Nous dirons a notre tour au Journal d'Ypres en lui empruntant ses propres expres sions Ce simple rapprochement tient lieu de réfutation. Les administrations se coudoient et ne se res- semblent pas. Tandis que, d'après une lettre publiée cette semaine par le Journal de Bruges, l'autorité communale vient d'interdire la danse a Roulers, a Ypres tout le monde danse par ordre. Depuis qu'on a révélé les liraillereents qui règnent dans le cabinet, toute l'attention se porte a la Chambre sur le banc des ministres pour lacher de deviner a leur attitude, quels sont les sentiments dont ils sont animès l'un pour l'autre. On a remarqu'é aujourd'hui que MM. Frère et Bara causaient trés - amicalement entr'euxtandis que M. Yandenpeereboom, seul a son banc en l'absence de M. Rogier, affectait d'avoir beaucoup de pièces signer, et que M. Yanderstichelen, renversé dans un coin, les mains dans les poches et les yeux en l'air, tachait par son silence de ne se brouiller avec per- sonne. Correspondence. Bruges, le 16 décembre 1867. Monsieur l'éditeur du journal VOpinion d'Ypres. Une feuille de votre ville, le Volksvriend, relate dans son n° 93-1, du 15 de ce mois, une correspon dance de Poperiughe, portant atteinte a la vérité en présentant sous un jour odieux une démarche que j'ai cru devoir poser en 1853. Voici de quoi il s'agit J'étais cette époque membre exécutant de la musiqüe des Pompiers de Poperinghe, dont M. V. Mélail l'une des autorités; un bruit infême cir- culant a charge de celui-ci, je crus de mon devoir, et de Ia dignité du corps dont je fesais partie, de provo-

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L’Opinion (1863-1873) | 1867 | | pagina 2