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(Suite)
J'avais vu les tranchées et les champs de
bataille de l'Yser en novembre 1914. J'avais
parcouru dans toute leur horreur récente
les ruines fumantes encore des villages
j'avais regardé flotter les cadavres alle-
les pans de muraille des Halles d'Ypres
j'avais regardé flotter les cadavres alle
mands sur les eaux bourbeuses de l'inon
dation quand j'ai, en 1917, retrouvé ces
mêmes lieux désolés, leur désolation m'ap-
pamt plus douloureuse encore, en ce sens
qu'elle avait pris quelque chose d'habituel.
Ramscappelle, Pervyse, Lampernisse, Nleuw-
cappelle, Reninghe, ces villages étaient,
lors de mon premier voyage des tas de
décombres sanglants, mais encore animés
d'un bruit guerrier. Des tirailleurs algé
riens, cantonnés dans la maison d'école de
Reninghe, miraculeusement échappée au
bombardement, l'emplissaient d'un tapage
de volière. Des soldats belges, aux uniformes
en lambeaux, croisaient, le long des routes
détrempées, des relèves de territoriaux, de
zouaves et de fusiliers marins. Les postes
des différentes armées qui avaient pris part
la bataille voisinaient étroitement. A Fur-
nes, Loo, dans les villages et les petites
villes situés immédiatement l'arrière du
(1) Pages extraites d'un Albert 1erRoi
des Belges, qui paraîtra bientôt chez Ber
nard Grasset, Paris.
front, c'était le pittoresque mélange de
tous les uniformes des nations alliées et
l'immense plaine grise, sous le bombarde
ment continu, semblait grouiller de troupes
et de charrois. La bataille venait de finir et
peut-être allait-elle recommencer...
Quand je parcourus, en 1917 et 1918,
le front belge, le canon tonnait encore par
rafales interrompues, mais c'était sur un
désert. L'armée belge occupait maintenant
seule le front de l'Yser mais, selon les
nécessités de la guerre de tranchées, elle se
cachait. Elle était partout, on ne la voyait
nulle part. Pendant des kilomètres, l'auto
parcourut des routes désertes. Elle traversa
d'anciens villages dont les ruines, en trois
ans, s'étaient couvertes de ronces et d'herbes
folles. Si elle s'arrêtait un instant, on voyait
sortir des décombres un officier, un soldat,
qui quittait son abri, sa tranchée, son poste
de veille, pour voir ce qui pouvait bien ve
nir distraire un instant l'ennui mortel de
sa garde héroïque et mome. On échangeait
quelques paroles, puis l'auto repartait vers
d'autres ruines et tout retombait dans le
silence... Dans le silence Car le bruit
sourd et lointain du canon devenait si habi
tuel qu'on ne l'entendait plus...
Mais ce n'est pas ce spectacle de dé
vastation qu'il fallait s'arrêter. Ce qui fai
sait l'intérêt et l'originalité du front belge,
c'était la façon dont l'armée avait su amé
nager un pays où les travaux de défense
étaient particulièrement difficiles. Cette
RESTAURANT
Chambres pour voyageurs. TéL 552
Rue de la Station, 62, YPRES.
Renommé pour ses hors-d'œuvres variés.
partie de la Flandre est un ancien pol
der un marais désséché, il y a des siè
cles. Dans ce sol bas et plat l'eau affleure.
Pas moyen de creuser des tranchées même
en plein été cinquante centimètres de
profondeur on est dans la boue. Les tra
vaux de retranchement devaient donc être
faits en relief au moyen de sacs de terre
et de telle façon qu'ils fussent invisibles
dans ce pays dénudé où l'on ne peut se
dissimuler derrière aucun accident de ter
rain
J'ai examiné ces organisations en dé
tail. J'ai commencé par Nieuport. La pe
tite ville, qui naguère s'endormait paresseu
sement l'embouchure de l'Yser, derrière
son joli port ensablé, n'était plus qu'un
amas de décombres. Rasé, le clocher bul
beux de son eglise rasé le joli beffroi de
ses Halles, et aussi cette massive tour des
Templiers qui semblait faite pour défier le
temps. Ici, maintenant, c'était ce que les
soldats appelaient le secteur aquatique. Le
terme était parfaitement juste. De Nieu
port Dixmude s'étendait la nappe uni
forme de la grande inondation.
Ses petits flots soulevés par la brise ve
naient mourir au pied du retranchement, et
quand on levait la tête au-dessus du rem
part on n'apercevait devant soi, perte
de vue, qu'une nappe d'eau grise d'où
émergeaient et là des petites îles de
boue entourées de roseaux. Quelques-
unes d'entres elles avaient été aménagées
en postes d'écoute où l'on accédait au
moyen de passerelles ou de radeaux
c'étaient les postes aquatiques S'ima-
gine-t-on ce qu'était la vie des guetteurs qui
les occupaient et qui, dans la solitude et la
brume, passaient là d'interminables nuits
Quant au rempart lui-même c'était
bien un rempart et non une tranchée
fait de sacs de terre, de branchages entre
lacés, de véritables gabions comme m
temps de Vauban, il était aussi solide, aussi
confortable que possible. Selevant de phi-
sieurs mètres au-dessus de l'inondation, il
était assez large pour qu'on eût pu y creu
ser en contre-bas des abris solides où les
hommes passaient la nuit et pouvaient bra
ver tous les bombardements. Sur aucun
point du front on n'éprouvait une pareille,
impression de sécurité. Mais quelle soli-
°*de (A Suivre).