La réforme de l'Etat
en France.
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La question de la Réjorme de l'Etat re-
vêtra cette semaine une toute particulière
actualité en France. C'est pourquoi nous of
frons au lecteur ce remarquable article d'Hi-
laire Belloc, paru dans la Revue Catholique
des Idées et des Faits. Il vous démontrera
qu'il y a parlementarisme et parlementa
risme, démocratie et démocratie.
La faiblesse croissante de la France,
dans l'après-guerre, est, en ce mo
ment, la cause principale des dangers
qui menacent l'Europe. Quand l'un des
principaux vainqueurs d'un grand con
flit s'affaiblit, alors que l'un des
vaincus ne cesse de se renforcer, de
toute évidençe l'instabilité s'ensuit.
Le renforcement au moins apparent
de la Prusse est dû l'incompréhen
sion désespérante de la politique an
glaise depuis l'Armistice jusqu'au mo
ment où la récente révolution alleman
de surprit, soudainement, nos politi
ciens anglais ignorants. Quelqu'un leur
avait dit que, de nature, la Prusse était
pacifique et gentille. Ils le crurent.
Mais ceux qui, en France, prétendaient
le croire n'étaient pas national ils
étaient le produit d'un système de
gouvernement tout fait anti-natio
nal.
Les choses en sont arrivées, l'in
térieur comme l'extérieur, cette
extrémité que le système français de
gouvernement ne peut plus durer. 11
doit changer, et radicalement, si la
France doit vivre. Tout le monde le
sent, en France. Tout le monde recon
naît qu'une réforme politique s'impose
pour sauver le pays. Mais il semble
Lien qu'une tentative de réformer l'E
tat français va être entreprise dans
un sens où l'insuccès est certain. Que
si pareil échec devait se produire, la
situation européenne qui en résulterait
serait pire encore que celle que nous
avons sous les yeux.
La réforme de l'Etat qui est l'or
dre du jour en France est basée sur ce
qu'on imagine là-bas être le mo
dèle britannique. Le projet est l'oeuvre
de M. Tardieu, homme fort intelligent
et fort instruit. C'est son projet que
M. Doumergue a fait sien. Il propose
de donner l'initiative de toute légis
lation financière au gouvernement, au
lieu de la laisser l'initiative privée
des députés et de stabiliser les gouver
nements en leur donnant le pouvoir
d'en appeler l'électeur, par la disso
lution, quand ils seront mis en mino
rité et même en cas de menace de mise
en minorité. Les réformateurs français,
confondant la cause et l'effet, s'imagi
nent que ces deux facteurs de la con
stitution parlementaire anglaise sont
les causes de sa stabilité.
Or, quiconque connaît un peu 1 An
gleterre sait que la stabilité, non seu
lement du parlementarisme anglais,
mais de tous les rouages de l'Etat an
glais. n'a absolument rien voir avec
n'importe quelles règles particulières
de l'action parlementaire. Nos usages
parlementaires anglais ne sont que des
effets, souvent éloignés, de cette cause
primordiale qui est l'origine de tou
tes les manifestations de la vie politi
que et sociale de l'Angleterre la na
ture aristocratique de l'Etat) anglais.
Sans doute, cete conception aristocra
tique s'est trouvée affaiblie depuis
quelque temps, gravement peut-être,
mais son ossature persiste, même si
certains tissus sont atteints. L Angle
terre est toujours un pays où la masse
du peuple, non seulement accepte la
direction d'une petite classe de diri
geants, mais aime d'être gouvernée de
la sorte. Plus que cela. Cette masse du
peuple anglais ne peut imaginer ce que
pourrait devenir le monde si elle n'é
tait pas gouvernée ainsh
Cet état de choses est pratiquement
inconcevable par la plupart des esprits
continentaux, plus particulièrement par
les Français. Qu'un peuple ait sup
porter le gouvernement de quelques-
uns, mais en se résignant, en endu
rant l'inévitable, cela on le comprend.
Mais qu'un peuple aime le gouverne
ment de quelques-uns, qu'il le recher
che, qu'il le considère comme normal,
comme allant de soi qu'un peuple se
sente inconfortable mal l'aise,
quand on lui parle d'égalité de tous
les citoyens, voilà qui est particulier
un Etat aristocratique. Et un Etat aris
tocratique est un cas tellement rare,
que les citoyens d'autres nations ne
parviennent jamais le comprendre
entièrement. Il y a des précédents his
toriques, et Venise en est le plus ob
vie. Mais Venise en tant du moins
que grande puissance est morte de
puis longtemps, tandis que l'Angle
terre est là, sous nos yeux, l'une des
grlandes puissances européennes, et
pourtant tellement différente, sociale
ment, de toutes les autres, comme
d'ailleurs de tout le Nouveau Monde.
Combien de Français y a-t-il se
rendre compte que si Stavisky avait
opéré en Angleterre, il n'y aurait ja
mais eu de scandale Stavisky La
classe dirigeante l'eût étouffé. Com
bien de Français y a-t-il pour compren
dre que des événements qui, en Fran
ce, provoqueraient des scandales de
première classe et mettraient en péril
l'ordre social tout entier, sont accep
tés en Angleterre comme allant de
soi tout comme dans la France
d'Ancien Régime on acceptait comme
allant de soi que les ministres du Roi
s'enrichissent Combien de Français
y a-t-il qui connaissent la part prise
par les gens de loi dans le fonction
nement du Parlement anglais Com
bien y en a-t-il qui savent qu'un avo
cat arrivé la Chambre des Commu
nes acquiert le droit un revenu im
portant payé par le contribuable, et
cela pour le restant de ses jours Le
salaire varie de mille livres ster
ling l'an dix mille livres, payées aux
magistrats importants et trente-six
emplois subsidiaires un homme de
loi qui quitte les Communes est, nor
malement, nommé l'une ou 1 autre
de ces fonctions. Cela est reçu comme
allant de soi. De même est accepté
comme allant de soi que les places
données aux familles, aux amis, aux
collaborateurs d'hommes occupant de
hautes charges politiques, que ces pla
ces leur reviennent de droit. Les moins
fortunés ne taxent pas le système d in
juste. Depuis le XVIIe siècle, ce sys
tème est devenu la structure même de
la société anglaise. Et une société
ainsi constituée doit, par sa nature
même, jouir d'une sécurité et d'une
stabilité permanentes.
Evidemment, ces avantages sont ac
quis au prix d'autres choses. Par
exemple, nous n'en sommes arrivés là,
en Angleterre, qu'en détruisant notre
classe paysanne. On peut soutenir,
aussi, que le prix moral payé pour
l'acceptation de pareilles moeurs est
infiniment trop haut, et prétendre que
le gouvernement par les riches est le
plus vil des gouvernements. Mais toute
discussion quant au prix payé en
morale ou en institutions pour les
avantages d'une telle stabilité est
côté de la question. Il s'agit de la pos
sibilité d'imitation d'un Etat aristocra
tique par un peuple qui ne possède pas
le tempérament aristocratique. Ce tem
pérament-là est celui qui fait ressentir
aux hommes un dégoût réel pour l'éga
lité et qui fait tendre instinctivement
obéir une petite classe riche car,
comme on l'a bien dit, l'aristocratie
vient d'en bas... Que si un pareil
instinct n'existe pas plus que cela
s'il est détesté et répudié il n'y a
aucune chance d'en imiter, avec suc
cès, les fruits
Pour un observateur anglais des
choses françaises, la vérité lui appa
raît ainsi jamais des institutions par
lementaires ne travailleront bien dans
une société où les hommes s'estiment
des citoyens égaux et où la plupart
sont activement intéressés dans la ma
chine gouvernementale. Il semble éga
lement évident, cet observateur an
glais, que jamais vous ne porterez re
mède aux maux inhérents tous les
Parlements par une action des parle
mentaires. Pour guérir les maladies que
le parlementarisme introduit dans les
pays non-aristocratiques, il n'y a qu
se défaire du Parlement. Ayez un pou
voir central fort et de grandes liber
tés locales, mais finissez-en avec le po
liticien professionnel. L'idée que 1 on
peut rétablir la situation par un chan
gement de personnalités parlemen
taires ou par un changement des règles
du jeu parlementaire est aussi dérai
sonnable que celle qui veut guérir un
joueur qui court la banqueroute en
lui faisant abandonner le baccara pour
la roulette ou un ivrogne en le
priant de renoncer au brandy pour
s'adonner la vodka.
Hilaire BELLOC.
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