GOSSE DE FRANCE Juin Y9\l, en Belgique... Sur la front, les Allemands s'efforcent d'en finir, car Verdun n'a pas donné les résultats attendus. Toutes leurs préoccupations sont d'ordre militaire... Rien de ce que peuvent réclamer les civils ne les touche. La population de Bruxelles vit des heures d'angoisse, dues l'insuffisance du ravi taillement, et les santés deviennent pré caires ce régime Hélas les pauvres pe tits qui voient le jour dans d'aussi tragi ques conditions sont pâture bien facile pour la grande faucheuse et les maladies infantiles font des ravages sans nombre dans les quartiers pauvres. Les plus sublimes dévouements se dépen sent même souvent en pure perte... Vaccins et sérums font défaut crèvent les civils, car l'armée de l'envahisseur ab sorbe tout... Dans la rue Haute, située au cœur du vieux Bruxelles, si pittoresque, s'élève un établissement de secours aux enfants pau vres. Un implacable fléau y accumule sans merci de tendres victimes la diphtérie. Par l'intermédiaire de la malle diploma tique espagnole, les religieuses des pauvres ont fait un suprême appel la reine des Belges exposant leur situation tragique, elles la supplient de toute leur âme de faire envoyer le précieux sérum. Hélas la reine ne quitte pas le mince lambeau de territoire belge resté encore in violé, et c'est La Panne, où elle réside avec le roi qu'elle reçoit, impuissante, la triste supplique. Toutefois, le service sanitaire français, pressenti, offre de fournir ce qu il faut, et l'Institut Pasteur se tiendra la disposition de la reine pour le moment où l'on aura trouvé le moyen de faire parvenir les am poules salvatrices. Mais voilà bien la difficulté Comment passer travers les lignes ou les fi)s électrifiés de la frontière hollan daise En parlant de cet impossible sauvetage qu'il faudrait pourtant accomplir sans tar der, des officiers de l'entourage royal ont laissé entendre que, seule, la voie des airs serait, la rigueur, praticable. Il existait, en effet, des aviateurs spécialisés pour ces sortes d'expéditions, conduisant et repre nant des envoyés spéciaux qu'ils déposaient des heures propices et dans des endroits toujours différents pour ne pas être repérés. Un rapport fut transmis aux escadrilles "belges, mais aucun des vaillants aviateurs n'était préparé ce sport. Ils ne croyaient guère, en outre, au suc cès d'une si audacieuse équipée... Ils décidèrent cependant d'avertir leurs ■camarades des escadrilles françaises voi sines... Quelle ne fut pas leur surprise, peu de temps après, de recevoir une réponse af firmative donnant 1 espoir qu'on trouve rait l'homme et l'avion. Bientôt, par une note de service régulière, l'appareil fut annoncé. A la date fixée, un petit avion de chasse, sans signe disuncut, atterrissait, en effet, sur le champ d'avia tion militaire créé par l'armée belge entre Ghyvelde et La Panne. La reine, prévenue, s'y transporte im médiatement. Le roi et un officier d ordon nance l'accompagnent. Munie du précieux colis qui contient les ampoules de sérum, Elisabeth se fait présenter l'aviateur, un jeune capitaine du nom de Fronva Il s'offre partir un peu avant la tombée du jour... mais comment compte-t-il s y prendre Brièvement, il l'explique aux souverains dont rémotion est son comble Et voia ce que cet as bénévole a décidé Priant la reine et le roi de 1 accompagner jusqu'à son avion, il en fait descendre une fillette de 12 ans, fagotée plutôt quevetue d'une robe misérable et coiffée la diable. De vieux souliers éculés la chaussent, et ses bas troués achèvent de lui donner l'as pect minable d'une petite pauvresse. Majestés, dit le capitaine, voici votre commissionnaire. La Belgique n'est pas, pour elle, un pays inconnu nous y avons habité, et voici l'emballage pour placer les ampoules... Et Fronval de remettre Elisabeth une vieille poupée, au visage tout patiné par les cajoleries enfantines. Un haillon recouvre le pauvre jouet cylindrique, mais mi racle c'est un jouet qui s'ouvre comme une boîte, et il récèle une large et profonde cachette. Les souverains ne peuvent croire une telle audace... Comment, en effet, un père peut-il offrir sa fille pour une expédition aussi périlleuse Car c'est bien sa fille Gi nette, cette charmante gosse, qui sourit si gentiment sous le déguisement peu flat teur Un tel sacrifice, la reine, tout d'abord, n'a pas voulu l'accepter, mais l'insistance du père et la crânerie malicieuse de l'en fant seront les plus fortes. Ginette, d'ailleurs, n'affirme-t-elle pas qu'elle passera, qu'elle est sûre de passer, et que les Boches du reste, ne sont pas si malins La reine, enfin, consent... Sa poupée, bourrée d'ampoules, dans les bras, la petite se sent fière de la confiance qui lui est ainsi faite. Ignorante du danger, elle brûle de partir et presse son père... Aussi bien, l'heure tragique n'a-t-elle pas sonne r Dans un élan d'amour, la reine serre Gi nette contre son cœur, et l'embrasse, les yeux remplis de larmes. Non moins émus, le roi et les officiers assistent cette scène poignante. D'un bond, l'aviateur escalade la carlingue, l'hélice se met tourner, le mo teur ronfle. Une petite tête dépasse et sa menotte, dans un geste gracieux, envoie un baiser, que chacun voudrait pour soi. Le grand oiseau, dans une courbe jolie, monte vers les nuages assez bas qui promettent une tombée du jour plus rapide. Vite, il disparaît, prenant de la hauteur, ayant l'air de se diriger vers la mer. Quelques dé tonations sourdes dans le lointain annon cent son passage au-dessus des lignes, mais l'avion, heureusement, se trouve déjà hors de portée. La grisaille descend sur la plaine de Forest. Tout est calme ici les pâtu rages sont vides, car il y a longtemps que la dernière vache a quitté ces champs où l'herbe pousse maintenant, inutile. Hélice calée, sans un bruit, l'avion des cend, glisse, rase les dernières maisons de Ruysbroek et fait un atterrissage ouaté dans une prairie. Heureusement que les Allemands ont ré quisitionné les fils de fer qui clôturaient tous ces parcs, sans quoi, la chute eût été fatale, mais l'aviateur n'est pas, il s'en faut son coup d'essai... Vite en bas de la carlingue, Fronval reçoit dans ses bras l'enfant qui, en une étreinte éperdue, donne libre cours son émotion. Puis c'est la course vers les premières maisons proches. Alors, pétarade, le moteur de l'avion qui, disparaissant, en rase motte dans la brume, réveille la campagne. C'est l'alerte Déjà, les postes disséminés autour de la capitale sont avertis et les limiers allemands vont vite en chasse. Toute personne circu lant dans les environs est fouillée, recon nue ou bouclée jusqu'à la venue des auto rités. Sur le pas d'une porte, une enfant, mal gré l'heure tardive, joue la poupée, assise tranquillement. Un soldat s'approche et questionne la petite. As-tu vu l'avion Où est l'homme qui est descendu Dis-le, si tu l'as vu, m auras du choclat. Mais l'enfant s'est mise pleurer de frayeur et l'Allemand, dans un juron, s'é loigne en grognant Dûmes kind Sale gosse A peine a-t-il disparu que la filette se met en marche... On lui a dit La route est par là, tu verras des rails de trams et tu les suivras jusqu'à Bruxelles Elle hésite, tourne, change de directions se croit perdue, son cœur bat se rompre, elle a peur et de ses lèvres, s'échappe le cri suprême Maman Mais c'est Dieu qui l'a entendu, ce cri, et, dans le calme soir, l'enfant reçoit sa réponse Ne vient-elle pas d'entendre un tinte ment soudain Tintement qui semble joyeux Ginette C'est justement le timbre d'un tram qui an nonce son arrivée. La route est donc là Ginette court, ar rive sur la route pour voir au loin le tram disparaître mais elle sourit, maintenant elle sait où elle va Marche, marche long temps. Enfin, des lumières, un grand pont de fer, ou un train fait un bruit assourdis sant dans la nuit. Elle se souvient qu'en passant par là avec sa maman, elle a déjà entendu ce bmit et que c'est ici l'entrée de Bruxelles. Vite, plus vite. Enfin, c'est la gare du Midi qu'elle reconnaît après avoir marché bien longtemps sur l'avenue déserte cette heure. La fillette est très fatiguée. Que va-t-elle devenir A qui demander son chemin. L'angoisse, la torture nouveau, les lar mes jaillissent de ses yeux font danser les lumières et coulent chaudes sur ses joues. C'est ce moment que passant devant un petit café faiblement éclairé, deux hommes en sortent A demain, Jefque, sans malheur A demain, Leïopold. La petite n'en peut plus. On lui a dit de ne s'adresser personne, mais cet accent bruxellois la met en confiance, elle s'avance craintive. M'sieur, M"sieur, vous savez pas où est la rue Haute La rue Haute s't'heure-ci, fille Qu'est-ce que tu vas faire par là Ma petite sœur est l'orphelinat, très malade, je vais lui porter sa poupée. Tu pourras pas l'voir, c'est tard, en fin c'est ton affaire, viens avec moi, j'passe pas loin de là. Rue Haute, c'est la grande bâtisse sé vère côté de l'hôpital. A la petite porte, l'homme tire sur la sonnete. On est bien long venir. Enfin, le judas s'ouvre Qui est là Que voulez-vous Ma Sœur, dit l'homme c't'une p'tite fille qui dit qu'elle vient voir sa sœur ma lade. Pas cette heure-ci, répond la voix, revenez demain. Ma Sœur, ma Sœur, ouvrez-moi, vite, vite. Mais l'enfant s'est élancée vers la porte et crie vous serez contente, j'apporte quel que chose pour les petits malades. Surprise, la tourière hésite. Ouvfira-t- elle Son geste est plus fort qu'elle et la porte s'entro'uvre. L'enfant se glisse dans l'intérieur et l'homme s'éloigne interloqué. Dans la loge, la fillette posa sa poupée sur la table. Elle pesait si lourd ses bras La Sœur revient après avoir bouclé sa porte et questionne la petite. Que veux-tu, qu'est-ce que ça veut dire Ma Sœur, il faut que je parle tout de suite la Sœur supérieure, tout de suite, tout de suite Non, mais voyez-vous cela Crois-tu qu'on peut réveiller ainsi la supérieure L'enfant ne sait plus que dire, elle hé site. puis s'approchant bien près de la Sœur, se haussant sur ses petits pieds. Vite, de la part de la reine. Stupéfaite, la Sœur croit une mystifi cation, elle regarde cette fillette qui ose parler ainsi, et enfin, après un signe de croix, lentement s'éloigne par le long cor ridor qui mène la clôture. Attends-moi sans bouger a-r-elle dit. Pauvre gosse, elle n'en a pas envie de bouger Elle tombe de fatigue, et seule, l'idée qu'elle est au bout de sa course lili tient les yeux ouverts. Un frôlement de robe dans le couloir, et la Sœur revient, accompagnée. Que me veux-tu, ma petite dit la supérieure très doucement. L'enfant, en phrases hachées par l'émo tion, lui raconte le départ en avion avec son père, le baiser de la souveraine, l'arri vée dans la grande plaine, le trajet si long où elle a eu très peur. Puis, prenant la poupée, elle en arrache la tête, et, aux yeux éblouis de la religieuse, apparaissent les pe tites ampoules bien rangées. Dans la chambre de la supérieure, la pe tite dormait maintenant, et la religieuse, genoux, remerciait Dieu longuement. Le lendemain matin, l'arrivée du doc teur, la supérieure l'entraîna jusqu'à la chambre de l'enfant, et, lui montrant Gi nette assoupie, lui souffla Un ange du bon Dieu est venu cette nuit. Voici le sérum, nos enfants sont sau vés. Les mois qui suivirent furent bien durs pour la pauvre petite, qui aurait voulu re tourner près de sa maman. Elle pensait que son papa reviendrait la chercher. Hélas ce ne fut que la guerre terminée qu'elle put retrouver ses parents Mais combien fière et heureuse était cette maman qui avait of fert un si généreux sacrifice pour que Dieu lui conservât son mari, si souvent au dan ger Quatre ans plus tard, dans un des meil leurs pensionnats de Bruxelles, on fêtait la fin des études de l'année. Quelques parents assistaient une scénette dite par les plus grandes élèves. Parmi les spectateurs, un officier regar dait avec une attention toute particulière la jeune fille qui récitait en ce moment le prologue de la pièce. Se penchant vers sa voisine, il lui dit C'est curieux, il me semble que j'ai entendu cette voix, et, cependant, je ne con nais pas cette jeune fille. Mais c'est l'amie de notre fille, ré pondit-elle. C'est une Française. Ces mots firent revivre l'officier l'émou vant envol de Ginette pour Bruxelles pen dant la guerre... C'était l'officier d'ordonnance du roi. Souvent, dans leurs conversations, les sou verains avaient manifesté le désir de ré compenser l'héroïque enfant, mais le silence le plus complet s'était fait sur les détais de cette expédition dont on connaissait seu lement la réussite. La fête terminée, l'officier pria sa fille de lui présenter son amie. La prenant part, il la regarda attentivement et lui dit Jouez-vous encore la poupée, Ma demoiselle, et en possédez-vous d'aussi jo lies que celles que vous aviez La Panne La jeune fille, interdite, eut un mouve ment de recul puis, fixant l'officier, elle mit un doigt sur sa bouche et répondit Ne me parlez pas de cela, Monsieur, c'est si loin, et mon père désire que cela reste peu connu... Deux semaines plus tard, reçue dans l'in timité au château royal de Laeken par Al bert 1er en personne et par son aflmirable épouse, Ginette Fronval. heureuse, mais tou jours modeste, s'entendit chaudement féli citer par les souverains reconnaissants. ...Et croyez-vous que le petit ruban rouge qui griffe aujourd'hui le corsage de la jeune fille soit mal placé Pol CROISSANVTLLE. Pour vo* imprimés, tous genres, adressez-vous en confiance chez M. SIX JULES 125, rue du Touque*BIZET.

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Le Sud (1934-1939) | 1934 | | pagina 7