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Voici quelques réflexions que me suggère
le Léopold II de Pierre Daye. Ce livre
humain, qui ne raconte pas une "histoire en
l'air, mais en communication étroite avec
les sources communes et profondes de la
vie, fait continuellement penser. Ludwig
raconte qu'un jour, au cours d'un voyage en
Amérique, un portefaix lui avait confié la
part d'influence qu'avait eue sur sa vie, le
récit de la vie de Napoléon. Si l'historien
n'obtient pas de tels résultats, on peut dire
■que son travail est stérile. Toute tranche de
vie d'ailleurs, condition qu'elle soit pal
pitante et chaude encore du morceau au
quel on l'a enlevée, est pleine d'enseigne
ments.
Il faut admirer avant tout l'esprit réa
liste de Léopold II, qui malgré ses ten
dances impérialistes ne tint aucun compte
de la proposition que lui avait faite Guil
laume II rétablir le royaume de Bourgo
gne. Il a su, du premier coup, dit Pierre
Daye, en juger le caractère utopique et re
pousser la tentation. II recherche un bien,
qui n'attire pas les regards et ne donnera
pas lieu d'éternelles contestations. Pour
•cela il travaille dans l'ombre. Il est l'op
posé de ces politiciens, qui clament leurs
revendications et par le fait même attirent
la nuée de ceux qui veulent les contenir.
Léopold II est le type de l'homme secret,
Celui qui agit dans les souterrains. En peut-
on voir un signe dans son amour des tun
nels, des couloirs qu'il avait fait percer
en dessous de son palais de Laeken et
d'Ostende. Il donnait ainsi jour (si on
peut appeler ainsi la nuit) ses désirs in-
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Le roi usera de la même méthode, il se
servira des mêmes détours, dans ses rela
tions avec son pays. II est remarquable de
voir, quel degré ce monarque, autocrate
né, fut respectueux de la constitution. A
cet égard, il pourrait donner plus d'un
exemple ces dictateurs qui donnent tête
baissée dans l'arène politique, et font voler
en éclat toutes les institutions. Leur œuvre
est simpliste et éminemment précaire. Même
l'empire de Napoléon, soutenu cependant
par un formidable génie, n'eut qu'un temps.
Léopold II conquiert un royaume, et place
dans le patrimoine de son pays, une con
trée (le Congo) qui n'est pas près de s'é
vanouir.
Il semble que Léopold ait attaché une
importance capitale au concept temps
On sait comment Talleyrand appréciait ce
facteur. Il disait Le temps arrange bien
des choses, pour lesquelles les plus grands
génies ne sont d'aucun secours Léopold
II et Talleyrand, que tant de points com
muns relient et qui sont les deux grands
génies politiques du XIXème siècle, bâ
tissent leur œuvre dans le temps et comptent
sur lui pour l'achever et pour faire appa
raître la réussite. Pierre Daye a parfaite
ment mis cet angle en valeur. Il insiste
sur les paroles que le roi prononçait ce
propos Les homme qui viendront ver
ront clair et me rendront justice Et voyez
comment le roi prophétise, en employant
ce compas temps qui lui ouvre les champs
de l'avenir.
Les Nations, comme les hommes, ont
leur âge critique qui dér<'
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Rénommé pour ses hors-d'œuvres variés.
jeunes nations, est au dernier quart de
leur premier siècle Et voyez comment il
met le temps en action Réaliser n'est
rien, le tout est de saisir l'instant de réa
lisation si vous le laissez passer d'une se
conde, vous ne le rattraperez plus jamais
Keyzerling dans son Analyse spectrale
de l'Europe, parle de la faculté d'adap
tation des Allemands et de leur étonnante
virtuosité fonder en dehors de chez eux
des souches et lignées vivaces et autonomes.
Il cite, en exemple, la famille royale de
Belgique. C'est bien le plus grand sujet de
reconnaissance que nous ayons l'égard de
notre dynastie, que cet enracinement et ce
désir de faire de leur pays un tout et une
réalité. Mais laissons parler Pierre Daye
On peut aussi se demander si sans ses
rois, la Belgique n'aurait pas succombé en
plusieurs occasions, victime des appétits de
ses voisins. Les rois, dès le début, ont cru
la réalité belge, ce que le peuple lui-
même fut beaucoup plus lent concevoir
Nous conna.ssons cette lenteur, et nous
l'attribuons un manque de souvenirs et
de traditions collectives. Ces premiers élé
ments sont en grande partie fournis par les
arts et la littérature, La doulce France
est un mot trouvé par un homme de lettres
et qui a fait plus que pas mal d'actes poli-
d'un pags, aussi dispa
rate que le nôtre, ses origines. Mais com
me toutes les œuvres spirituelles, (et l'œuvre
de Léopold n'échappa pas la règle, quoi
qu'elle comporta une grande part maté-
reille) la littérature est méprisée en Bel
gique. En Belgique, on se plaît tout
critiquer disait Léopold II. On critique
même l'œuvre faite sur l'œuvre du grand
roi, c'est-à-dire le Léopold II de Pierre
Daye.
On savait que le roi avait été méconnu
dans son pays. Mais quand on apprend qu'il
avait été forcé, pour faire admettre certaines
de ses libéralités, de se cacher et d'agir
par personnes interposées on demeure con
fondu. De tels traits vivants, et qui tou
chent l'absurde parce qu'ils sont la vie
même, abondent dans l'œuvre remarquable
de Pierre Daye. Je pourrais en rapporter
en foule, et les commenter indéfiniment
comme tout acte sorti des viscères mêmes.
Mais la place me manque. Nous suivons
dans le livre de notre auteur, le drame hu
main, pas pas, avec d'autant plus d'inten
sité, qu'il se passe dans une personne aux
proportions vastes et souveraines. Le roman
est fade en comparaison. La réalité nous
jette dans les situatoins les plus poignantes
et les plus invraisemblables.
Jean TEUGELS.
