A U SUD" ABONNEZ-VOUS LE SUD, dim. 3 novembre 1935. 13 La Bataille d'Ypres La description la plus saisissante de l'ef fort de nos alliés pour résister l'envahis seur et maintenir la position d'Y près, est bien cette belle page d'histoire écrite par Louis Madelin. Nos lecteurs possèdent-ils cet ouvrage paru en 1915 chez Pion La Mêlée des Flandres et dont voici un der nier extrait. LE RETABLISSEMENT Le maréchal French envisageait nettement la perspective d'un repli l'ouest d'Ypres. L'attaque allemande, non seulement dénotait le dessein ar rêté de percer, mais décelait la pré sence de forces très supérieures du cô té de l'ennemi. 11 était peu douteux que celui-ci poursuivrait le lendemain ses avantages. Or, au cours des deux jours précédents, l'armée anglaise avait fait des pertes cruelles on pou vait craindre qu'elle ne fût plus capa ble de tenir sa ligne maintenant bien démantelée. La situation du saillant d'Ypres, que je résumais tout l'heu re, apparaissait clairement au maré chal avec tous ses inconvénients. Atta qué droite et gauche, le général Haig était exposé un désastre. Dans ces conjonctures et instruit formelle ment que l'ennemi se renforçait, le ma réchal concluait dans son esprit au re pli lorsqu'il arriva Vlamertinghe, pos te de commandement du général d'Ur- bal, où Foch venait, je l'ai dit, de se rendre lui-même. Ce grand homme de guerre restait dans son rôle de coordinateur de la bataille et le remplissait avec une mer veilleuse maîtrise. Suivant de son œil *i vif les péripéties de l'énorme mêlée qui, sur un front considérable, met tait aux prises neuf armées, il ne per dait jamais cette belle humeur un peu ironique qu'on lui avait vu, sur les hauteurs de la Marne, opposer la fortune un instant adverse. Car déjà le combattant du Couronné de Nancy, le vainqueur de Fère-Champenoise était autorisé dire qu'il en avait vu bien d'autres. Plein d'un, sang-froid qui s'alimentait d'optimisme, il ne prenait rien au tragique, prenant d'ailleurs tout nu sérieux. De son quartier général de Cassel, il surveillait, des dîmes de Nieu- port aux rives de la Somme, cette for midable bataille qui, en raison même de son énormité, lui permettait de planer, partant, de donner chaque incident sa valeur exacte, d'en aper cevoir les répercussions, d'en tirer les conclusions. Actif comme un jeune co lonel, on le voyait courir, depuis trois semaines, les quartiers généraux de celui de Castelnau celui du roi Al bert et chez French ainsi qu'il di sait, comme chez Maud'huy ou chez d'Urbal souriant d'une façon un peu énigmatique sous sa grosse moustache grise, tout en mâchonnant son éternel cigare, écoutant parler, l'œil vif, brillant, malin, parlant son tour par formules brèves, pittoresques, saisissantes, sachant en quatre phrases faire éclater la vérité et faisant accep ter toutes les vérités, même les désagréables au besoin, par un amical coup de coude et surtout par une si évidente, si sincère, si commu- nicative cordialité que, du jeune roi des Belges au vieux maréchal anglais, personne ne lui avait pu fort heu reusement résister. Lui jugeait, le 31 au soir, la situa tion sérieuse il ne la jugeait pas du tout désespérée. On était Ypres du diable s'il savait comment on avait été amené faire de cette ville un de ces lieux sacrés qu'il faut, même en y en gouffrant bataillons, régiments, divi sions, sauver et garder. Ypres était cela cependant, comme plus tard sera .Verdun. On ne devait aucun prix abandonner Ypres, sans quoi les Alle mands enivrés ne connaîtraient plus d'obstacles. D'ailleurs, si les inconvé nients du saillant lui apparaissaient aussi clairement qu'à French, il lui ap paraissait aussi que, opéré sous la pres sion ennemie, le repli pourrait préci- sèment, en raison de cette situation, y tourner au désastre. 11 était donc, entendant voir les cho ses de près, allé voir le général d'Ur bal son poste de commandement de Vlamertinghe et le général Dubois l'y avait rejoint, Venant d'Ypres, confir mer la perte de Gheluvelt qui ache vait de briser le front anglais. Un beau conseil de guerre s'improvisait ainsi, qui allait tout sauver. Le maréchal French y arriva son tour, plein de sa résolution de repli. Il y eut un débat émouvant dans sa cordialité. Comme enfin le maréchal, après avoir exprimé les plus nobles sentiments, des doutes angoissants et de légitimes inquiétudes, paraissait disposé se rendre aux instances de Foch, celui-ci, sur sa re quête, écrivit de sa large et ferme écriture sur un. morceau de papier une note qui, je l'espère, sera un jour pu bliée, recto et verso. Car le ma réchal la saisissant et l'ayant lue ra pidement, se contenta de la contresi gner au verso et, avec un beau mépris des mesquins amours-propres, l'envoya telle quelle au général Haig avec ordre d'exécuter. Ainsi en ces quelques mi nutes historiques, s'accusaient, de la façon la plus admirable, les caractères de deux beaux chefs et presque de deux races. Le général Haig lui aussi était homme comprendre toute résolution énergique aussi bien, avant même qu'il en eût reçu l'ordre formel, il avait commencé réagir très forte ment. Ordonnant de tenir tout prix sur la ligne Frezenberg-Westhoek, il faisait canonner sévèrement l'ennemi et, soudain, jetait des bataillons l'as saut de Gheluvelt. Le 2e régiment Worcestershire fut magnifique cet assaut. Nos troupes ne le furent pas moins. Dans une lettre qui lui fait grand honneur, le général Haig devait signaler, peu de jours après, l'aide efficace que lui avait prêtée le 32e ré giment d'infanterie, comme un peu plus tard le 4e zouaves Les troupes anglaises et françaises, écrit-il, com battirent côte côte sous le comman dement de l'officier le plus élevé en grade, en union si étroite qu'elles ne tardèrent pas se trouver complète ment mélangées 1 Onze batail lons français prenaient part la con tre-attaque anglaise sur tout le front en cause. A trois heures, Gheluvelt était repris la baïonnette, puis Messi nes. Rentré Cassel, le général Foch y avait reçu la visite du général Wilson, chef d'état-major de l'armée britanni que. De cette conférence, moins fié vreuse que celle de Vlamertinghe, mais des plus cordiales, était sortie une série de décisions que le général Foch avait condensées en une note empreinte de (1) Le général Haig rend nommément hommage au général Moussy et au 68e, sous les ordres du lieutenant-colonel Payer- ne, ainsi qu'à la brigade de cavalerie du colonel de La Maison-Rouge Signalé ser vice écrit-il. Il rappelle avec quelle c ha bileté consommée une contre-attaque fut menée, sur l'ordre du général Vidal, par le colonel Potier, la tete du 32e et enfin il exalte la bravoure et la décision avec les quelles, par la suite, le lieutenant-colonel Eychène se jeta dans la mêlée avec deux bataillons de son 4e zouaves. la plus grande énergie. Le lr corps et A sa gauche, le 9e corps attaquerait en prenant sa direction sur Becelaere et l'est, et, sa droite, les troupes françaises prélevées sur l'armée d'Ur bal prendraient l'offensive sur le front Saint-Eloi-Wytsehaete avec Hollebeke comme objectif. Des troupes françai ses nouvelles (quatre bataillons d'a bord, puis plusieurs autres bataillons et batteries) arriveraient dans la matinée en renfort. Et satisfait, probablement, et rassuré plus encore par la bonne entente qu'il avait constatée entre les chefs alliés, le général Foch écrivait La situa tion paraît très favorable, le gros ef fort fait par l'em.emi depuis deux jours n'ayant produit aucun résultat. IV L'EMPEREUR ATTEND Il fallait l'imperturbable optimisme du général Foch pour envisager ainsi la situation. Mais la confiance et la résolution ne sont certainement pas moindres de l'autre côté. Tandis que Bavarois, Hes- sois, Wurtembergeois, Prussiens, et la Garde même, s'apprêtent de nouveaux assauts, un hôte illustre est apparu en Flandre l'Empereur arrive Thielt le 1 r novembre, vers trois heures de l'après-midi. Très logi quement, le grand quartier français, instruit assez vite de cette présence auguste sur le front adverse, en induit qu'il se passer quelque chose de sé rieux. De Thielt, dont, grâce nos aviateurs, le séjour devient prompte- ment scabreux, Guillaume II se rend au IVe corps de cavalerie OElbeke, et, pendant cinq jours, l'Empereur attendra le moment de faire, derrière ses incomparables troupes son entrée Ypres, en attendant Calais. Mais nos troupes reprennent le des sus après un combat héroïque et le 3, l'empereur Guillaume II, déçu, quitte les Flandres, et la presse allemande affirme que jamais on n'a pensé Calais. Le général Joffre est donc autorisé envoyer au général Foch de chaudes félicitations Les opérations entre prises sous votre direction ont com plètement déjoué la manœuvre de l'ennemi et enrayé son mouvement offensif sur Ypres, malgré les forces accumulées par lui dans cette région. Le 6 novembre, le général d'Urbal adressait aux troupes de son armée l'ordre suivant Soldats, la lutte qui se poursuit opiniâtre, depuis quinze jours, a brisé l'offensive d'un ennemi qui se flattait d'avoir raison de votre vaillance. Il sait maintenant ce qu'il en coûte de se mesurer avec vous et ne lutte plus que pour masquer l'échec définitif de ses plans. Je connais vos fatigues. Vous avez^ au cours de ces rudes journées, fourni des efforts considérables. Je vous en demanderai d'autres pour achever ce que nous avons entrepris. Ils ne seront pas au-dessus de votre courage et de votre amour du pays. Ce fut, après les grands résultats de cette bataille l'arrêt définitif de l'en nemi notre gauche, la conservation au roi des Belges du territoire arrosé du sang des trois armées, la barrière élevée entre l'Allemand et les ports du Nord, l'Angleterre couverte con tre toute entreprise, un résultat inap préciable encore l'amitié confirmée entre les trois armées alliées, cimentée par les services réciproques, le compa gnonnage des armes, le loyal concours, les communes ardeurs et les commune la division Rawlinson s'organiseraient solidement depuis la droite du 9e corps (croisée du chemin un kilomètre est du carrefour de la route Passchendaele- Becelaere et le chemin de Zonnebeke- Moorslede) jusqu'à Klein-Zillebeke. succès. De ce champ de bataille des Flandres, l'Entente sort affermie les trois drapeaux ont flotté sur le même sol inondé des trois sangs. Hier en core, visitant les cimetières où, côte côte, dorment, sous les cocardes con fondues, les vainqueurs des Flandres tombés en les défendant, j'ai senti mon cœur s'émouvoir et j'ai mieux com pris la cordiale affection qui, au cours de cet inoubliable pèlerinage, m'ap paraissait dans les yeux et la forte poignée de main de nos alliés. Chacune de ces armées, par surcroît, avait appris se connaître elle-même. Jamais les soldats anglais, écrivait le maréchal French, n'ont eu remplir une tâche aussi dure et, de toute leur splendide histoire, ils n'ont jamais ré pondu d'une plus belle façon l'appel désespéré qui leur a été fait. La campagne ds France, jusque-là, ne leur avait point, ces soldats britan niques, donné conscience de leur va leur, cette ténacité qui, devant Ypres, trouva sa plus belle expression, de ce Douglas Haig dont French disait Merveilleuse opiniâtreté et courage indomptable, ces soldats du régiment Worcestershire au souve nir desquels le vieux maréchal semble près de s'attendrir. Les Belges sortaient de ces com bats avec une autre fierté leur Roi leur avait dit Notre honneur natio nal est engagé. Envisagez l'avenir avec confiance, luttez avec courage. En lisant l'article admirable que l'un de leurs compatriotes, Pierre Nothomb, consacrait l'Yser, en étudiant les péripéties de la lutte dans les rapports des témoins, je ne pouvais qu'admirer leur bravoure survivant leurs forces. Ils étaient fatigués, meurtris, comme écrasés déjà en arrivant sur l'Yser. Lorsqu'ils fléchirent, c'est que la résis tance physique a des limites lorsqu'ils tinrent, c'est que la résistance morale peut n'en pas connaître. On put exa miner l'hypothèse d'une retraite au- dessus d'eux eux ne la désiraient pas et se battaient bravement où on les fixait et où on les jetait. Ce fut aux cris de Louvain Termonde qu'un jour très critique, ils chargèrent les bourreaux de la Belgique. Ils ven geaient leurs frères torturés, leurs foyers souillés, leurs cités détruites et continuaient se montrer dignes de leurs pères, ces gens des Flandres et de Wallonie qui, toujours, avaient fait échec aux tyrans. Consentant par surcroît livrer leurs terres la mer, ils s'égalèrent ces fiers Hollandais qui, au dix-septième siècle, avaient sauvé leur pays par un grand sacrifice. Et leur Roi qui s'était couvert d'hon neur un jour, en se jetant au travers de la félonie, se couvrit de gloire en mettant dans la main d'un Foch une main loyale qu'une infortune magni fique ne fit jamais trembler.

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Le Sud (1934-1939) | 1935 | | pagina 13