Comines
IN HET WAAR
SAYETTE WIJVEKEN
19, Grand' Place, YPRES
19. Grand' Place, YPRE/
ftobei. Manteaux. Bat Gants etc.
Seul Magasin de confection sur ia
GRAND'PLACE
Cl
LE SUD, dimanche 21 juin 1936
FEUX-MORTS
par Fernand HUMBERT
Voici le livre d'un auteur belge qui re
vendique une place part dans la produc
tion littéraire nationale. C'est un essai de
roman purement psychologique, d'analyse
amoureuse, dans la ligne de Proust, de
Gide, de jacques Chardonne, de facques
Rivière, de Marcel Arland. Veine très rare
dans la littérature belge de préférence des
criptive, plus régionaliste que critique. Nous
ne dïons pas que FEUX MORTS (1) soit
un chef-d'œuvre. L'auteur manque un peu
et envergure et de tempérament. Il se com
plaît dans les demi-teintes, dans une suite
en mineur pleine de pénétration et de sou
plesse, mais qui n'échappe pas un excès
de subtilités, de recherches. Les caprices
sentimentaux du héros de FEUX-MORTS
témoignent, il faut bien le dire, d'une com
plaisance en soi-même assez irritante. D'outré
part, ce livre se place sur un plan d'amora-
lité qu'il nous faut sévèrement condamner.
Ce n'est pas en termes moraux que s'ex
prime ici la perfection de l'âme, mais en
termes psychologiques, en jouissances esthé
tiques. L'auteur lui-même s'est défini un
dilettante du mariage Mais il est des
sujets qui répugnent par définition au diletr
tantisme. On ne peut pas être un dilettante
du mariage comme de la bicyclette ou de
l'aviron...
Certes, l'indissolubilité du lien conjugal
n'échappe pas M. Humbert l'on en ju
gera par la page que nous publions ci-des
sous, où le personnage central du roman
exprime sa femme la fidélité foncière
qu'il n'a pas cessé de lui garder en dépit
de ses diverses aventures extramatrimoniales
Que d'hommes reconnaîtront dans ce
livre leur impuissance aimer annonce
la bande verte de l'éditeur. Et de fait, ce
qui ressort surtout de cette longue confes
sion c'est le morne ennui d'une âme in
capable de se déprendre d'elle-même, la
solitude de ceux qui attendent leur bonheur
des autres sans rien leur donner en retour,
la sincérité de tels aveux les sauve de la
crainte Et crainte est entendu ici au double
sens amour propre et inanité. Car ce con
trôle incessant de l'intelligence sur tous les
mouvements affectifs constitue malgré tout
un pas vers la vérité, vers la seule posses
sion qui vaille ici-bas la conscience de
notre valeur, de nos limites, de notre destin.
Mais il ne suffit pas de se voir tel qtdon
est. il faut encore tenter de changer ce qui
est défectueux, pouvoir façonner cette cire
molle l'image de plus noble modèle.
FEUX-MORTS vaut surtout pat certain!
traits en t'roolr. eur par d annotations
subtiles, des coups de sonde clairvoyants
dans l'intimité des cœurs. Ma: allure géné
rale du livre lit laisse pas n'être un peu
le'/te. La langue parfois hésitante ou im
précise, n'est sas sans charme mais elle
achève de commiroiquer l'e- semble une
impression de flou, de brouillard.
Nulle femme plus que toi, Françoise,
ne m'aura paru remplir le rôle d une
épouSe. Cette tâche t'était de3tinée,
elle t'appartenait, toujours tu lui fus
égale. Ce n'est pas chez toi qu'aurait
pu s'accréditer un amour fugace. Le
moindre de tes actes proclamait une
foi, prenait place dans un ordre plein.
Qu'en cela tu te sois appuyée sur des
principes, quoi de plus naturel Mais
tu suivais d'abord ta loi propre une
nécessité vitale te portait victime de
ton esprit, de ton cœur, tu avais lié
ta vie même notre indivisibilité.
Il est de ces êtres qui nous conquiè
rent par la diversité de leur âme 1 éga
lité de la tienne, sa simplicité m'en ont
fait le prix. Je n'aurais pu te conce
voir différente. Je m'étais accoutumée
toi ainsi que nous le devenons tant
d'êtres, mesure que leur âme nous
est révélée les perspectives s'ouvrent
une une, la surprise qu'elles rveil-
lent, rarement s'égale au sujet. C est
donc sans grande attention qu'à tes cô
tés me prirent ces exigences souveraines
de stabilité, du respect. Si je t'avais
d'abord mieux connue, je t'eusse moins
mesuré mon admiration. Mais 1 habi
tude me rendit ce biens naturels, l'é
gal de ces richesses goûtées dès l'en
fance et qui plus tard n'étonnent pas.
J'ai approché beaucoup d'hommes,
et souvent tenté de les comprendre,
toujours mal. Tu es le seul être que
j'aie bien connu. Et pourtant, je sens
que je n'arriverais pas te définir. Mais
je te connais en ce sens, que je suis
toujours assuré de tes réactions. Je te
connais si bien que je n'ai pas be
soin de réfléchir ce que tu es. Com
bien ceci te distingue de ces étrange
res, qui toujours me surprennent, mê
me quand déjà j'en suis las Nous ne
connaissons bien que les êtres qui nous
dipensent d'attention.
Cette impression de constance, de
sécurité, la plus rare de toutes, d'où
me venait-elle Beaucoup de femmes
savent aimer. 11 en est de plus pas
sionnées que toi. Il en est qui mour
raient, ou donneraient la mort. Mais
plus qu'elles, sans doute, t'ont comblée
les formes et les devoirs du mariage
tu n'en pus longtemps recevoir qu'é
quilibre, aisance des mouvements. Leurs
angles même, s'ils te blessaient, ne te
repoussaient pas. Et qui donc a dit
que les soins ménagers, privant l'hom
me de sa femme ou la lui rendant in
égale, l'attiédissent Avec quelle lou
ange, au contraire, je t'ai vue adonnée
ces tâches obscures... L'on peut dé
crier bien des préoccupations, tant de
fausses grandeurs, douter des buts de
l'humanité, mais il n'est si grand sage
qui mépriserait le naturel d'un enfant.
Un être plus simple que ses actes, que
lui reprocher On l'admire.
Tu t'acquittais donc de ton rôle avec
une aisance incomparable, une sagesse
qui n'avait pas eu besoin d'apprentis
sage. Cependant le doute, la crainte
t'approchaient déjà. Non le doute sur
l'importance de ton rôle tu me lais
sais cette sagesse étroite. Mais tu étais
humaine, infiniment plus sensible que
moi. Et, au contraire, tu m'accordais
plus de prix qu'à ma place le meil
leur n'en eût mérité. Alors, tantôt, tu
te reprochais tes doutes, les rejetais,
en repoussais la souffrance; tantôt, pour
un mot, un regard, tu restais comme
accablée sous leur poids.
Le moindre incident te blessait
aussi n'ai-je jamais su définir ta pen
sée, comprendre si ta vue demeurait
bornée, si tu ne t'exagérais pas une
peine légère. Nul doute que tu ne te
rendisses compte d'une évolution. Mais
tu ne pouvais imaginer mes tristesses
d'autre cause qu'un érhec, une défaite
de l'amour cette défaite, tu la fai
sais teinr.e, tu prenais soin de t'en
accuser. L'amour, dans sa plénitude,
est toujours joyeux il courrait aux abî
mes, ne craint pas la mort, perd jus
qu'au souvenir de ses ennemis. Il sem
ble que tir. aies soudain sous-estimé ma
tendresse, sur-estimé ma fidélité.
Pour ton bonheur, poui ton malheur,
aussi, tu avais repris cette ivresse, de
compter seule dans une autre vie. J'a
vais haï pour toi tout souci, la moin
dre douleur, su m'obséder des attein
tes du temps, de son impatience, si vite
sensible dans le visage le plus pur.
J'aurais, le pouvant, donné pour ran
çon de la tienne ma jeunesse. Et voici
que je te sacrifiais des fantômes de
plaisir. Cette impression d'enveloppe
ment me manquait tout coup, et l'é
coulement des choses, leur mélancolie,
prenaient entre nous un tour nouveau et
plus grave. Une certaine compréhen
sion de la vie allait être, néanmoins,
ce qui nous unirait le mieux. Mais la
raison est bien moins attentive que le
cœur elle se tourne naturellement vers
l'a"t;on- ou se replie sur elle-même.
C'était elle, présent, c'était la rai
son qui nous portait ces silences in
accoutumés. Et il est vrai que tu n'au
rais demandé qu'à les rompre mais
pouvais-je parler Errant de supposi
tion en supposition, n'osant troubler
la première ces eaux sombres, do-'le
do!e~ke. appauvrie, tu m'attendais sur
leurs rives tu m'y attendrais toujours
il est des être qui ne changent pas.
Parfois seulement tu élevais contre toi-
même une accusation. Tu te proclamais
inférieure ta tâche. Et tu ne le fai
sais pas dans l'espoir qu'à mon tour
je m'interrogerais sur moi-même. Sin
cèrement, tu croyais ton insuffisance.
Mais ici du moins ne m'était-il pas
difficile de m'abaisser plus que toi.
:Peu de choses, au demeurant, te
rendaient la joie. Car il existe aussi
une force acquise du bonheur, et qui
rarement se brise tout coup. En Ar-
denne, comment me serait-il souvenu
de Colette Ce qui, au cours de nos
vacances, lui était repris, t'enrichissait
secrètement. A chacune de ces trêves,
le temps de tes épreuves semblait s'abo
lir. L'esprit des jours passés te ressai
sissait. Un tel besoin de détente, de
bonheur, tout coup, t'emplissait, que
tu acceptais sans réserve *et sans ré
flexion. Et tu m'échauffais ce foyer
improvisé. Tu me rendais plus sensi
bles l'agrément, la bonté des tiens. Tu
me prenais témoin du bonheur de
cette réunion. Tu m'entraînais vers vos
champs, vos prairies, vos bois. Ton
pas, plus rapide, devenait impérieux.
Je te suivais, et ta hâte s'emparait de
moi, et mon cœur croyait s'aviver. Je
me sentais meilleur parce que tu me
supposais meilleur et, au fond, j'étais
le même.
Mais souvent, Saint-Germain, com
me au Guet, je regardais de tes ob
jets familiers au plus humble, tu don
nais une valeur. Le moindre forçait
mon attention, mon adhésion, mon res
pect. Je reprenais tes lettres, gardées
une une. Et que dire de ton être
même, de ces regards où s'exprimait
ta sollicitude, si conscients, si clairs, de
cette impression unique, aux heures du
désir, d'enveloppement, de détente, de
conciliation Au temps de sa plus
grande force, quel homme n'en con
çoit al précarité L'avenir n'est per
sonne, le moindre équilibre tient du
miracle, la mort se respire dans la
maladie, dans l'épuisement des jour
nées trop pleines, dans la "vieillesse de
nos proches. Mais que de repos s'an
nonce dans une présence telle que la
tienne... Elle m'a toujours rassuré sur
l'avenir. Tu m'as rendu vivante notre
solidarité, comme si, en dépit de ma
déchéance, il s'était formé entre noua
un lien du sang.
Le Dentiste Hubert GRAULICH
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