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LE SUD, dimanche 30 août 1936.
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CHARLEMAGNE.
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Causerie faite par 1' I. N. R.
par F. L. GANSHOF
Professeur l'Université de Gand.,
le 22-51936
Charlemagne est l'une de ces personna
lités peu nombreuses dont l'action sur le
cours de l'histoire a été si grande, que le
monde d'aujourd'hui eût été différent de
ce qu'il n'avaient point existé. S'il n'appar
tient pas directement l'histoire de Belgi
que, on peut affirmer qu'il a marqué pro
fondément de son empreinte le cadre et le
milieu dans lesquels notre pays s'est formé.
Charles naquit en 742 on ignore tout du
lieu de sa naissance. Fils de Pépin III le
Bref, il appartenait la dynastie carolingien
ne, nommée ainsi d'après son grand-père
Charles Martel dynastie qui, après avoir
fourni la monarchie franque des maires du
palais, était avec Pépin, montée au trône
en 751. Comme toute sa famille il était ori
ginaire de la région mi-germanique et mi-
romane,qui s'étend de l'Escaut au Rhin et
se prolonge au Sud jusqu'à la Moselle. Pour
ce pays il a toujours manifesté une prédi
lection. Devenu roi, il se plaisait entre deux
campagnes y prendre du repos dans un de
ses domaines ou chasser dans ses forêts.
C'est toujours dans ce même pays qu'à par
tir de 786, il a fait d'Aix-la Chapelle sa ré
sidence et presque la capitale de ses états
Aix, dont les eaux minérales guérissaient ses
accès de goutte ou lui procuraient au moins
quelque soulagement.
En 768, Charles succéda son père, com
me roi de la moitié de l'état franc. La mort
de son frère Carloman en 771, le rendit
maître de la monarchie toute entière. Son
territoire correspondait peu près la
France d'aujourd'hui, la Suisse, la Belgique,
la majeure partie des Pays-Bas, l'Ouest et
le Sud de l'Allemagne.
Au cours des quarante-six années de son
règne, Charles a étendu son territoire dans
tous les sens.
II y a, tout d'abord, ajouté l'Italie ou,
tout au moins, une importante partie de
celle-ci. En 773, le pape Adrien 1er avait ré
clamé son aide contre les Lombards de l'I
talie du Nord, qui menaçaient Rome. Une
campagne entreprise en 774-775 rendit
Charles maître du royaume lombard. Mais
ceci ne lui suffisait pas. Il a placé sous son
protectorat Rome et ce que l'on appelle
l'Etat de l'Eglise Quelle que fût sa vé
nération pour Saint Pierre et pour ses suc
cesseurs, il considérait le pape comme un de
ses sujets, comme le premier évêque de ses
états.
Son action en Saxe n'est pas moins impor
tante. Les Saxons habitaient tout le Nord de
la Germanie en gros, la partie de l'Alle
magne actuelle, qui s'étend de l'Ems l'El
be. C'étaient des populations extrêmement
rudes elles pratiquaient volontiers le pil
lage et la guerre. De plus, elles étaient res
tées païennes Charles a soumis les Saxons,
il leur a fait accepter le Christianisme, il a
incorporé leurs territoires l'Etat franc qu'il
a étendu de la sorte jusqu'à l'Elbe et la
frontière danoise. Aucune des guerres de
Charlemagne n'a été d'aussi longue durée
trente trois ans, de 772 803. Aucune
d'elles n'a été aussi sanglante. Il ne s'agissait
pas seulement de soumettre un peuple, mais
d'extirper le paganisme et d'imposer aux
-vaincus la religion chrétienne. Ceci explique
l'acharnement apporté de part et d'autre
dans la lutte et l'absence de scrupules
employer les moyens les plus cruels pour
vaincre l'adversaire.
L'autorité franque s'est aussi, grâce la
politique de Charlemagne, étendue vers le
Sud-Est. Après avoir mis fin l'autonomie
dont jouissait la Batrièrej. il attaqua les
Avarsl :peuple oriental, qui s'était rendu
maître du Moyen-Danube une partie
du territoire actuel de l'Autriche, de la Hon
grie, de la Tchécoslovaquie et qui avait
soumis les populations slaves de ces régions.
Les Avars furent, en 791, attaqués par des
armées débouchant de Bavière et d'Italie
en 797, ils étaient définitivement vaincus.
Les frontières de la monarchie franque at
teignaient présent la The:ss et le Danube.
Ici également, les habitant? furent convertis
au christianisme mais grâce l'influence
d'Alcuin, le conseiller le plus écouté de
Charlemagne, on n'eut pas recours aux pro
cédés brutaux, qui avaient été en honneur
en Saxe. Cette évangélisation s'accompagna
d'une colonisation germanique de ces pays,
où les populations slaves et avars n'avaient
pas une forte densité. La région fut divisée
en marches c'est-à-dire en confins mi
litaires l'une de ces marches danubiennes
deviendra plus tard l'Autriche.
Vers le Sud, Charles a également tentéé
d'imposer de nouveaux territoires, et son
autorité et le christianisme. Mettant profit
des luttes entre chefs sarrasins, il passa, en
778, en Espagne. Le succès ne couronna pas
cette entreprise il lui fallut battre en re
traite et, dans les défilés des Pyrénées, son
arrière-garde fut massacrée par les Basques.
Parmi les morts, se trouvait le chef de la
marche de Bretagne, Roland. Sa mort a
été le point de départ de récits et de poèmes
épiques, dont le plus célèbre, la Chanson de
Roland, date du XIe siècle. Plus tard, la
conquête du Nord-Est de l'Espagne fut en
treprise par Charles entre 785 et 812, toute
la région, qui s'étend jusqu'au Sud de Bar
celone, en direction de l'Ebre, fut arrachée
aux Sarrasins. Elle fut érigée en marche
d'Espagne le berceau de la Catalogne.
Rempart inexpugnable du Christianis
me, elle devait être l'une des bases de
la reconquista de l'Espagne sur l'Islam
au moyen âge.
A la fin du VIIIe siècle, Charles était
donc la tête d'un état qui s'étendait
de la Theiss, du Danube et de l'Elbe
jusqu'à la Mer du Nord et l'Océan
Atlantique, de l'Espagne du Nord et
de l'Italie méridionale jusqu'à la Bal
tique tous les pays chrétiens de l'Ouest
et du centre du continent européen.
Maître de cet immense Etat, qui parais
sait plus fort que l'Empire Byzantin,
maître de Rome, l'ancienne capitale
impériale, Charles réunissait toutes les
conditions, pour être considéré comme
le successeur des empereurs romains.
Le pouvoir impérial n'était-il pas, d'ail
leurs, tenu par les milieux ecclésias
tiques pour un pouvoir universel, dont
la tâche essentielle était de protéger
'lEglise, de faire régner la paix dans le
monde, de réaliser le Royaume de Dieu
Christianisme. C'est sur lui, et sur lui
sur la terre Charles avait mis toutes
ses forces au service de la diffusion du
seul, que reposait, au dire d'Alcuin, le
salut de l'Eglise. On comprend que,
dans ces conditions, l'entourage du roi
ait songé le faire proclamer empereur.
Les circonstances permirent de ga
gner le pape Léon III au projet. A Noël
de l'an 800, il couronna Charlemagne
empereur Rome dans la basilique de
Saint-Pierre. Les conséquences de ce
fait furent incalculables. Il peut suffire
d'en indiquer ici une seule le renou
vellement en Occident d'un idéal impé
rial, de l'idée d'un pouvoir universel
ayant pour mission de protéger et d'é
tendre le monde chrétien. C'est cet
idéal qui, après la chute des Carolin
giens, inspira le roi d'Allemagne Otton
1er, lorsqu'en 962, il prit, son tour, la
dignité impériale Rome. C'est donc
le couronnement impérial de Charle
magne qui explique la naissance de ce
Saint-Empire, qui a duré jusqu'en 1806,
et dont l'influence a été si grande sur
le développement historique de l'Alle
magne et de l'Italie.
Dans l'immense empire de Charle
magne, il s'est formé, sous l'action du
prince et de ses collaborateurs, un sys
tème d'institutions administratives, ju
diciaires, monétaiies et autres. Une ci
vilisation y a fleuri, avec, bien entendu,
des variétés locales. Une civilisation,
dont le trait dominant est le caractère
chrétien. Toute la vie se trouve péné
trée, pas toujours par l'esprit de l'Evan
gile, mais par le dogme catholique, les
pratiques pieuses, l'adoration de la Tri
nité, la vénération pour les saints, les
récits de la Bible, le souci de la vie
éternelle. Une civilisation, dont une
partie des éléments est germanique
par exemple dans le domaine du
droit mais dont les autres sont ro
mains ou, plus exactement, classiques
notamment ce qui relève de la vie in
tellectuelle.
L'action de Charlemagne a été par
ticulièrement importante dans ce do
maine. Il avait pu se rendre compte de
l'ignorance du clergé franc et du dan
ger que cette ignorance représentait
pour la langue liturgique latine et, par
conséquent, pour la pureté du culte ca
tholique et même du dogme. D'où ses
encouragements systématiques l'étude
des écrivains classiques. Avec l'aide
d'Alcuin et d'autres collaborateurs, il
a provoqué une véritable renaissance de
la culture classique, que l'on est con
venu d'appeler Renaissance carolin
gienne Sans elle, la majeure partie
de ce que nous connaissons de la lit
térature latine eût, sans doute, été
perdu.
Mais il importe d'y insister
cette connaissance des lettres classiques
est mise au service de l'Eglise et de la
religion chrétienne. On peut en dire au
tant de l'art. L'admirable église que
Charlemagne a fait construire Aix-la-
Chapelle côté de son palais et que
nous pouvons encore admirer au
jourd'hui, peut passer pour un symbole
de cette Renaissance carolingienne
cette église, érigée la gloire de la
Vierge, repose sur des piliers antiques,
que l'empereur avait fait venir de Ra-
venne et de Rome.
Grâce l'action de Charlemagne,
l'Europe a connu pendant le moyen
âge, une civilisation et un système d'in
stitutions, dont les traits essentiels ont
été les mêmes partout une civilisation
et des institutions publiques, qui dans
une large mesure, ont subsisté long
temps après fa ruine de l'Etat carolin
gien et la naissance des états nationaux,
tels la France et l'Allemagne. Une civi
lisation sans laquelle la nôtre ne serait
pas concevable. Que l'on se demande
un instant ce qu'eût été le cours des évé
nements si Charlemagne n'avait pas
soumis les Saxons et ne les avait pal
convertis au Christianisme. Un peuple
nombreux, belliqueux, rude, païen et
peu développé eût pu devenir un dan
ger redoutable pour la civilisation oc
cidentale. On peut aussi supporter que
des missionnaires byzantins venant de
l'Est auraient prêché l'Evangile en
Saxe se représente-t-on les effets de
pareil fait sur le cours de l'histoire
Voit-on ce qu'eût signifié l'extension du
christianisme sous sa forme grecque et
de la civilisation byzantine jusque sur
la rive droite du Rhin.
A la mort de Charlemagne, en 814,
on a dû se rendre compte de la gran
deur du règne, qui prenait fin. Mais au
fur et mesure où 1 on s'éloignait de lui
dans le temps, sa personnalité grandis
sait dans l'imagination des hommes.
Au cours des siècles, on évoqua ses con
quêtes et sa gloire militaire c'est le
Charlemagne de Chansons de geste
françaises. Dans la tradition allemande,
c'est plutôt comme législateur et com
me juge que Charles a survécu on vé
nérait en lui, le prince qui faisait ré
gner dans le pays la paix et l'ordre.
L'Eglise, enfin il est vrai que ce fut
l'œuvre d'un anti-pape, Pascal III, en
1165 a rendu Charles l'honneur
le plus haut que l'on pût concevoir au
moyen âge, en l'admettant au nombre
des saints.
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TOUS LES
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