Lettre de France.
Voulez-vous connaître "REX"?
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ABONNEMENT 18
LE SUD, dimanche 25 avril 1937.
LE SUD DANS LE NORD
L'EXPOSITION DEGAS
Nous avons eu plusieurs reprises
l'occasion de signaler l'effort fourni par
l'administration des Beaux-Arts. Cette
fois encore, elle vient de nous donner
une magnifique présentation de l'œu
vre de Degas présentation diverse, mais
dont on comprend l'influence sur toute
la génération d'impressionnistes qui est
venue après lui.
On sait que Degas, tout comme Ma-
net, a été en quelque sorte le meneur
de ce que l'on nomme la révolution
impressionniste. On a d'ailleurs coutume
de rapprocher ces deux peintres et du
point de vue technique tout comme du
point de vue historique et biographique,
ce rapprochement se soutient. Mais pour
un public non préparé, ou même pour
un simple amateur d'art l'impression que
l'on reçoit des Degas, soigneusement
assemblés, comme c'est le cas cette fois-
ci, est bien plus profonde, bien plus in
tense, bien plus émotionnante que celle
que peut produire un ensemble Manet.
Ceci se vérifie déjà quand on compare
simplement les œuvres les plus connues
de 1 un et de l'autre peintre lors d'une
exposition, dans une des petites salles
du Luxembourg en face de l'«Olympia»
de Manet on voyait la plus connue de
toutes les danseuses de Degas, et l'on
comprenait combien ce dernier était plus
prés de la vie, plus près de ces pein
tres de la réalité dont le Musée de
l'Orangerie nous offrit, il y a environ
deux ans, une inoubliable exposition.
Ce qui frappe le plus quand on entre,
le matin de préférence, l'Exposition
de Degas, c'est l'extraordinaire bain de
lumière et de couleur dans lequel on
se trouve. Même quand on a étudié et
aimé les plus belles œuvres de Degas,
on ne peut pas ne pas se rappeler cet
artiste consciencieux l'excès, qui a
rendu avec une sévère exactitude un
peu de la laideur du visage humain ce
lui qui a gardé ce souvenir, éprouve
un véritable éblouissement par l'atmo
sphère lumineuse qui se dégage de l'en
semble que l'on vient de réaliser.
Comme il fallait s'y attendre les
danseuses et les sorties de bain
surabondent, car Degas en peignit une
infinité, mais ce qui est admirable, c'est
l'extraordinaire variété de ces œuvres
inspirées par un même sujet, relative
ment limité. De nos jours, la multipli
cité des photographies instantanées et
la pratique du cinéma nous ont familia
risé avec la diversité des attitudes et
des expressions, mais les tableaux de
Degas n'avaient pas attendu ces réa
lisations en quelque sorte mécaniques, et
l'on est émerveillé quand on songe
ces visions infiniment nombreuses qu'il
a su retenir et fixer.
Les organisateurs ont eu la bonne idée
de mettre en bonne place quelques co
pies d'oeuvres célèbres que Degas a re
produites en toute conscience notam
ment le fameux enlèvement des Sabi-
nes de Poussin et l'admirable portrait
d'Anne de Cleves de Holbein, et ceci
fait encore mieux comprendre ce qu'il
y a de personnel et d'extraordinaire-
ment original dans la manière de De
gas. Peut-être en voyant ces copies peut
on discerner quelles influences exer
cèrent les maîtres anciens sur certaines
compositions de Degas qu'il avait méti-
eufeusement préparées comme sa Sé-
miramfs construisant une ville mais
c'est précisément en recherchant ces in
fluences que l'on comprend mieux que
le génie propre de Degas l'empêcha
d'être un imitateur. On peut distinguer
chez Dcois autant' d'attention rn a
tieuse et de connaissance -
le que chez un Gustave M océan m s
cette application studieuse disparaît der
rière une apparence de fantaisie et. si
l'on peut dire, derrière une sorte de
verve triste qui demeure peut être l'une
des caractéristiques dominantes de De
gas.
C'est cette fantaisie qui a pu jadis
surprendre le public surtout quand elle
s'exerce sur la disposition imprévue du
sujet qu il ne s'agit pas de faire poser
mais de surprendre dans sa réalité, de
clocher en quelque sorte.
Sans doute ces théories ont elles évo
luées et sont actuellement largement ré
pandues mais, pour apprécier entière
ment l'œuvre que l'on nous' présente, il
faut se souvenir de ce qu'étaient, l'épo
que de Degas les habitudes artistiques
contre lesquelles il s est effacé de réagir.
Félicitons l'Administration des Beaux-
arts, pour le magnifique ensemble qu el
le vient de nous présenter, et espérons
que la jeune génération de peintres, qui
visitera l'exposition en tirera toutes les
heureuses conclusions que l'on en at
tend.
Fernand LELEUX
BAUDELAIRE
par P. A. van Huffel
Il est assez vain de vouloir rattacher
Ch. Baudelaire une époque, et surtout
de rechercher les influences qu'aurait pu
subir sa poésie. Il nous arrive soudain
après l'épanouissement du Romantisme,
et lorsque le monde désespérait déjà de
voir naître au firmament littéraire une
nouvelle étoile un peu différente de tou
tes celles qui avaient illustrées jusqu'a-
qu'alors les milieux épris de littérature,
Baudelaire débutait dans la carrière et
ses œuvres malgré la profonde origina
lité dont elles étaient pétries, commen
cent peine revêtir maintenant leur
physionomie propre. En effet, d'innom
brables légendes ont entouré sa person
nalité, des anecdotes souvent fausses ont
créé un poète très différent de la réa
lité, et ses œuvres dont on donnait des
intercrétations faciles et scandaleuses
ont largement contribué défigurer sa
poésie et cacher aux yeux de ses con
temporains la valeur incontestée de son
génie.
Des auteurs reconnaissant l'injustice
dont il était l'objet ont essayé de dé
blayer et de détruire les multiples lé
gendes qui entouraient sa vie, mais mal
gré toutes les louanges, toutes les criti
ques élogieuses, toutes les études et les
essais de réhabilitation, Baudelaire n'oc
cupe pas encore la place qui lui revient,
c'est dire, un des sommets de la vie
littéraire.
Pourquoi se demandera-t-on, cette
vie a-t-elle été ainsi enluminée de lé-
nendes toutes plutôt fausses que vraies
Pourquoi lui, plutôt que d'autres
Pour répondre cette question, il est
indispensable de passer en revue quel
ques traits saillants du caractère du
poète. Baudelaire était avant tout un
être renfermé et difficilement accessi
ble, et cela provenait de l'incompréhen
sion dont il était l'objet de la part de
ses contemporains sauf les femmes
qu'il a aimées, personne ne s'occupait de
lui, et de multiples injustices le for
çaient s'éloigner de ceux qui l'entou
raient. A tout cela s'ajoutait un pressant
besoin d'argent, qu'il s'efforçait par pu
deur dissimuler, craignant de deve
nir l'importun professionnel vivant au
crochet de son entourage. Bref pour ou
blier tous ses soucis et ses malheurs,
un beau jour il prit des drogues, et c'est
dès ce moment là que commence la dé
chéance physique du poète.
La vie de Ch. Baudelaire a suscité
des controverses passionnées et souvent
violentes, en ef!^t. 'nntaîs'e et 1 in
exactitude ont contribué porter sur
lui des jugements aussi contradictoires
que faux. Les cercles mondains tout en
inclinant vers l'indulgence ensencent son
œuvre, mais s'empressent de lui adres
ser des reproches et des blâmes au nom
de la morale. Par contre les milieux
catholiques le considèrent comme un
écrivain pernicieux, mais son œuvre au
point de vue purement poétique étant
admirée par plusieurs d'entr'eux, ils
s'efforçent de la défigurer.
Quant porter un jugement sur la
personnalité du poète en recourant
son œuvre ,je pense que c'est chose
malaisée, en effet, Baudelaire excelle
dans l'art des contradictions et dès que
nous croyons découvrir un trait saillant
de sa personnalité dans sa correspon
dance ou dans ses journaux intimes, in
stantanément nous trouvons dans les
aveux de «Mon cœur mis nu des
affirmations contraires. C'est vous dire
que Baudelaire lui-même ne nous éclai
rera jamais, et que le secret de sa
vie ne sera révélé ni par lui-même ni par
tous ceux qui s'efforçant de décrire les
côtés oittoresques de son existence, ont
cru par le fait même en atteindre la
partie la plus profonde.
LE POETE
Quand on nous parle de poésie mor
bide, nous pensons, et souvent tort,
celui qui semble en être le maître
véritable Baudelaire.
Notre esprit songe aussi cette œu
vre magnifique Les fleurs du Mal
bouquet d'admirables poèmes que d'au
cuns se sont efforcés au nom de la mo
rale, toujours bonne fille, de salir de
leurs jalouses imprécations. L'aspect
mystérieux de certains poèmes provient
uniquement du fait que sa vie durant,
Baudelaire a lutté pour se délivrer des
fantômes religieux qu'on lui avait im
posé dès son plus jeune âge.
Malgré quelques influences indiscu
tables telles que celle d'Edgar Poë, il
faut s'empresser de dire qu'elles ne mo
difièrent en rien la personnalité profon
de du poète.
Ce qui d'après moi eut un effet capi
tal sur Baudelaire c'est son admiration
infinie pour E. Delacroix. Tout fasciné,
il admirait les tableaux du grand pein
tre avec une fougue et une passion éton
nante il s'empresse d'ailleurs dans ses
écrits d'en donner les raisons.
Quant aux autres Gautier, Leconte de
Lislc. los. de Maistre, c'est oeine^ si
ce dernier eut une influence séduisante
sur l'auteur des Fleurs du Mal qui
tout dandy qu'il était, semblait avec
l'âge s'attacher de plus en plus des
théories qui le mettaient en contradicl
tion avec lui-même.
Poète il a vécu pour la poésie et pa^l
la poésie, aussi n'a-t-il jamais songé
en proposer une définition peut-être
peut-on énumérer ce qu'eiie n'est pas,
mais Baudelaire la considérait comme
une force que l'on subit inconsciemment
ou non et c'est dans des pages su
blimes commes celles du recueil Les
fleurs du Mal et Spleen de Paris»
que l'on retrouve la profonde vérité et
la révélation exacte de sa conceptioaj
Cette poésie est une force qui nous faii
tendre vers la vérité, vers l'infinie pû-l
reté et c'est au poète qu'il incombe de]
la dépouiller de tout ce qui pourrait la
rendre moins pure moins immaculée. La
poésie de Baudelaire se refuse des
descriptions plus ou moins subtiles, car|
expliquer en poésie, c'est détruire
L'ESTHETICIEN ET
LE CRITIQUE
C'est peine si depuis quelques an-j
nées, l'on a reconnu la valeur de BagJ
delaire et de son œuvre. Durant sa vii
méprisé et bafoué il fut rarement e
vedette. Son œuvre était considéré
comme la production d'un malade erl
d'un désaxé. Mais bientôt, les Fleunj
du Mal furent admirées, et leur ai
teur devint le rîus grand ooète del
temps il éclipsa même celui qu'il con
sidérait comme son maître Th. Gautier]
A force d'étudier son œuvre, on a
peut s'empêcher d'être ébloui par I
force et la qualité de son esprit est!
tique. Tous les grands artistes de l'épi
que n'ont trouvé de plus ardents ai
fenseurs que Baudelaire lui-même. Est-
il besoin d'y ajouter que ses critiqB
étaient parfaitement désintéressées,!
qu'il n'essaya jamais d'en tirer quelqui
profits. Dès 1846, il tint préciser s
position
Je crois sincèrement que la ml
leure critique est celle qui est amusant
et poétique non pas celle-ci. croide|
algébrique, qui, sous prétexte de toi
expliquer, n'a ni haine, ni amour|
se dépouille volontairement de toi
esDèce de tempérament, mais un
tableau étant la nature réfléchie par
artiste. celle qui sera ce tableau rél
chi par un esprit intelligent et sensibl|
Ainsi le meilleur compte rendu d'un
bleau pourra être un sonnet ou une él
gie. E9
Il faut encore admirer en Baudelail
son instinct avec lequel en examinaij
une œuvre, il sait en quelques traits
(Voir suite page 16)
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