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POUR LA
L'AMITIE.
■11 en est de l'amitié comme de tous
les grands sentiments le nom seul en
est commun.
Ce que, d'ordinaire, on désigne ainsi,
ce ne sont que des habitudes ou des al
liances.
La plupart des hommes se passent
fort bien d'aimer mais ils ont grand
peur de rester seuls, et pourvu qu'ils
n'aient plus redouter ce péril, il leur
importe assez peu de savoir au juste qui
les en préserve.
Il n'est pas d'égoïste si accompli qui
n'ait besoin de quelques personnes il
les englobe dans son égoïsme et croit
que cela fait des amitiés mais, pour
bien juger de ces sentiments, il suffit
d'observer comment ils se manifes
tent...
Le même homme qui, accoutumé
passer une partie de l'automne avec un
de ses amis, se dépite si celui-ci manque
au rendez-vous .n'aurait eu que faire de
voir, en août, celui qu'il réclame im
patiemment en octobre, parce qu'à ce
moment-là son temps était occupé d'une
autre façon...
Il en est de même du chagrin que
montrent les vieillards, la mort de
quelqu'un qui était mêlé leur vie. Ils
sont consternés par la ruine de leurs
habitudes. Ils ne pleurent pas la perte
d'un être, ils voient le vide de leur
temps.
De là vient aussi que les amis d'en
fance sont toujours si agréables et si
bienvenus.
De toutes les liaisons que nous pou
vons former, il n'en est pas, cependant,
où l'habitude ait plus de part et où le
choix véritable en ait moins. Mais si
nous regardons ces compagnons avec
tant de bienveillance, c'est qu'ils nous
rappellent notre propre vie ils sont
comme des romans où nous lisons notre
histoire. Nous leur faisons porter la
traîne de nos souvenirs. La plupart des
amitiés qu'on voit entre les hommes re
lèvent moins de leur volonté qu elles
ne résultent de leur paresse les circon
stances les plus différentes peuvent en
être la cause. Quelqu'un que nous n'au
rions pas remarqué autrement se met
nous estimer et, par cela même, prend
un droit sur nous. Il faiit plus de liberté
et d'indépendance qu'on ne croit pour
ne pas choisir qui nous a choisi et pour
continuer trouver négligeable un hom
me qui s'avise de nous distinguer. A
mesure que le temps passe, toutes ces
amitiés fortuites se durcissent et se con
solident, et nous-mêmes, la fin, nous
ne savons plus que le hasard a présidé
leur naissance.
4^
Mais les hommes ne sont pas seule
ment unis par des habitudes, ils le sont
aussi par des intérêts.
Engagés dans une carrière, arrêtés
par des obstacles et voyant les autres
dans les mêmes difficultés, ils sont prêts
aider qui les aidera. Ils tiennent un
compte très secret, mais très ponctuel,
des bons offices qu'ils reçoivent et de
ceux qu'ils rendent, prêts dénoncer le
traité dès qu'ils s'aperçoivent qu'ils y
perdent. Il s'agit là de ce que le lan
gage appelle si justement un commerce.
L'amitié véritable est bien au-dessus
de l'utile.
Non pas que deux amis ne soient
toujours piêtr. s'aider l'un l'autre
mais ce n'est pas cela qui les réunit.
Que l'un prodigue sa fortune pour ti-
?er l'r.utre d'embarras (qu'il expose
même sa vie) pour le sauver, non seu
lement il devra oublier aussitôt tout ce
qu'il a fait, mais la perfection de l'ami
tié exige que le bénéficiaire de ces ser
vices ne les oublie pas moins pleine
ment. S'en souvenir, en effet, ce serait
commettre ce qu'il y a de plus grave
dans les affections supérieures, c'est-à-
dire une faute de goût, car la recon
naissance elle-même ne pourrait paraî
tre sans quelque incongruité dans la
fête libérale qu'ils se donnent 1 un
l'autre. Les compagnons qu'a rappro
chés le hasard sont unis par les molles
chaînes de l'habitude, les alliés par les
liens étrc'ts de l'intérêt. Seules les
vraies amitiés restent aussi libres que
nécessaires. Ceux qu'elles rapprochent
n'ont pas, entre eux, de contrat ni d'en
gagement, et ils pourraient se quitter
chaque instant, s'ils n'étaient pas desti
nés rester toujours ensemble. Leur
amitié ne dépend en rien de tous les
services au'ils ont pu se rendre elle
résulte uniquement du fait qu'ils se sont
trouvés. Tôt le reste est accidentel.
L'amitié, en effet, consiste dans le
choix absolu d'un être que nous avons
distingué pour sa nature et préféré une
fois pour toutes.
Ce seul principe permet de compren
dre qu'il y a très peu de gens propres
un pareil sentiment. Pour la plupart
d'entre eux, en effet, l'homme est tou
jours peu près le même. Il leur est
d'autant plus facile de se régler, dans
leurs liaisons, sur la commodité et sur
l'intérêt que, s'ils n'avaient point ces
raisons-là de faire leurs choix, ils n en
trouveraient pas d'autres. Ils n'en sont
pas connaître et distinguer des na
tures, ils envisagent des situations. Ils
ne regardent pas les statues, mais les
piédestaux, et ils n'est pas d'homme,
fut-ce le plus grossier, qui ne leur pa
raisse quelque chose, s'il est juché sur
un socle qui tient de la place...
Cette fameuse solitude de l'âme,
dont on f.rit tant de bru't, n'est pas
ce qui les tourmente, lis ne se sentiront
jamais seuls, tant qu'ils ne seront pas
dans un désert. Ils ont trop de compa
gnons pour avoir besoin d'amis.
Le fondement de granit de la véri
table amitié, c'est, au contraire, l'idée
toujours présente et profondément res-
rentie des différences et des inégalités
prodigieuses qu'il y a entre les natures
humaines. Ni un philanthrope ni un
misanthrope ne sont propres l'amitié,
l'un étant trop crédule, l'autre trop fa
rouche, l'un accueillant tous les hom
mes et l'autre les refusant tous. Les
grandes amitiés résultent d'une concep
tion aristocratique de l'humanité. Nous
pouvons nous représenter l'ensemble
des hommes comme une pyramide dont
la matière devient plus précieuse, me
sure que la surface en est plus réduite,
de sorte que, faite d'abord d'un métal
grossier elle n'est qu'or et diamant,
la pointe où elle finit. Est propre l'a
mitié celui que les hommes n'ont pas
dégoûté de l'homme, celui dont la foi
n'a pas diminué, mesure qu'augmen
tait son expérience, celui qui, croyant
et sachant que sont semés dans la foule
quelques grandes âmes, quelques esprits
souverains, quelques cœurs charmants,
ne se fatigue pas de les chercher et les
aime avant même de les avoir rencon
trés.
(X...)
Les livres sont des compagnons aux
quels on s'attache, en raison des heures
agréables qu'on leur doit.
La bibliothèque contiendra le grand
nombre des volumes, mais nos livres les
plus chers se rangeront, soit dans les
rayons des petites t.sbîes bibliothèques
tournantes qui sont la portée de notre
main, dans le boudoir, soit dans ceux
des petites tables consoles qui font
corps avec le bois de notre lit, en guise
de tables de chevet.
On peut consacrer tout un panneau
aux belles réliures.
Une pièce où l'on peut interroger les
livres crée une atmosphère d'intimité.
Ne peut-on dire Je sais ce que tu lis,
je sais qui tu es, ce que tu aimes, quels
sont tes goûts
Saluez avant tout la maîtresse de
maison si quelqu'un vo' s arrête au pas
sage abréger l'arrêt pc ut ne manquer
ce devoir primodial de déférence.
Repousser la tentation de se préva
loir de l'intimité momentanée qu'offre
la réception tous les visiteurs pour
solliciter d'une personne haut placée,
un appui, un renseignement, un emploi,
un secours.
(Suite page 11).
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