Hubert Van Eyck,
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AGENTS DANS LE SUD
270
V
le rayonnement de la gloire solitaire
On peut détruire des légendes. Pour
déboulonner des statues, il faut d'autres
raisons.
Si les politiciens se prennent de que
relles, il rie faut pas croire que, dans
le monde scientifique, des discussions
courtoises sont seuls admises. Bien au
contraire les polémiques y sont âpres,
et nous nous souvenons des débuts de
la polémique ouverte par M. Emile Ren
tiers et Louis Beyaert autour du Maître
de Flémalle et d'Hubert van Eyck. Le-
pée de boucliers et volée d'injures les
savants les plus distingués abdiquèrent
en l'occurence toute distinction.
Emile Renders a tenu bon, et aujour
d'hui il a le mot de la fin.
Voici comment Charles Bernard re
trace, dans l'Indépendance l'histoire
de cette querelle suscitée autour du nom
d'Hubert van Eyck.
Le tome XIV du grand ouvrage de
Friedlànder sur la Peinture ancienne
aux Pays-Bas vient de paraître chez
A. W. Sythoff, Leiden. L'intérêt de
ce tome réside en ce qu'il apporte de
rectifications dans les deux volumes
précédents. Les deux principales con
sistent dans l'acceptation pure et sim
ple par le célèbre historien d'art alle
mand des deux propositions si hardi
ment développées par M. Emile Ren
ders. Primo Hubert van Eyck n'a ja
mais existé. L'oeuvre qui lui est attri
buée doit être rendue son frère Jean.
Secundo Roger de le Pasture dit van
der Weyden, bien que natif de Tour
nai, ne peut pas être confondu avec le
Toumaisien Rogelet, élève de Campin.
Au contraire, le grand Roger fut l'élève
de Jean van Eyck. Il s'ensuit que tou
tes les peintures attribuées l'anonyme
Maître de Flémalle doivent être resti
tuées van der Weyden, cependant
que la légende de l'Ecole de Tournai,
que son assimilation avec Rogelet avait,
un instant fait naître, retombe au
néant...
Ces deux thèses sont capitales en vue
d'une juste compréhension de l'histoire
de l'art flamand ses origines. Remar
quons qu'elles font disparaître deux
peintres considérés jusqu'ici parmi les
plus grands Hubert et le Maître de
Flémalle. On peut s'en affliger mais
non y voir un appauvrissement de no
tre école, puisque l'œuvre qui leur était
attribuée reste. Seulement, l'une doit
être restituée Jean, l'autre Roger.
Ceux-ci en deviennent d'autant plus
grands et il y a compensation...
Voyons le cas de Jean. Il est le maître
de l'École de Bruges, le créateur de
l'art flamand. Il a exécuté sur la com
mande de Judocus Veydt, pour être
placé l'église St-Jean (depuis St-Ba-
von) de Gand le fameux rétable de
l'Agneau l'œuvre la plus considérable et
la plus magistrale de son temps. A cet
égard, tous les témoignages concordent,
depuis Cyriaque d'Ancône écrivant en
H49 que Jean est considéré comme le
Prince des peintres, en passant par Jean
Lemaire de Belges l'appelant encore en
1504 le roi des peintres et Albert Du
rer qui en 1521 s'extasia sur la beauté
du rétable, œuvre de Jean, jusqu Va-
sari qui rapporte, en 1550, que Jean
est l'inventeur de la peinture l'huile,
et Marcus van Vaernewyck... Mais ici,
attention L'historiographe gantois,
dans un travail publié en 1562, affirme
encore que Jean van Eyck est considéré
Partout comme le maître du polyptyque
de l'Agneau qu'il appelle une des mer
veilles de Gand. Quand le tnême van
"aernewyck, dans un ouvrage paru en
1568, raconte qu'Hubert a commencé
'e rétable et que Jean l'a achevé...
Que s'est-il passé Et d'où vient cet
Hubert Il n'a pas dû, cependant, brus
quement tomber du ciel puisque cin
quante ans auparavant, en 1517, Anto-
jtio de Beatis rapporte que les chanoines
'ui ont dit que le rétable avait été com
mencé par un certain Roberto, origi
naire d'Allemagne, et que l'œuvre fut
achevée par son frère dont il ignore le
nom...
Sombre histoire Roberto, Huberto...
Il existe Gand de très vieilles archi
ves où il est question de peintres ap
pelés Luberecht, Ubrecht et Hubrechte
Un autre document mentionne un cer
tain Lubrecht van Heyke. Fondre ces
quatre personnage en un seul, en faire
un Lambrecht van Heyke, c'est bien
ainsi que naissent les légendes. Au sur
plus, Jean van Eyck avait un frère. Et
ce frère s'appelait précisément Lambert,
attaché, lui aussi, mais point en qualité
de peintre, la cour de Philippe le Bon.
Il ne faut pas voir ailleurs l'origine du
fameux Hubert que l'esprit de clocher
gantois, jaloux de la gloire de Bruges,
substitua Jean van Ëyck comme l'au
teur de la plus belle peinture du monde.
Mais les pièces Car il y a des piè
ces Et sur la foi desquelles non seu
lement on considère Hubert comme un
maître supérieur Jean, mais on lui éri
gea aussi une statue D'abord certain
quatrain rapporté dans un manuscrit ou
van Heurne, gentilhomme gantois, ent'.e
1575 et 1627, avait copié une foule
d'épitaphes et d'inscriptions. Ce qua
train qui, soi-disant décrivait le retable,
nommait Hubert, premier dans son art,
comme l'auteur principal, tandis que
Jean, son second, n'aurait fait que
l'achever après sa mort. Or, peu de
temps après sa découverte dans le ma
nuscrit de van Heurne, en 1813, le cri
tique Waagen retrouvait le quatrain sur
le retable, caché dans une épaisse cou
che de peinture. Ainsi la preuve était
mise sur la somme et la critique triom
phante, en retrouvant Hubert van Eyck
au ciel de l'art, renouvelait l'exploit de
Leverrier découvrant au bout de son
télescope la planète Neptune dont ses
calculs lui avaient révélé l'existence.
Ceci explique que, pendant cent ans
plus un historien d'art ne remonta aux
sources et que tous, les yeux fermés,
acceptèrent la version du pictor ma
jor du quatrain, Hubert, et de l'état
subordonné de son frère Jean, arte
secundus Ce qui n'empêche que Fie-
rens-Gevaert, avec une rare clairvoyan
ce et un curieux pressentiment, de même
que Friedlànder, non seulement accor
dent la prééminence Jean, mais élè
vent les plus expresses réserves en ce
qui concerne Hubert. Quand Emile
Renders eut la chance de mettre la
main sur le manuscrit de van Heurne
qui n'avait plus jamais été consulté.
Or, une analyse paléographique de
ce document démontre que le quatrain
y avait été inscrit après coup. Qu'il
n'existait pas vers 1585-1600, quand
De Heurne rassembla les documents
relatifs aux van Eyck, mais qu'il a dû
faire son apparition entre cette date et
1620, environ, où Van Heurne le trans
crit au bas d'un folio. Il ne restait plus
qu'à examiner le quatrain lui-même, que
probablement les chanoines, honteux de
leur supercherie, avaient fait disparaî
tre après peu de temps sous une cou
che de badigeon. Qu'il nous suffise de
dire que sa disposition, ses caractères,
son exécution tardive, tout montre qu'il
est apocryphe. Et vue de nez, encore
L'acte de naissance d'Hubert van Eyck
si judicieusement forgé, tombait du mê
me coup.
Mais les légendes ont la vie dure. On
parle encore dans les vieux manuels
d'une sœur des van Eyck, Marguerite,
adonnée la peinture jusqu'à lui avoir
consacré sa virginité, affirme un auteur
ancien. On n'a cependant pas joint Mar
guerite au groupe des van Eyck qu'on
voit sur une place de Gand et on a très
heureusement fait l'économie du bronze.
Mais enverra-t-on la fonte la figure
d'Hubert, pour ne laisser que Jean dans
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