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La Conférence panaméricaine de lima,
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LE SUD, dimanche 16 avril 1939
3
par Jean BASTIN
Spectacle étonnant que celui qu'offrit
la conférence panaméricaine de Lima
réunie en décembre 1938, pour affirmer
sa solidarité en dehors de l'Europe et
de l'Asie, pour affirmer qu'elle se dés-
rintéressait des autres continents pour
ne s'occuper que de problèmes améri
cains, et dont les préoccupations fu-*
rent presqu'exclusivement européennes.
Le Nazisme, les persécutions alle
mandes contre les juifs, le pacte Anti-
komintern, le conflit entre les idéolo
gies démocratique et fasciste, la guerre
civile espagnole tinrent une place bien
plus considérable dans les conversa
tions des hommes d'état, réunis dans la
•capitale péruvienne, et même dans les
séances publiques du congrès, que les
problèmes spécifiquement américains.
Mais au fait, que connaissons-nous
de cette conférence qui réunit vingt et
une nations au pied de la grande cor-
dillière des Andes quelques résolu
tions et quelques appréciations tendan
cieuses du reste, transmises par des
agences presqu'exclusivement nord amé
ricaines, et c'est tout.
Nos renseignements sur ce qui se
passe en Amérique, l'exception des
Etats-Unis, dans cet immense conti
nent peuplé de deux cents millions d'ha
bitants, sont en général aussi impréci
ses et fantaisistes que la connaissance de
nos pays par les Yankees.
Cette conférence de Lima, la huitiè
me conférence panaméricaine devrait
cependant nous intéresser au dernier
des points, ne fut ce que parce qu'elle
fut dominée par ces mêmes problèmes
qui sont pour nous des sujets d'angois
se, spectacle inédit dans l'histoire du
panaméricanisme.
Jusqu'à présent en effet, sauf peut-
être ses origines, l'Union Panaméri
caine ne fut préoccupée que de problè
mes exclusivement américains, dont la
solution paraîtrait jeu d'enfant côté
de la complexité des nôtres, chargés de
deux mille ans d'histoire. Elle~n avait
jamais eu faire face des dangers ex
térieurs vraiment sérieux. Tandis qu'au
jourd'hui, le péril fasciste l'ouest, le
péril jaune l'est deviennent vraiment
obsédants pour le citoyen du Nouveau
Monde.
L'avant dernière conférence, celle de
Montevideo, en 1933, s'était surtout
préoccupée du problème bien académi
que de la collaboration de l'Union pan
américaine avec la S. D. N. A son is
sue, on décida même de porter l'étude
de cette question l'ordre du jour de la
réunion de Lima.
Depuis la désaffection de l'Amérique
pour Genève, a pris une ampleur éton
nante, surtout depuis le conflit italo-
éthiopien. Après bien d'autres, com
mencer par le Brésil et les Etats-Unis,
la plupart des républiques américaines
ont envoyé en fait leur démission Ge
nève en 1935, c'était le Paraguay, en
1936, le Guatémala, le Honduras et le
Nicaragua enfin en juin 1938, c'est
le Chili et en juillet le Vénézuela, tandis
qu'au même moment, le Paraguay achè
ve sa scission, en se retirant de la Cour
de Justice Internationale.
Aussi, signe des temps, le problème
jadis primordial de la collaboration amé
ricaine Genève ne fut même pas ef
fleuré Lima d'autres préoccupations
retenaient l'attention.
Fait également inouï, Washington
apporta cette réunion un intérêt ex
trême.
Quelle raison pouvait bien attirer sur
la capitale péruvienne, les regards con
descendants de la toute puissante ré
publique étoilée, alors qu'elle semblait
avoir toujours considéré ces réunions
panaméricaines comme un jeu de
grands enfants
Pourquoi C'est que pour la première
fois dans leur histoire, depuis Was
hington, les Etats-Unis craignent un
ennemi extérieur, ils sentent la néces
sité de Ta collaboration de leurs voisins
du Sud pour défendre leurs positions.
C'est que enfin, pour la première fois
depuis Christophe Colomb, les deux
Amériques trouvent des motifs pour
s'unir contre de nouvelles invasions.
Mais d'une façon plus précise. Deux
faits nouveaux viennent mettre en péril
la prédominance incontestée des Etats-
Unis dans le Nouveau Monde - l'ac
croissement de la puissance du Japon
d'une part, le succès des idées totalitai
res en Europe d'autre part.
Le Japon, tout d'abord, ne se con
tente plus d'imposer avec un succès
grandissant ses marchandises l'Amé
rique latine, triomphant souvent faci
lement de la concurrence américaine,
mais s? diplomatie devient plus agis
sante et plus enveloppante d'année en
année.
Les grandes tirades contre les doc
trines totalitaires, prononcées par M.
Cordell Hull et les autres délégués
américains voilaient sans doute, des pré
occupations bien plus sérieuses et plus
précises l'accroissement formidable de
la puissance Nippone .Le Japon qui, il
y a un an, était engagé disait-on dans
un conflit sans issue et qui aujourd'hui
est maître de la moitié de la Chine et
s'apprête peut-être contester l'hégé
monie américaine sur le Pacifique. Car
il faut le reconnaître, les cris d'indigna
tion contre l'application des doctrines
racistes en Allemagne et les appels la
haine contre le fascisme, paraissent par
ticulièrement hypocrites, lorsqu'ils sont
prononcés par des bouches américai
nes. N'est-ce pas eux qui les premiers
peut-être, et avec quellle apreté et avec
quelle cruauté ont appliqué et appli
quent encore aujourd'hui les théories ra
cistes envers les Indiens tout d abord,
envers les Nègres ensuite.
Ce ressentiment contre le fascisme a
une origine bien différente. Il est incon
testable en effet, que le triomphe de-
idées totalitaires dans certains pays
d'Europe crée pour Washington un tri
ple et combien grave danger. Ces pays,
l'Allemagne, et l'Italie en particulier,
possèdent des minorités parfois compac
tes, souvent très nombreuses dans toute
l'Amérique et même aux Etats-Unis.
Une habile propagande dirigée de
Berlin et de Rome, s'efforce de conser
ver la mère patrie le cœur de ses émi-
grants. Entre l'attirance de la vieille
Europe et la puissance formidable d as
similation de la terre américaine, dont
parle Keyserling dans son beau livre
Psychanalyse de l'Amérique se li
vre une lutte sourde et acharnée dont
on ne peut encore connaître l'issue. De
la craindre pour la cohésion même de
l'état américain, de là craindre pour
un avenir peut-être prochain, des ques
tions minoritaires, il n'y a pas loin et
les Yankees savent combien ces ques
tions ont empoisonné l'atmosphère di
plomatique de l'Europe pour ne pas
s'efforcer de les éviter.
Le commerce américain est l'objet
d'un second aspect de ce danger. Par
tout où il essaye de maintenir des po
sitions acquises dans l'Amérique du
Sud, il se trouve en lutte la concur
rence italienne et surtout allemande,
aussi bien qu'à celle des marchands
japonais.
Cette lutte prend parfois un caractère
épique, les deux partis mobilisant tou
tes leurs forces, toutes leurs influences.
Ce fut le cas en Janvier 1939, en Co
lombie, propos de la construction près
de Santa Fé, d'un poste de radiodiffu
sion de grande puissance. La lutte fut
la mesure de l'enjeu la radio avec
ses possibilités énormes d'action sur les
masses dans le monde actuel.
La propaganda des pays totalitaires
constitue en effet le troisième aspect du
dangerj Le totalitarisme, n'est-il pas
vrai, imprime aux nations une concep
tion élevée et chatouilleuse du nationa
lisme. La royauté du dollar serait dans
une situation difficile si en face d'elle,
se dressaient en Amérique, quelques
authentiques régimes totalitaires, qui
répudieraient avec mépris et violence,
toute sujétion, tout appui même voilé
de Washington.
Ce danger s'est encore accru le jour
où le Général Franco a obtenu la vic
toire finale en Espagne. Il ne faut pas
oublier que la Nouvelle Espagne pense
ra son ancien Empire. La Phalange a
une conception impériale de sa mission
dans le monde et notamment chez les
peuples parlant espagnol.
A n'en pas douter, nous verrons
l'Espagne dans un avenir prochain ten
ter un effort de rapprochement avec
ses anciennes colonies. Elle favorisera
en même temps la diffusion des idées
totalitaires en Amérique latine.
Ce triple péril, les hommes d'état de
Washington sont trop avertis pour ne
pas en comprendre toute l'ampleur.
Faut-il chercher d'autres causes aux at
taques forcenées des membres du gou
vernement contre les dictatures. Sans
doute l'influence juive y est pour quel
que chose. Mais c'est surtout un mou
vement instinctif de réaction contre ce
qu'on considère confusément outre-at
lantique, comme une nouvelle invasion
aussi dangereuse que celle de Cortes et
de Pizarre.
Ces mêmes préoccupations, Washing
ton les trouva chez plusieurs républi
ques ibéroaméricaines.
Sans doute, le problème des minorités
-ne s'est pas encore posé toutefois en
certaines contrées, la densité allemande
et italienne est si forte, que ces ressor
tissants peuvent vivre en ne connaissant
que leur langue maternelle. Il y a des
millions d'Allemands et d'Italiens, no
tamment au Brésil, en Argentine et au
Chili.
Si les capitales du Sud craignent
moins la concurrence commerciale alle
mande et italienne, qui constitue pour
eux contrepoids de l'envahissement des
marchandises yankees, comme dans le
Nord, certaines craignent de voir leur
continent devenir un nouveau champ de
bataille des idées totalitaires et démo
cratiques.
De cette crainte, on peut en voir la
preuve dans certaines manifestations de
l'opinion publique. Il n'est pas rare de
voir que des incidents comme celui qui
troubla Montevideo en décembre 1938,
la veille de la clôture de la conférence
de Lima, où des marins italiens auraient
été lynchés par la foule si la police
n'était intervenue.
Comprenant qu'une victoire totale du
général Franco ne ferait qu'aggraver
la pression totalitaire en Amérique la
tine, aussi bien et plus que certaines
républiques du Sud, les Etats Unis fa
vorisèrent toute solution transactionnel
le du conflit espagnol. C'est d'eux que
sont partis diverses initiatives pour ame
ner un accord entre les deux partis
mais c'est chez eux aussi, et pour les
mêmes raisons, que les républicains ont
trouvé un de leur plus fermes soutiens
80 de la population, disent certaines
statistiques auraient été favorables
Valence. Aun moment donné, il fut mê
me très sérieusement question de lever
l'embargo sur les armes destination des
Républicains. Il fallut la prise de Bar
celone pour faire comprendre Was
hington que cette mesure devenait in
opportune parce qu'inutile.
Ainsi donc, dans divers domaines,
l'Amérique du Nord trouvait un ter
rain d'entente avec ses voisins du Sud.
Depuis longtemps on cherchait outre-
atlantique le ciment adéquat qui donne
rait la cohésion l'union panaméricaine
qui était loin d'être une réalité avant
Lima.
Les augures de Washington crurent
la trouver dans l'antifascisme qui ré
pondait une certaine nécessité de part
et d'autre.
Persuadés que l'on ne s'unit que si
on doit se défendre contre un danger
précis, ils voulurent lancer l'Union Pan
américaine dans la lutte contre les dic
tatures, espérant, par là, en faire un
organisme capable de résister aux in
fluences occidentales. Une Union Pan
américaine, pétrie de l'esprit démocra
tique serait indirectement dans chaque
capitale, un sûr défenseur de leurs in
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