/upplément
illustré du
16 avril 1939
L'art Courtraisien
Mosaïque littéraire
du Courtraifit.
No 22
Chaque ville possède son monument
caractéristique qui la personnifie, la
synthétise pour ainsi dire aux yeux de
quiconque l'évoque.
On demanderait aux Courtraisiens de
plébisciter ce sujet, l'unanimité de
leurs suffrages irait sans aucun doute
aux deux grosses paresseuses assises le
long de la Lys leurs chères tours du
Broel.
Elles sont là immobiles, depuis des
siècles, reliées par un joli pont dos
d'âne, et ne demandant qu'à se laisser
photographier, comme deux vieilles co
quettes.
C'est un soir d'été, approchons nous
■d'elles, il nous faut vous les présenter.
Est-ce un fard qu'elles piquent, ce
rouge carmin qui monte présent
leur douce figure pointue qui se miroite
dans les eaux de la rivière
Sur la rive droite, la tour dite Spey-
torre née au château du comte de
Flandre dont elle faisait partie depuis
le 12e Siècle. Èlle revêt la forme con
sacrée pafr la fortification au Moyen-
Age donjon massif, pourvu dans le
haut d'un encorbellement ou hourd den
telé en mâchicoulis, et couvert d'une toi
ture unique, piquée de quelques lucar
nes. La compagne de l'autre rive en
est la réplique fidèle. Volontiers on les
qualifierait de soeurs jumelles si elles
n'étaient nées deux siècles de distance.
En effet, 1' Inghelbrugtorre de la
rive gauche, fut construite ainsi que le
pont qui enjambe la rivière, durant les
années 1411-1413. Leur rôle dans leurs
premières années fut la défense de la
ville. L'épaisseur de leurs murs (2,50
la base), les archères, les meurtrières,
et même les canonnières dont elles sont
percées distances régulières, en font
foi.
Si elles pouvaient parler, les deux
vieilles tours Elles qui ont vu défiler
les uniformes de presque tous les ré
giments de l'Ecrope. Le coeur serré, la
Speytorre a vu les rudes combats
de 1302, non loin de ses murs. Vous
énumérer la liste des batailles auxquelles
les tours ont assisté et dans lesquelles
elles jouèrent toujours un rôle de pre
mier plan, nous éloignerait trop de no
tre sujet. Ce sont elles qui en septembre
1918 virent arriver l'étendard des An
glais chassant l'ennemi de la cité (1
Tant de gloire se paie. Après la ba
taille de Rosebeke en 1382, la tour dite
Speytorre fut presque entièrement
démolie par les soldats de Charles VI,
roi de France.
Il est aisé de le constater la dif
férence des matériaux qui la composent.
En 1684, lorsque Courtrai fit sa red
dition Louis XIV? celui-ci ordonna le
démantèlement général des fortifica
tions. Est-ce l'objet du hasard, ou l'in
térêt spécial qu'elles inspiraient au Roi
Soleil, les tours, bien que comprises
dans la ceinture fortifiée, furent épar
gnées.
Nos tours eurent, grâce Dieu, des
rôles bien plus pacifiques.
Vers une époque bien plus rappro
chée, celle de la rive droite servit de
local aux débardeurs du port dé Cour
trai.
Les débardeurs constituaient une cor
poration (2)#de Courtrai. Ils se réunis
saient là, entre leurs heures de travail
pour se récréer l'abri du vent et dé
la pluie. Ils y attendaient l'arrivée dés
bateaux...
En 1877 le musée d'Archéologie y fut
installé. Il est certain que ce local de
vait s'avérer dans l'avenir comme étant
trop étroit pour abriter les collections,
sans cesse grandissantes du musée local.
Les Grandes Halles les ont reçues de
puis lors. Ceci fait qu'en ce moment les
deux tours méritent le vocable de pa
resseuses elles ne font plus rien. Plus
rien quelle erreur, cher lecteur.
Ces tours charment encore chaque
jour les yeux des touristes (3) qui visi
tent la bonne cité flamande. Et ceci
encore, leur est un titre de gloire que
l'on souhaite qu'elles gardent bien long
temps.
André Steyt.
(1) Cet étendard est encore visible
dans la salle du conseil de l'hôtel de
ville.
(2) Un des vitraux de la Salle du
Conseil de l'hôtel de ville l'atteste.
(3) Pour jouir d'un coup d'œil ori
ginal sur les tours ainsi que les diffé
rents édifices principaux de la ville,
que le touriste se rende au Boulevard
G. Vercruysse, continuation du Boule
vard Julien Liebaert, reliant la porte de
Gand la chaussée de Bruges.
Les vieilles pierres grises, patinées, les tours rondes et ven
trues, les pures arches gothiques du pont du Broel dont les
ogives se reflètent et se doublent dans l'eau noire.
Maxence Van der Meersch.
Prix Goncourt
Sous les arceaux gothiques, passe une
soutane. C'est un vieux prêtre. On le
dit pieux, charitable, naïf Ondér-
pastoor Gezelle Un bout de vicaire,
plus âgé qu'il n'est accoutumé, plus
humble seulement et plus minable. Sa
soutane est verte, son chapeau pelé. Le
temps n'est pas encore des vicaires aux
sillages triomphaux de la J.O.C. et des
syndicats chrétiens. Maître Gezelle
obéit son curé et rogne de ci-de là une
demi-heure pour la poésie. Un original
évidemment. On lui donne le coup de
chapeau distribué tout prêtre. Con
formisme signe de ralliement. C'était
le temps dés grandes luttes entre clé
ricaux et anticléricaux. Par ailleurs, on
le considérait peu. Les gens en place
le jugeaient flamingant et original. Ta
res sans secondes. De plus, il était ré
puté mal vu l'évêché. Seuls quelques
miséreux chantaient les louanges du vi
caire Gezelle, parce qu'il se dépouillait
pour eux. Quelques esthètes faisaient
résonner le mot artiste sans rien
comprendre l'intense poésie qui mon
tait de ses œuvres, telle une sève trop
forte et trop pure. De rares amis de la
beauté prononçaient un génie
C'était le terme exact. Gezelle n'a pas
eu de maître, et n'a pas eu d'école. Il
n'en aura pas. Il est inimitable. Cer
taine étoffe d'âme l'apparente Mis
tral. Combien se doutent, bourrés de
textes officiels que celui-ci représente
les sommets ensoleillés de la poésie
française au XIXe siècle
Maintenant la gloire de Guido Ge
zelle a poussé par delà les frontières. On
le connaît mal. Il est intraduisible. Nous
avons peiné déflorer Homère coups
de lexiques, de grammaire, d'explica
tions. La poésie ne se traduit pas.
Celle surtout qui jaillit du cœur, se
concrète en une langue si forte, si mu
sicale, si chatoyante, si savoureuse, que
l'équivalent dans une autre langue ne
se retrouve pas.
Dans un coin, près de Notre-Dame
un buste rappelle le Maître. L'humble
prêtre eût aimé le doin d'ombre où on
l'a relégué.
D'ailleurs, Conscience s'est contenté
d'une simple pierre un demi-siècle après
sa mort. Encore avait-il rempli des
fonctions officielles. Mais il a écrit De
Burgers van Daarlingen Les Cour
traisiens sont chatouilleux. Ils entendent
la médisance, comme la circulation dans
certaines de leurs rues mal pavées
sens "unique.
Drôle de corps que ces Gezelle Sa
sœur ne s'est-elle pas avisée d'accoucher
d'un hurluberlu qui a préféré l'odeur
de l'encre d'imprimerie celle du pain
qui cuit dans le four paternel
...Broodjes in den oven
Riekt er iets zoo zoet?...
Ce numéro plus spécialement con
sacré Courtrai est dû l'initiative de
nos dévoués collaborateurs courtrai
siens MM. A. et L. Grymonprez et A.
Steyt. Nous les en remercions vivement
au nom de nos lecteurs.
LE SUD.
Les gens de son village natal disent
quelquefois 't Is één lijk Stijn Streu-
vels
Cela ne veut pas dire C'est un
grand homme Cela vise un original
drôlement attiffé.
Streuvels s'en moque éperdûment. Sa
solitude orgueilleuse domine la presti
gieuse vallée de l'Escaut et les collinés
oui le bordent, comme son œuvre do
mine la littérature descriptive de l'épo
que. L'œuvre de Streuvels est immense.
Elle est notoire en Europe. Elle devrait
être glorieuse. Aucune littérature ne m'a
donné cette impression de sol gras et
fort retourné par un soc luisant. Aucune
n'a rendu cette vie paisible et étriquée,
ce labeur obstiné coupé de lampées de
bière qui monte la tête. Aucune, cer
taines duretés sous des apparences de
bon sens et de tradition, qui ne sont que
l'appât du gain, la vanité, transmis de
génération en génération. Aucune non
plus. La hantise du soleil étranger, sou
verain et impitoyable, par-dessus des
moissons immenses sur lesquelles pei
nent des muscles durcis où succombent
de jeunes cœurs qui n'ont pas su chas
ser la poésie d'une douce image du
pays. On a reproché Streuvels le man
que de psychologie Cliché. Telle
page du Vlasgaard tel coin d'ombre
ou de lumière de «De Oogst» marquent
un temps du mystère de l'âme que l'on
n'oublie jamais. Que dire de ce roman
de la sainteté de chez nous, Aima aux
cheveux de lin que la critique a passé
sous silence parce qu'il la dépassait
Streuvels, l'époque, n'était plus de
mode. On l'avait gratifié d'un dernier
sourire pour son délicieux Prutske
Pourquoi s'obstinait-il
Peut-être y a-t-il, dans la misanthro
pie grandissante du plus grand des
prosateurs néerlandais quelque rancœur.
Il est pénible de sentir s'appesantir cer
tains honneurs qui semblent presque
une gloire posthume. Mais dans le re
cueillement du soir, la pensée se dé
tourne des fatigues du jour. L'esprit
(Voir suite page 2)
Ceasar Gezelle