La Statue
de Beauneveu
2
LE SUD, dimanche 16 avril 1939
(Suite de la Ire page)
juge plus sereinement. Le cœur se rem
plit de douceur. La vraie grandeur c'est
la charité. La petite sainte de Streu-
vels Aima, l'avait compris.
Cette sérénité, le prêtre-poète, cou
sin de Stijn Streuvels, l'a-t-il connue
aux moments ultimes Il avait disparu
de nos horizons depuis la guerre. Il rem
plissait d'obscures tâches là-bas dans la
région du front. Plusieurs d'entre nous
avaient connu César Gezelle, profes
seur de poésie. Il était un poète de ta
lent. Il était aussi, comme son oncle, un
érudit. Mais son oncle, comme son cou
sin, lui faisaient tort. Triste destin que
d'être le neveu d'un grand homme
L'onction sainte n'abolit pas l'homme.
César Gezelle a souffert sans doute,
d'une estime que sa sensibilité exquise
de poète sentait aller plus son nom,
qu'à sa personne. Un petit livre Huit
jours chez les Trappistes témoigne
d'une âme blessée.
Son décès, pour Courtrai, est passé
quasi inaperçu. Qui parle encore de Cé
sar Gezelle Les morts vont vite...
dit la vieille ballade de Buerger.
Pour quelques-uns, il demeure un
poète délicat, un observateur plein de
finesse et de goût.
Le climat de la ville serait-il défavo
rable. aux artistes
Il existe un démenti vivant. Willem
Putman s'accommode très bien du train-
train de province. C'est un heureux
garçpn. On s'étonne de le savoir fonc
tionnaire et père de famille nombreuse.
Ecrivain, poète, musicien, il n'a que des
amis. Il a acclimaté en Flandre une psy
chologie théâtrale fleur de peau uù
peu Géraldy, un peu Jean Garusent,
soulignée d'ombres discrètes, de pleurs
vite séchés, d'une sonate. En plus, une
langue nouvelle, distinguée, naturelle: la
langue de bonne compagnie mal intro
duite encore en pays flamand. Ce n'est
pas rien. La flore des sociétés drama
tiques qui éclosent en Flandre, mous
serons dans les bois, a exploité avec
délection cette veine nouvelle. Putman
connaît le succès. D'aucuns le vou
draient d'un aloi plus fort. On lui re
proche les défauts de ses qualités. Mais
Willem Putman est un enfant du bon
heur Carpe diem dit un philosophe.
Pourquoi se soucier du lendemain
La vie est belle
Théodore Sevens a donné son nom
une rue. C'était un homme méticuleux
qui promenait sa petite taille par les
rues de la ville avec une mine pleine
de bonhomie et de dignité. Il avait des
lettres. Il écrivait. Il écrivait mal. A la
manière d'un élève qui rédige un pen
sum. Peu d'hommes pourtant ont con
nu une activité pareille la sienne. Il
s'est attelé dépouiller d'innombrables
paperasses jetées pêle-mêle dans les ca
ves et les greniers de notre hôtel de ville.
D'aucuns, plus tard, publieront maint
ouvrage qui fera les délices des contem
porains. Peut-être fera-t-on sur Courtrai
quelque travail historique d'envergure.
On ne songera plus au petit maître d'é
cole qui, d'un labeur acharné, a déchif
fré, dépouillé, classé, annoté le fouillis
des documents.
Le bilinguisme d'une région a des con
trastes inattendus. Il existe Courtrai
un gentilhomme des lettres qu'on croi
rait descendu d'un cadre de la Renais
sance. Avocat, homme politique, voya
geur, écrivain, il évoque ces notables du
Nord qui abandonnaient leur charge
pour parcourir l'Europe. Je n'aime pas
toujours les idées politiques de Robert
Gillon je n'aime pas ses discours. On
y discerne la gangue d'un conventionis-
me trop étranger lui. Par contre, quel
délicieux conférencier quel prestigieux
évocateur Les choses du monde espa
gnol lui sont familières comme ses pay
sages. Et sa mémoire est aussi fidèle
qu'on imagine ses merveilleuses photos
une simple projection d'icelle.
«Dans l'ombre d'un trône» est une fres
que trafique, d'une érudition peu com
mune. Quelque réthorique la dépare par
endroits. L'artiste Robert Gillon devrait
oublier qu'il est avocat et homme po
litique. A le voir passer, tête haute et
lointain, parmi les nouvelles couches
du municipe, on ne s'empêche pas de
penser Que fait cet orgueil parmi
ces vanités Car il y a dans l'orgueil
une grandeur une grandeur géné
ratrice de beauté.
Il y a une quinzaine d'années, un
vieillard de haute taille passait de temps
autre par nos rues. Très droit, très
vert pour ses quatre-vingts ans il don
nait l'impression d'un homme qui émer
geait, surpris, d'un autre siècle. Sa phra
se avait cette ampleur, ce quelque chose
d'arrondi, qu'il mettait dans ses gestes.
Nous devons la bienveillance sou
riante de Monsieur Pierre Debbaudt,
l'aimable archiviste de la Ville de Cour
trai, le plaisir de vous présenter sur
cette page la reproduction de la célèbre
statue de Ste Catherine. Le fervent d'art
qui la contemplera sous les voûtes de
Notre Dame, sera frappé par l'admi
rable expression d'idéalisme de la Sain
te. honorée comme Vierge et Martyre.
L'artiste la représente foulant aux
pieds l'image de l'empereur Maximin,
qui personnifie le sophisme, la corrup
tion et la persécution elle tient dans
la main droite le glaive, instrument de
son supplice.
Ci-dessus
Cette statue est universellement con
nue toutes les histoires de l'art en par
lent, tous les critiques d'art en parlent.
L'histoire de l'art en seize volumes
d'André Michel (Paris) en donne la
reproduction. L'Art, des origines nos
jours (Larousse, Hist. 2 vol.) donne
au premier volume, page 196, l'hélio
gravure de la Statue de Ste Catherine
Courtrai.
On y pose la question suivante l'au
teur de la statue est-il André Beaune
veu Il doit l'être. André Beauneveu
avait son atelier Lille, la fin du
XlVme siècle. La statue fut envoyée
Courtrai en 1386, d'après les disposi
tions testamentaires du Comte Louis de
Maele, arrivant du château de Lille.
La tradition était claire et nette tous,
le Doyen, le Chapitre et la population
savaient que c'était Beauneveu, le sculp
teur favori de Louis de Maele qui
l'avait faite. De grands critiques d'Art
modernes, tels que Mgr Dehaines et
M. Fierens-Gevaert dont la compétence
est bien connue, confirment cette tradi
tion six fois séculaire. Des comparai
sons concluantes furent faites avec d'au
tres œuvres d'André Beauneveu mi
niatures et statues qui existent
Amiens et St. Denis.
La vue et la contemplation de ce chef-
d'œuvre ainsi que du maître-autel et de
la chapelle absidiale valent la peine
d'un déplacement Courtrai.
A. Steyt.
Statue de Ste Catherine.
Un rien d'emphase. L'homme a éclos
en plein romantisme. Il croit la puis
sance des mots, la magie du verbe. Il
a communiqué sa foi tant d'autres
dont le nom est familier Rodenbach,
Declercq, Streuvels même, Putman... Il
a marqué de son enthousiasme les géné
rations montantes. On se rappelle avec
dilection ses causeries. On le lit peu.
Mais on garde le' souvenir d'un grand
vieillard, racé, plein de noblesse, qui a
initié les jeunes l'art, la beauté.
R. G.
La poésie inocula dans vos
pierres et vos rues, cités de
Flandre, la tristesse des grandes
époques en allées, dont l'âme sem
ble regarder le passant derrière
les vitraux armoriés de vos fenê
tres...
Jules Sottiaux.
Portrait de Styn Streuvels.
Ci-contre
Willem Putman.
Courtrai, ville orgueilleuse,
où, ceinturée de quais et de di
gues, la Lys domestiquée baigne
les murs noircis des tanneries, des
meuneriesdes tissages, et leur
amène les lourdes péniches char
gées jusqu'aux plats bords...
Maxence Van der Meersch
Prix Goncourt