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Feuilleton du journalLa Lutte-De Strijd,,
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JEAN CHALON
Alors Georgette se tint debout, cramponnée
a une chaise, n'osant lacher l'étai, criant bien
fort quand la maman s'éloignait. II lui fallut
des jours pour s'enhardir et faire le tour de la
chaise en la tenant de ses petites menottes
crispées, si maladroiteset des semaines avant
d'abandonner la chaise pour marcher vers sa
mère qui lui tendait les bras et l'appelait.
Comme ses jambes vacillaient, indécises, et
pliaient sous le poidsCependant Hélène pour
ne pas la décourager multipliait les précau-
tions, toujours prête it la saisir et a l'enlever
dès qu'une chute devenait imminente, et volon-
tiers elle détaillait it Jacques qui revenait de
l'usine les progrès obtenus... Alors tous les
deux admiraient l'enfanpon, pendant que la
soupe froidissait sur la table. Le soir, Geor
gette dormait et les bonnes reunions et cause-
ries ne furent pas interrompues, autour de la
lampe apaisée par son abat-jour blanc.
Un événement marqua une date mémorable
dans l'éducation de Georgetteelle marcha
seule d'une chaise a l'autre autour de la cham-
bre, cueillant sur chacune un bonbon. Grand
voyage.
Son jeu favori vers cette époque consistait a
frapper le bois de la table oü on l'assayait
avec la cuiller qui servait a manger les pana-
despan, pan, pan, pan, pan... et fort, et vite.
Quel tapageElle se délectait dans le bruit,
redoublait, poussait des cris aigus et des éclats
de rire marquant l'apogée de sa joie.
Le temps fuyait avec une rapidité extraordi
naire. Déja Déja s'écriait invariablement
Hélène, quand au bout de chaque mois, elle
réglait les comptes d'Antoinette. Un mois ne
semblait pas plus long qu'un jour.
Et Georgette paria. Oh les premiers balbu-
tiements, maman d'abord, ce. mot par lequel
débute le verbe des enfantelets, et souvent le
dernier que les vieillards prononcentpuis
papa, bonbon, bébé, bobo toujours des labialss
redoublées, sans efforts du larynx, presque
sans travail de la langue. Plus tard vinrent les
petites phrases, les noms bien difliciles que la
mère, proposant quelque friaudise pour ré-
compense, essayait pendant des joumées entiè-
res avec une patience que nen ne lassait, de
faire répéter par la petite. Presque toujours,
Jacques revenant de la fabrique avait dans sa
poche un biscuit anglais, ou des anis sucrés,
et Georgette accourait ii sa rencontre, l'em-
brassait bien fort malgré sa longue barbe et
croquait la friandise. Une fois, l'ayant oubliée,
il dit a la fillette
Tu sais, Miette, je n'ai pas de bonbon
aujourd'hui.
Et Georgette lui répondit
Je t'aime bien tout de même, sans bon
bon.
Le mot fut relenu, répété. admiré, Miette,
un nom d'amitié, donné lorsqu'elle était petite
comme une miette de pain, bien longtemps
lui resta. Le père l'employait quand il voulait
parler a sa fille plus tendrement que d'habi-
tude. Pour la reprendre au contraire, pour les
choses sérieuses et les graves recommanda-
tions, il disaitGeorgette
Hélène et Annie comparaient leurs bébés, et
s'en racontaient mutueilement les merveiiles
en d'intarissables causeries. Je crois même,
ceci entre nous, que l'une n'écoutait l'autre
que par politesse et pour avoir le droit d'être
écoutée, son tour venu. L'enfant d'Annie, un
garoon, plus jeune d'un mois, était visible-
ment plus arriéré. Berlin prétendait en riant
qu'il rattraperait cela plus tard... entre dix-
huit et viogt ans par exemple. Et les deux
mères se consultaient interminablement sur les
vêtements les plus convenables, se prêtant des
patrons et travaillant ensemble sur la nourri-
ture la meilleure pour les petits, sur les heures
de sommeil qu'il fallait leur donner
C'est long un an... qu'on a devant soi est-
il effeuillé avec le calendrier on dirait
une semaine.
Les aonées passèrent...
II y eut la série des drames puérilsGeor
gette barbouillée de confitures, barbouillée
jusqu'aux yeux, poissée, gluante, a ne savoir
comment y mettre la main Georgette roulée
dans la boue du chemin, dans une de ces boues
profondes et parfaitement noires des pays fer-
rugineux et charbonnierspleurs, lavage com
plet de Georgette, préalablement mise toute
nue, comme les petits polissons qui l'été,
malgré le garde-champêtre, vont se baigner
en rivière puis le doigt écrasé dans un joint
de porte cris affreux, sang répandu, émoi de
la mère, course de la servante chez le docteur
Bertin, heureuse terminaison moyennant eau
fraiche et bandelette de toilc.
Plus grave que l'index meurtri fut la pre
mière dent. Jusque la si calme la nuit, Geor
gette se mit a pleurer presque continuelle-
ment. Pour les étrangers, elle devint simple-
ment insupportableles parents, avec une
patience inaltérable, la plaignant, ladorlotant,
supportèrent ces heures mauvaises, encore que
l'enfant les empêchat dedormir.
La vaccination fut aussi cause de trouble et
par suite rangée dans les grands bobos. Geor
gette eut trois jours de fièvre avec insomnie...
et larmes naturellement. L'année suivante une
rougeole, quoique bénigne et en huit jours ter-
minée, plongea la maman dans des inquiétu-
des... le père, rassuré par son ami Claude, fut
ennuyé seulement. Jacques et Hélène s'atta-
chaient a la petite d'autant plus qu'elle leur
causait plus de tracas.
Une épidémie de scarlatine régna certain
printemps a B.; les enfants qu'elle attaquait
mouraient presque tous. Le docteur Bertin
nuit et jour d'une maison h l'autre, se prodi-
guait. Aux Lilas, quelle inquiétude! Stricle
défense fut faite h Claude et même a Annie de
franchit le seuil, crainte de contagion. Mais la
maladie ne remonta point et ravagea seule
ment la vallée, soit que 1 eau y fut malsaine,
soit que le vent ne portat point les microbes
dans la direction de la familie Delmas.
Les menues frayeurs du ménage élaient
causées par l'eau bouillante de la cuisine, les
tabliers de coton devant les poëles qu'on
ouvre, les allumettes chimiques, les lampes a
pétrole, les fenêtres du premier étage. Et
c'était un système de grillages préventifs, et de
mille précaulions auxquelles on songeait con-
tinuellement pour les perfectionner.
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si
POUR
PAR
SUITE.
LA SUITE AU PROCIIAIN NUMÉRO.