DU 19 SEPTEMBRE 1896.
1896
Librairie E. LAMBIN-MATHÉE, rue an tare, 1, Ypres.
AU COLLÉGE MODERNE,
L'ÉCOLE MOYENNE ET A LA SECTION PRÉPARATOIRE
ainsi qu'aux ÉCOLES PR1MAIRES pour Gallons et Filles.
Feuilleton du journal "LaLutte-De Strijd
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JEAN CHALON.
Disciplines ordinaires et abstinences. Cha-
que fois qu'elles disent l'ofiice du jour, en Ca-
rêrae et en Aventles Lundis, Mercredis et
Vendredis pendant le reste de l'année, et cha-
que Vendredi pour l'augmentation de la Foi,
les Carmélites se donnent la discipline de ver
ges, pendant la durée d'un miserere et de
quelques oraisons.
Les Religieuses et les novices jeünent depuis
le jour de l'Exaitation de la Croix fii Sep-
tembre) jusqu'a Paques excepté le Dimanche,
en cas de maladie ou autre légitime raison.
Auxjeunes de l'Eglise et le Vendredi, elles ne
prennent ni oeufs ni laitage, excepté entre Pa
ques et la Pentecöte.
Hors des deux repas journaliers, elles ne
peuvent rien boire ni manger sans permission.
Jamais elles ne mangent de viande, s'il n'y
a nécessité pour cause de maladie. Elles man
gent dans des écuelies de bois, sanscuillers ni
fourchettes la soupe maigre, les légumes a
l'eau, les oeufs et le poisson. Dans chaque cel
luie est placée une cruche renfermant environ
une pinte d'eau et servant en même temps
pour la toilette et pour la boisson pendant une
semaine.
Aucune Soeur ne peut embrasser une autre,
ni la toucher au visage ou aux mains, ni
avoir aucune amitié particulière.
A mesure que madame Delmas lisait, l'i-
mage de sa fille semblait s'éloigner d'elle, s'en-
foncer dans un lointain noir et plein d'inquié-
tudes, dans une caverne au bout de laquelle
s'ouvraient vaguement les fosses du cimetière.
Emploi du temps Les Carmélites se lèvent
en été a cinq heures, en hi ver a six elles ont
une heure de pieuse meditation, puis elles
lisent leur bréviaire avant d'assister a la Messe
qui se dit a huit heures ou a neuf heures, et
qui est chantée les Uimanehes et jours de fête.
Un peu avant le diner, a dix heures l'été, a
onze heures l'hiver. elles examinent devant
Dieu les heures écoulées jusqu'alors.
A deux heures après midi, office des Vêpres.
Puis lecture a haute voix, devant toutes, dans
un livre spirituel ou bien oraison. Ensuite,
chacunese rend dans sa celluie jusqu'au sou
per, ou collation.
En Carême, repas unique a onze heures.
Après le souper. Complies, a six heures
l'été, a cinq heures l'hiver, puis une heure
d'oraison.
A neuf heures du soir, office des Matines,
suivi jusqu'a onze heures d'une pieuse médita-
tion.
A onze heures, le signal est donné de se cou-
cher.
II y a communion tous les Dimanches et cer
tains jours de fête, ou plus souvent, si le Con-
fesseur et la Prieure le permettent.
Le silence est de la dermère rigueur depuis
la fin des Complies jusqu'au lendemain Prime
et autant que possible, quoique non absolu-
ment strict, dans les autres heures du jour.
Cependant la Prieure peut donner licence de
parler, quand cette permission semble devoir
aviver l'amour envers l'Epoux. II est seulement
permis de parler pendant les repas de midi et
du soir et pendant les récréations.
Les religieuses doivent continuellement s'oe-
cuper d'un travail manuel, non pas un travail
d'ouvrier, mais une besogne simple et tran-
quille, par exemple filer, et autres ceuvres de
femme, pendant lesquelles elles peuvent mé-
diter quelque pensée pieuse. Le travail ne se
fait pas dans un atelier commun, mais cha-
cune dans sa cellule pour avoir moins occa
sion de rompre le silence...
Et ainsi tous les jours, toutes les années,
quelques fois pendant trente, quarante ans
Alors le corps prend une graisse molle et se
bouffit, des fois s'aménuise en un ton de cire
pale... l'ceil se perd en des gélatines décolo-
rées... l'esprit descend au niveau des ru
minants, les phosphores ancéphaliques se
changent graduellement en cellules adipeuses.
l'humaine intelligence, cette belle lumière du
génie et de la raison, s'éteint a jamais dans
une gymnastique de cheva! aveugle, tournant
Ia meule du moulin. Suicide moral... plus im
moral que 1'autre.
Les Carmélites ne peuvent posséder aucun
objet en propriété, ni aliments, ni vêtements,
pas même un coffre, ni même une petite, boite.
Si la Prieure remarque un trop grand amour
d'un objet, ou de la cellule, la Religieuse est
immédiatement privée de cette chose.
Chaque Religieuse habite seule une celluie,
dont les murs sont nus et le sol sans tapis.
Seulement par nécessité, on autorise les ri-
deaux de bure et les nattes de jonc. Tout ceci
est de religion et d'obligation.
Dans le vêtement et dans le lit, on ne peut
jamais avoir rien de coloré pas le moindre
bout de ruban.
Sur le lit, mais des personnes faibles ou
malades, on place une paillasse de paille, un
oreiller et un ou deux draps en étoffe de laine
grossière qui par nécessité peuvent être de
toile. Les Carmélites dorment sans se dévêtir
et sont ensevelies après leur mort dans leur
costume.
L'habit est de drap rude et apre couleur mi-
nime les manches, étroites, ont même lar-
geur de haut en bas eet habit, sans aucun
pli, d'égale lougeur devant et derrière, tombe
jusqu'aux talons.
La tête et les épaules des Carmélites se
cachent sous une coiffe blanche, en grosse
toile, sans plis, s'appliquant exaetement. Un
scapulaire de même étoffe que l'habit, plus
couitde quatre doigts seulement que ce der
nier, passé au dessus de la coiffe, retombe
devant et derrière. Sur la tête se fixe un voile
noir, carré, descendant jusqu'aux épaules.
Les cheveux sont coupés ras il ne faut pas
que les Religieuses trouvent dans leur coiffure
aucun attrait défense expresse de se peigner.
Les miroirs sont prohibés. Les Carmélites ne
peuvent prendre aucun soin de leur corps
(littéralement totale négligence de soi-même,
todo descuido de si).
Pour aller au chceur, les Religieuses (mais
non les Novices) portent une mante blanche
d'un drap semblable a celui de l'habit, aussi
longue que le scapulaire, et attachée au cou
par une fibule en bois. Tous les vêtements
sainte Thérèse tient beaucoup a ce détail
doivent être étroits Ie moins d'étoffe pos
sible.
La chemise en laine grossière n'a pas de
plispour l'honnêteté, des culottes de bure ou
d'étoupe... Les chaussures sont en jonc ou en
cordes tressées.
La porte s'ouvrit sans bruit la novice
entra...
Georgette
Et la mère sauta au cou desa fille, Ia ser-
rant follement, ne pouvant s'en détacher.
Georgette embrassa sans grande effusion sa
mère une accolade de théatre, des gestes
d'auiomate, un calcul ou une réticence dans
le baiser et elle lui dit tranquillementqu'elle
était bien contente de ia voir. L'abi utisse-
ment contemplatif la déprimait déja.
Les deux femmes restaient a se regarder,
debout l'une et l'autre...
Pour la mère, quelle douleur vive la vue de
ce troc, de cette tête chère, si jalousement en-
veloppée qu'on ne voyait ni le front, ni les
oreilles, ni le dessous du menton... Elle trou-
vait sa^ fille maigrie par six mois de grande
austérité, et fort pale la poitrine, si ronde
autrefois, paraissait plate... peut-être sous la
feuillede carton qu'on emploie dans les cou-
vents pour comprimer les exubérances de la
vie, Madame Delmas rompit la première le si
lence
Ton père a été fort malade, dit-eile, en
danger de mort, quelques jours après ton dé-
part. Je l'ai soigné il va mieux mainlenant.
Je ne t'ai pas écrit.a quoi bon? Serais-tu
revenue
Un petit frémissement faisait battre les pau-
pières de la religieuse. Mais elle ne répondit
rien.
Sais-tu pourquoi j'ai voulu te parler une
dermère fois Continua Madame Delmas Oh
eet aveu me coüte devant toi... m'accuser
coupable... oui... trés coupable...
Et tombant a genoux devant sa fille, elle
prit dans ses mains qui tremblaent fort les
mains de la religieuse, et sans la regarder elle
paria, d'une voix basse, entrecoupée de san-
glots, rapidement
Si tu es ici, dans ce cloitre qui me fait
horreur, c'est ma faute, et je la pleurerai tous
les jours qui me restent a vivre Je ne crois
plus aux dogmes, aux miracles, aux mystères
catholiques.
La religieuse recula de deux pas, et sa mère
a genoux marcha pour se rapprocher d'elle.
J'ai causé le malheur de ton père si noble,
si intelligent, si bon Je ne crois plus... de
puis mon enfance, sans raisonner, j'avais suivi
la routine, l'impulsion qu'on me donnaitje
craignais de changer d'habitudes, de renier le
passé, d'affiiger mes parents... que sais-je Je
t'ai poussée dans cette voie au lieu de t'éclai-
rer a temps, j'ai déformé ton jeune cerveau,
eorrompu ton esprit. Quelle bonte pour moi,
vemr t'expliquer mon erreur, et quelle expia
tion J'ai employé vingt ans de ma vie, les
plus belles, a combattre les idéés philosopln-
ques de ton père, a les empêcher d'arriver
jusqu'a toi.. je repoussais comme sacrilège
ia discussion et jusqu'au moindre doute. Je
fermais les yeux en répétant je croiset je
refusais de m'instruire. Aujourd'hui, la reli
gion te dicte une si cruelle indifference pour
ton père et pour moi que ce sentiment contre
nature m'a révoltée les croyances dont il
émane sont fausses, et alors j'ai eu le courage
de m'interroger, de descendre au fond le plus
intime de ma conscience je ne crois plus...
je ne crois pasComprends-tu quel supplice
j'endure Ma vie, je l'ai rendue misérable
ton père, je l'ai rendu malheureux, oui, moi,
moi seule le temps a passé rapide, et ma
fille unique, je l'ai de mes mains murée dans
le tombeau... morte vivante Ton père... je
ne lui ai pas dit ce que je suis venue te dire,
je n'ai pas pu. II me tuerait Et il aurait
raison Pourquoi m'a-t-il rencontrée
Depuis quelques instants, un ceil s'encadrait
dans l'ouverture de la porte, Georgette voyait
eet ceil ce lui était. comme un rappel a
l'ordre, un averlisscment de nepas s'abandon-
ner, elle, l'élue de Dieu, a la montée de la
piété filiale
Madame Delmas ne savait plus parlerles
larmes éteignaient sa voix on distinguait en
core
Reviensavec moi... Oh reviens je suis
a tes pieds, coupable... je te supplie... par-
donne-moi et reviens... rends la vieè ton père
et a moi...
Ma Mère, dit alors, trés calme, la reli
gieuse, que Ie souffle monastique avait glacée,
vous me faites une scène fort triste vous ne
sauriez croire combien votre aveu me peine.
Je prierai pour mon père et pour vous... la
communauté récitera un rosaire, afin que Ia
grace vous touche et que vous reveniez tous
les deux a de meilleurs sentiments. Pour moi,
je vous assure que la vocation s'affirme de
jour en jour, et je désire prononcer mes vceux
défimtifs le plus tót possible. La sainte règle
fixe un an d'épreuve pour le noviciat... nous
devons nous y conformer. Ma mère, je n'ai
plus rien a ajouter. Adieu
Georgette se dirigea vers la porte sans se re-
tourner, et elle disparut comme elle était
entrée, silencieuse.
Quelques instants après, la tourière vint de-
mander si madame désirait qu'on lui servit
une petite collation, ou un verre de vin...
Hélène regarda d'un air égaré autour d'elle,
comprit, et sans répondre, avec un frisson de
fièvre, elle sortitdu couvent et se trouva dans
la rue.
Deux mois s'écoulèrent elle revint encore
sonner a la petite porte bardée de fer, et on
la conduisit dans une autre chambre triste.
Une voix qui u'était pas celle de Georgette,
tout a coup lui paria, d'une personne invisible.
Effarée, Hélène découvriten un coin de la mu-
raille un grillage de fer, a mailles étroites, m-
térieurement doublé d'un épais rideau brun.
Prés de cette baie, un tour en hois grossier
pouvait servir a passer de menus objets, les
deux interiocuteurs restant toujours invisibles
l'un a l'autre. Ainsi s'établissent dans les com-
munautés cloitrées, communications entre les
vivants du dehors et les morts du dedans.
La voix parlait derrière Ie rideau... après
la scène de l'autre jour, Georgette qui allait
bientöt s'appeler soeur Marie du Calvaire, refu-
sait de voir sa mère, de subir de nouvelles
violences et incriminations absolument inuti-
les, et de troubler la sainte pa;x oü elle vi-
vait.
Madame Delmas ne sut jamais si vraiment
sa fille s'était exprimée en ces termes égoïstes
et inhumains, ou si la religieuse, sans avertir
Georgette, avait choisi ce moyen de se débar-
rasser d'une visiteuse importune.
ETS" LJH.A.XJ E
Supplément a LA LUTTE
STRIJD
l.yiff \ufl\*«Udï
PAR
SUITE.
LA SUITE AU PROCHA1N NUMÉKO.
RENTREE DES CLASSES
FOURNITURES ET LIVRES CLASSIQUES