JOURNAL D'YPRES ET DE L'ARRONDISSEMENT.
DIMANCHE, 20 FÉVRIER 1842.
INTÉRIEUR.
FEUILLETON.
i" ANNÉE. N° 85.
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YPRES, le 19 Février.
L'immoralité politique est l'ordre du jour.
Voilà ce que nos prélats nous annoncent l'oc
casion du carême, dans le mandement d'usage.
Et il nous semble qu'ils choisissent singulière
ment leur temps pour en faire la remarque en
effet, ne voyons-nous pas aujourd'hui les hom
mes de la religion trouvant son domaine trop
étroitdéborder de toutes parts sur le terrain
politique.
Autrefois, quand les mandements des évéques
diocésains ne traitaient que des points de doc
trines religieuses, nous nous serions bien gardés
de les scruter d'un œil profane. Maintenant
qu'on leur donne le caractère de véritables
pamphlets politiques, nous croyons pouvoir les
soumettre la discussion, sans blesser notre
conscience.
En lisant ces écrits émanés de l'autorité ec
clésiastique, on voit combien, en matière politi
que elle est ennemie de tout examen. On y
prend tâche de faire admettre en doctrine
gouvernementalela maxime religieuse croyez
et soumettez-vous. De là cette haine non-seule
ment pour les écrits qui ne traitent point les
choses au point de vue catholique, mais encore
pour ceux qui quoique irréprochables sous
le rapport des doctrines sont néanmoins hos
tiles au pouvoir temporel que le clergé veut
s'arroger. Il existe certainement des ouvrages
qui méritent la réprobation générale mais s'en
suit-il qu'il faille confondre dans un anathême
universel tous les produits de la presse
Cette intolérance du clergé a été remarquée
de tout temps toujours il a craint que l'esprit
d'examen ne rendit les hommes moins soumis
ses influences politiques. Nous disons politi
ques, car, dans le domaine religieuxnous le
reconnaissons comme arbitre souverain et
jamais, sous ce rapport, nous n'avons contesté
LES ASSIETTES CASSÉES.
L'histoire des hommes de rien qui sont devenus quelque chose
par le travail, serait en même temps une bonne action faire et une
belle histoire écrire ce serait là un livre bien propre inspirer du
courage et de nobles seulimens tous ceux qui travaillent et qui
souffrent en travaillant.
La lutte de l'intelligence contre la misère et du génie contre l'in
justice est un magnifique spectacle dont la grandeur et la tristesse
peuvent donner des leçons tout le monde.
On nous a raconté cent fois la vie des hommes illustres qui ont
imaginé des poèmes, gagné des batailles, écrit des romans, inventé
des théories orgueilleuses, prononcé des discours admirables, con
quis des provinces, ravagé te terre ou déshonoré le genre humain.
La bibliothèque des riches est toute remplie de chefs-d'œuvre
littéraires et scientifiques; pourquoi la bibliothèque des pauvres ue
serait-elle point ornée des illustrations populaires qui ont honoré le
peuple
Aujourd'hui, je vous le demande, qui est-ce qui songe nous
montrer, au théâtre, dans les livres ou dans le feuilleton des
son pouvoir. Celte immoralité que nos prélats
ont cru devoir indiquer comme tendant se
propager par les journaux et les écrits libéraux,
nous la trouvons bien plus caractérisée dans
les organes du clergé et du ministère. Jamais
écrits périodiques n'ont été rédigés avec plus
de mauvaise foi. Jamais parti n'a pris pour
levier de plus mauvaises passions.
Nos institutions que, dans un but de mora
lité politiqueon devrait entourer de respect
ne sont-ils pas en butte aux attaques les plus
cyniques des journaux ministériels et cléricaux.
Les bases du pouvoir sont ébranlées, disent-ils
Ehleur dirons-nousquels autres que
vous-mêmes ne cessent, chaque jour, de les
battre en brèche. Car, personne ne s'y trompera,
les libéraux sont les véritables conservateurs;
les catholiques-politiques veulent tout démolir,
dans le but de rompre la patrie au joug du
clergé.
La mort du général Buzen, événement mal
heureux et que nous déplorons plus que per
sonne, n'a-t-elle pas été, pour les journaux
ministériels, une occasion de prêcher la croi
sade contre la presse, de concert avec les or
ganes du clergé.
De son vivant, aucune voix ne s'élévait pour
le défendre. Après sa malheureuse fin, tous les
journaux d'une certaine couleur se livrent aux
plus absurdes déclamations et leur but est
visible, et très-peu honnête. Est-ce là de la
moralité? L'homme qui a payé de sa vie l'at
teinte qu'on a voulu porter son honneur, ne
mérilait-il pas qu'on laissât en paix sa mémoire,
et qu'on n'exploitât pas son malheur au profit
d'un parti.
Les homélies de nos évéques l'occasion du
carême et le touchant accord qui existe entre
les organes rétrogrades et ministériels, nous
font penser que la vigilance nous est comman
dée par la situation. Cette unité de vues entre
le gouvernement et le clergé fait prévoir une
i
journaux, des portraits, des caractères, des souvenirs tirés de l'histoire
intellectuelle de ces pauvres diables, de ces malheureux de tous les
temps qui ont travaillé, qui ont souffert, qui ont succombé la
peine, dans l'intérêt des riches et des bienheureux de ce monde?
Où sont les poètes, les historiens, les dramatistes qui aient soufflé
eu prose ou en vers, dans le cœur des artisans d'élite, l'émulation et
le courage, en étalant leurs yeux les prodiges enfantés par le génie
du travail et de la persévérance
Un homme qui a consolé le peuple, en chantant, Béranger, de
vrait écrire l'histoire politique de ces intelligences populaires qui
sont arrivées la gloire, force de mérite et de volonté croyez-vous
qu'il n'y aurait aucun intérêt véritable, pour le cœur et pour l'esprit,
dans cette grande histoire, débitée par un pareil grand homme,
avec ce titre bien sipaple le poème du travail
Il y a des iuvenlious d'une apparence bien commune et dont les
origines sont charmautes les souffrances de l'inventeur, voilà un
monde tout plein de mystère, de douleur et de poésie
Uu jour de l'année... —la date ne fait rien l'intérêt de ce récit,
un pauvre ouvrier, nommé Bernard, arriva dans la ville de
Beauvais; il était suivi d'une jeuue.femme et de trois petits enfansj
attaque sérieuse contre nos institutions. Si telle
est l'intention de nos prélats, nous prendrons
la liberté grande de dénoncer ce projet immoral.
Car, chercher renverser les lois existantes et
révolutionner sa patrie au profit d ambitions
privéesest certes le comble de Vimmora
lité.
Voici le résumé des aveux faits la justice
par la veuve de l'infortuné Goeman
Une altercation s'était élevée entre les époux,
pendant le souper. Goeman ayant annoncé
qu'il s'absentait le lendemain, sa femme lui
avait reproché son avarice qui faisait que
souvent il quittait la maison sans lui laisser
assez d'argent pour subvenir sa nourriture et
celle de ses enfants.
Dans la chaleur delà querelle, Goeman avait
donné un soufflet sa femme celle-ci qui est
très-vigoureuse, lui avait assené sur la tempe
gauche un coup de poing qui l'avait renversé,
et l'avait ensuite foulé aux pieds.
Goeman étant parvenu se relever, s'était
retiré dans sa chambre, en faisant sa femme
des menaces de vengeance, qu'il devait exécuter
le lendemain.
Pendant la nuit, la colère et la crainte in
spirèrent, Lucienne Devos de sinistres pen
sées; elle se leva, résolue prévenir par un
crime les effets des menaces de son mari. Elle
pénétra sans bruit dans la chambre où il
dormait paisiblement, et lui porta la tête un
premier coup du couperet dont elle s'était
munie. La victime, en se sentant frappée, poussa
des cris perçans et étendit la main droite un
second coup lui abattit deux doigts. L'assassin
lui fit encore plusieurs autres blessures.
S'étant alors retirée dans sa chambre, son
fils âgé de 7 ans lui demanda Qu as-tu donc
fait papa pour le faire crier ainsi Ah
répondit-elle attends il ne criera plus
longtemps.
il installa sa famille dans le fond d'un vilain faubourg et il se mit
bravement la besogne.
L'artisan dont je parle n'était pas un manœuvre ordinaire:
d'abord il savait lire et écrire, ce qui n'était pas absolument com
mun parmi les ouvriers de cette époque- ensuite, il était d'une
-habileté merveilleuse pour la peinture sur verre enfin, il connais
sait la chimie, la physique, la statuaire, et il s'était distingué
Florence, dans les meilleurs ateliers de ciselure. A son retour d'Italie,
Bernard s'en alla frapper la porte d'un gentilhomme éclairé, M. le
comte de Marcillac, et, grâce au zèle de ce puissant protecteur,
l'ouvrier-artiste fut chargé d'illuminer, de ses brillautes fantaisies,
les vitraux de la cathédrale de Beauvais.
L'existence matérielle de Bernard était fort honorable et fort
heureuse il avait une jolie femme et trois beaux petits enfants qui
l'embrassaient llenvi, tout le jour; il travaillait aux heures de ta
préférence, et il gagnait, sans prendre beaucoup de peine, de quoi
suffire au nécessaire et au superflu de son ménage lorsque le travail
sacré de l'église trouvait au dépourvu son imagination et sou pin
ceau, Bernard s'ingéniait racheter son involontaire paresse, en
exécutant pour lcsrichesde la ville quelque chef-d'œuvre profane,