JOURNAL D'YPRES ET DE L'ARRONDISSEMENT.
2e ANNÉE. N° 107.
DIMANCHE, 8 MAI 1842.
UH MOT
SŒUR THÉRÈSE DE LA CHARITÉ.
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INTERIEUR.
YPRES, le 7 Mal.
A MM. les rédacteurs du Journal de Bruxelles,
de l'Ami de l'ordre, de la Gazette de Liège et
du Nouvelliste des Flandres.
L'auteur de la Vérité exposée par le clergé
conservateur monseigneur Varchevêque de
Matines vient de nouveau de descendre dans
l'arène politique. Celte brochure avait soulevé
une polémique vive et acharnée. Les organes
du parti catholique-politique ne pouvant ré
futer les faits avancés par l'auteur dans son
opuscule, l'avaient violemment attaqué dans sa
vie privée. Il est assez remarquable que c'est
une tactique que les journaux catholiques
affectionnent. Ne pouvant défendre leur cause
avec chance de succès, c'est l'écrivain qu'on
attaque et qu'on calomnie. Il n'est rien moins
qu'ennemi de la religion celui qui ose
contester l'omnipotence du clergé en matière
politique, et avoir l'audace de s'opposer au
pouvoir temporel qu'il prétend s'arroger.
Un mot MM. les rédacteurs du Journal
de Bruxelles, de Ami de lordrede la Gazette
de Liège et du ISouvelliste des Flandrestel
est le titre de la nouvelle brochure de l'auteur
de la Vérité. Elle répond avec autantde modé
ration que de logique et de vérité aux incul
pations odieuses lancées contre sa personne par
la presse catholique. Plusieurs faits avancés
par l'auteur de la Vérité avaient vivement blessé
le clergé. Mais aucun ne l'a plus profondément
atteint que celui d avoir dévoilé ses richesses
et cela au moment mêmeoù on exigeait
la main-morte comme indispensable au main
tien de l'Université catholique. Les journaux
rétrogrades ont contesté l'exactitude de ces
révélations en disant que cela n'était point
d'un chrétien sincère, ni loyal, ni véridique,
de venir crier sur les toits, que depuis 1830, la
Providence avait daigné départir au clergé de
grandes richesses.... richesses immenses quoi
que invisibles, recueillies en peu d'années en
son profit....
Voici "comment l'auteur repousse celte ac
cusation de mauvaise foi.
Est-il vrai que depuis i83o, la Providence a daigné
^départir de grandes richesses au clergé?
Vous niez ce fait, d'après vous, l'auteur, pour
l'avoir affirmé,n'est pas un chrétien véridique.
D'après l'axiome negantis est probaue, c'est
vous d'administrer les preuves de votre dénégation
et vous n'en fournissez aucune.
Oseriez-vous dire, Monsieur, que la succession de
la vieille demoiselle Hérînessy, léguée Mr le supé
rieur du petit séminaire dè Roulers était une baga
telle? L'opinion publique l'a évaluée la somme de
fr. 180,000.
.Oseriez-vous dire que la succession de Benoit
Geerssen, dernier moine de la riche abbaye de
S' Pierre lez Gand, léguée M' Bernard de Smet,
chanoine de la cathédrale de S' Bavon Gand, était
une bagatelle
Des personnes bien informées l'ont évaluée la
somme de fr. t,5oo,ooo en immeubles, les valeurs
considérables tant on pierres précieuses qu'en espè
ces trouvées la mortuaire n'y sont pas comprises.
Oseriez-vous dire que la succession de Nicolas
De Roover, dernier moine de la riche abbaye des
Dunes, léguée Sa Grandeur l'évêque de Bruges,
était une bagatelle?
Des personnes même de la connaître, l'ont évaluée
un petit million de francs. Oseriez-vous dire que la
succession du chanoine Boucqueau de Villeraie lé
guée Mr Gotale, supérieur du grand séminaire de
Liège, était une bagatelle?
Des journaux de Liège l'ont évaluée dans le temps
1,5oo,ooo francs. Oseriez-vous dire que le legs et
les donations faits au clergé depuis là révolution de
i83o jusqu'à ce jour et dont la valeur est exprimée
dans le bulletin officiel des lois, ne sont que des ba
gatelles? Leur addition donne pour résultat plusieurs
millions.
Oseriez-vous dire que les legs et donations faits au
clergé, depuis 183a jusqu'à ce jour, mais dont la va
leur ni même l'objet ne sont point indiqués dans le
bulletin officiel des lois, ne sont que des bagatelles.
On n'en exagérerait point l'importance en les por
tant au chiffre de plusieurs millions.
Oseriez-vous dire que les sommes affectées des
messes et anniversaires dans les.legs faits aux hos
pices, depuis i83o jusqu'à cé jour, et dont la quotité
est exprimée dans le bulletin officiel ne sont que des
bagatelles?
Elles s'élèvent quelques millions.
L'auteur de la Vérité s'appuyant sur ces faits a pu
dire sans exagération aucune Depuis i83ola Provi
dence a daigné départir au clergé de grandes richesses.
S'il avait énoncé la proposition contraire, il aurait
dit la chose qui n'est pas. Il a dit la vérité et vous le
signalez comme menteur. Ah monsieur, cela n'est
pas d'un chrétien sincère, loyal et véridique.
11 est venu crier sur les toits, que depuis i83o, la
Providence a daigné départir au clergé de grandes
richesses.
Auriez-vous mieux aimé qu'il niât sur les toits
les bienfaits de la Providence. A-t-il crié aussi fort
que les avocats et publicistes qui ont plaidé et écrit
contre les testaments des Boucqueau de Villeraie,
des Hennessy et d'autres? A-t-il crié aussi fort que
crient eu ce moment même les héritiers dépossédés
delà riche succession de M"" la v® MaesVan-Oye 1
dont la cause est déférée au tribunal de Bruges?
Mais eut-il crié sur les toits comme il vous plaît
de le dire, ses cris n'auraient point eu le vingtième
du retentissement causé par la voix de la justice dans
vos procès financiers.
Si, vos yeux, il a cessé d'être un chrétien loyal
pour avoir crié sur les toits les richesses de ceux qui
1. Cette succession est évaluée 900,000 francs.
Feuilleton «lu Progrès.
nouvelle.
I.
Parmi les sentiments élevés qui forment'du cœur'de certaines
femmes un dépôt précieux de noblesse et de vertu parmi cet assem
blage céleste de tout ce qu'il y a de grand dans l'âme, l'un des
penchants les plus admirables, sans doute, est ce dévouement
sublime qui leur inspire une entière abnégation d'elles-mêmes et
efface tout leur être devant l'objet auquel elles se dévouent.
En voyant ces natures privilégiées, dont l'enveloppe seule semble
appartenir la race humaine, ne dirait-on pas des anges envoyés
sur la terre pour l'épurer et la rendre meilleure Lorsque, par mal
heur, les passions qui tourmentent la foule parviennent jusqu'à elles,
lie les ennoblissent-elles point par l'élévation et la délicatesse ex
quise avec lesquelles elles les ressentent Ces mêmes passions qui
nous offrent un aspect de repoussante brutalité chez le vulgaire,
quintessenciées par elles, deviennent les plus douces joies que nous
ait révélées la nature.
Au mois de mars 1832, l'horrible épidémie qui désolait Paris,
étendait ses affreux ravages sur toutes les classes de la société, et
plongeait dans le deuil et la consternation cette population si bril
lante et si folle naguère.
Avide d'émotions, comme on l'est dix-huit ans, je parcourais
quelquefois les hôpitaux encombrés de malades, me rendant ainsi
spectateur volontaire de tout ce que la mort peut offrir de plus
hideux.
Un jour, en entrant la Charité, je fus frappé de l'aspect morne
et silencieux des infirmiers, des sœurs et malades. Je m informai
avec empressement des causes de cette tristesse profonde. Monsieur
Lénac, jeune médecin de renom, me répondit que sœur Thérèse
venait de succomber, victime du fléau fatal.
Qu'était-ce donc que cette sœur Thérèse demandai-je avec
étonnement M. Lénac, et comment se fait-il qu'au milieu de la
désolation mortelle qui règne ici, tout ce monde songe donner des
regrets si vifs sa perte
Sans me répondre, M. Lénac me fit traverser les salles et les
couloirs avec rapidité bientôt il m'arrêta devant une petite oellule
qu'il se fit ouvrir, et m'entraîna vers une couchette où reposait un
corps que l'on venait d'ensevelir; il en découvrit la face et me dit
d une voix remplie d'émotion
"Voilà sœur Thérèse il y a quelques instants elle était le modèle
des femmes sur la terre; elle est maintenant la compagne des anges
dans le ciel, car Dieu est juste
Je me baissai avec respect vers cette femme dont le docteur
parlait avec tant d'admiration, et sur ce visage glacé je découvris
encore les traces d'une beauté qui ayait du trouver peu de rivales.
Je n'osais interroger M. Lénac, retenu par la crainte d'un refus,
et, en proie de sombres pensées, je restai silencieux devant ce
corps inanimé.
Le docteur me prévint Vous êtes curieux, je le vois, me dit-il,
de connaître la vie de cette femme mais, ce n'est point pour
satisfaire une vaine curiosité que je vais vous dévoiler les douleurs
de cette existence aussi sainte qu'elle fut obscure. Vous êtes jeune
et sans expérience j'aime croire que vous retirerez de mon récit
un enseignement salutaire pour l'avenir.
Le docteur m'ayant invité du geste m asseoir, prit place côté
de moi, et les regards fixés sur la morte, il parla ainsi d'une voix grave:
Thérèse Bouchard appartenait cette classe laborieuse du peup'e
qui pourvoit tous ses besoins par le travail. Elle était belle, elle
avait vingt ans, et cependant les tentatives de la séduction la plus
adroite n'étaient parvenues ni la tromper, ni dompter sa résis
tance. Les songes dorés de la fortune s'évanouissaient devant sa
raison, et le cri puissant des passions n'avait pas encore troublé son
cœur. Elle vivait donc heureuse dans son obscurité, sans regrets
dans le passé, sans besoins pour le présent et sans craintes pour
l'avenir.
Eu 1822, un soir d'hiver, comme elle longeait rapidement
l'hôtel-de-ville pour regagner son petit logement du quai des
Orfèvres, elle entendit un bruit de sanglots et de gémissements.
La bonne jeune fille dont le cœur avait toujours été ouvert la
t