JOURNAL D'YPRES ET DE L'ARRONDISSEMENT.
2e ANNÉE. N° 141.
DIMANCHE, 4 SEPTEMBRE 1842.
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IXTEBIECR.
YPRES, le 3 Septembre.
Les journaux catholiques sont dans l'excès
de la jubilation. Une victoire qu'on n'espérait
pas aussi complète, vient d'être remportée par
la faction. La loi sur l'enseignement primaire a
été volée l'unanimité moins trois voixcelles
de MM. Delfosse, Savart-Martel et Verhaegen.
Nous citons leurs noms avec plaisirquoique
les feuilles cléricales les poursuivent de sarcas
mes et d'injures. Nous croyons que toute opi
nion consciencieuse est respectable. Rester con
séquent ses principes, dût-on être seul de son
avis, ne nous paraît pas mériter le blâme.
Le vote de cette loi nous démontre que les
protestations d'union et de concorde ont eu du
succès, parmi les représentants libéraux de la
chambre. Nous ne pouvions nous imaginer que
la comédie de l'union jouée la révolution, dût
encore faire des dupes. Il nous paraissait impos
sible que le parti clérical qui n'avait cessé^d'em-
piéter sur tous les pouvoirs, depuis 11130 pût
l'aide de quelques protestations fallacieuses
conjurer toutes les défiances soulevées contre
lui.
Mais il en a été ainsi. Une loi qui donne au
clergé la direction suprême de l'enseignement
primaire, vient d etre votée aux acclamations de
joie du parti-prêtre. Le clergé qui avait soulevé
d'autres prétentions, a fait lhonneur au pays,
de déclarer qu'il a bien voulu faire quelques
concessions. Nous désirons connaître quelles
puissent être ces concessions. A nos yeux, il est
le maître absolu de l'école puisqu'il a droit de
vie et de mort sur elle, et nous aimerions bien
de savoir s'il possède plus de pouvoir dans les
établissements qui dépendent exclusivement de
lui.
Nous concevons qu'avec un ministère ferme,
énergique, et décidé repousser les empiéte
ments du clergé sur le pouvoir temporel, un
grand nombre des vices de cette loi puissent être
neutralisés. Mais fait par le ministère actuel, le
serviteur humble et rampant du clergé, le choix
des inspecteurs se portera sur les hommes les
plus soLidement dévoués au parti; car dans les
inspecteurs gît la véritable puissance de la loi.
Peut-être leur sera-t-il enjoint de ne rien inspec
ter et de fermer les yeux sur les abus commis
dans l'écple, par l'autorité ecclésiastique.
En supposant même que la loi fût équitable-
ment exécutée par le gouvernementet que le
pouvoir civil revendiquât seulement les attribu
tions qui doivent lui appartenir dans l'instruc
tion du peuple, une multitude de conflits s'élè
veront. Du jour que le clergé ne se sentira
plus le maître suprême dans l'école il s'ab
stiendra. Alors serait forcément amenée cette
séparation de l'éducation religieuse d'avec l'in
struction civilequi eut dû être le point de
départ de la loi.
Rien n'est plus logique que ce principe. L'état
doit donner ses frais l'instruction publique.
Mais le clergé est complètement indépendant de
l'état. Pour ne point blesser ces articles de la
constitution, il eut fallu seulement faire une loi
pour l'instruction civile et morale et laisser
l'instruction religieuse au clergé. On aurait pu
l'inviter officieusement venir dans l'école, don
ner l'enseignement dogmatique. 11 refuse quel
quefois mais d'après ses propres lois, il est
tenu d'instruire dans les devoirs religieux, ceux
qui le demandent. Beaucoup de prêtres, bravant
tous les dangersse rendent chez des peuples
inconnus et barbarespour leur enseigner la
religion du Christ. De quel droit refuserait-on
de donner l'instruction religieuse dans un pays
catholique, et où elle est demandée?
Si, malgré les devoirs prescrits au clergé par
ses propres décrets il refusait obstinément
de se rendre aux désirs du pouvoir civileh
bien qu'on conduise l'école l'église et là,
croyons-nousles prêtres n'oseront refuser
leurs jeunes concitoyens, par esprit d'ambition,
ce qu'ils portent avec joie au milieu des peuples
sauvages et au prix de mille dangersl'ensei
gnement de la parole divine.
Elle est votée la loiet quoiqu'on aît répété
satiété, qu'elle est exclusivement sociale et
nullementpolitique, nous croyons qu'on vientde
remettre entre les mains du clergé, un puissant
levier dont il abusera.
Nous ne comprenons guère la conduite de
l'opposition. Les amendements présentés par
elle ont été presque tous rejetés la loi n'a donc
donné aucune satisfaction l'opinion libérale.
Et cependant toute la fraction libérale de la
chambre a adopté la loi! Peut-être a-t-on cédé
des désirs de conciliation. Souhaitons que ceux
qui ont voté pour cette loidans des bonnes
intentions sans doute, n'aient jamais lieu de
s'en répenlir!
mmuvommmi
Notre administration communale a décidé qu'on
commencerait travailler lundi au palais épiscopal.
Un plan est définitivement adopté. On se propose de
joindre les deux ailes du bâtiment qui font saillie,
et par là on agrandirait l'édifice de tout l'espace qui
se trouve compris entre le corps de logis actuel et
une fraction de façade bâtir sur la ligne de prolon
gement des deux ailes. La façade sud du palais sera
tout-a-fait semblable celle du nord qui, vue du jar
din public, se présente si majestueusement.
C'est certes un grand embellissement pour la
ville que de changer en un édifice public un
bâtiment qui jusqu'ici, n'avait été qu'une charge
assez lourde pour le budget communal. D'ailleurs la
Jus tice était logée peu convenablement Ypres, et
depuis longtemps, on avait songé demander un
autre emplacement pour le tribunal de i" instance
et les justices de paix. Mais toujours on avait été
persuadé de l'impossibilité d'approprier le palais
épiscopal cette destination. La régence actuelle en
a jugé autrement. Elle a cru qu'avec quelques
changements peu dispendieux, ce bâtiment négligé
depuis quelque temps, pourrait loger convenable
ment le tribunal de i" instance et les justices de
paix.
LE HOCHER DE ROSENFELD. {Suite et Fin.)
VIII.
Il faisait nuit au hameau de Eisdorf et Oswald n'était pas de retour
un vent glacial soufflait avec violence, une neige épaisse tombait par
gros flocons. L'on apercevait dans la vallée, d'énormes monceaux
de neige accumulés par le veut.
Emray, inquiète et en proie aux plus tristes pensées, regardait sans
cesse par la fenêtre et cherchait distinguer au travers des ténèbres,
les objets environnants, A chaque instant, elle croyait apercevoir son
amant; mais bientôt cette douce illusion était détruite, elle recon
naissait son erreur, en fixant plus attentivement les objets que ses
sens troublés lui faisaient apparaître sous des formes trompeuses.
Sa mère cherchait en vain calmer son inquiétude.
Peut-être est-il arrivé chez son père, lui disait-elle, il aura
voulu changer de vêtements et réparer ses forces épuisées par la
fatigue d'une route pénible, faite par un temps aussi affreux.
Oh! non, répondit Emmy, je suis sûre qu'il n'est point de retour.
Il m'avait promis d'être ici avant la nuit, un événement funeste peut
seul l'avoir empêché de manquer sa promesse. Mes secrets pres
sentiments ne m'auront pas trompé. Une fatalité semble peser sur
nous; rien ne saurait conjurer les arrêts du destin; nous avions
formé vainement tant de rêyes de bonheur.
Elle se détermina cependant suivre le conseil de sa mère, qui
l'engageait se rendre chez Hesserley. Ce dernier n'était nullement
inquiet.
Sans doute, disait-il, le mauvais temps aura empêché Oswald
de se mettre en route. Il reviendra demain avec les invités la noce
et le prêtre.
Mais Emmy après la promesse faite par son amant, ne put
croire qu'un semblable motif eut été assez puissant, pour le retenir
Mayenfeld. Elle regagna sa demeure demi morte d inquiétude. La
nuit devenait plus sombre, la tempête continuait gronder, et la
neige tombant toujours en masse épaisse, semblait menacer de tout
engloutir. Après avoir attendu jusqu'à 9 heures, elle dit sa mère:
Je vais une dernière fois chez Hesserley, voir si Oswald est arrivé.
Mais Emmy, au lieu de s'y rendre, dirigea ses pas vers le rocher
de Rosenfeld, car elle soupçonnait que son amant avait eii l'impru
dence de s'engager, malgré le mauvais temps, travers la gorge
étroite du rocher. La neige avait cessé de tomber, l'ouragan ne se
manifestait plus que faiblement par le bruit du vent, dont on enten
dait encore par moment, le sourd mugissement dans le lointain. La
lune longtemps voiléese montrait travers les nuages, et un froid
des plus vifs se faisait sentir.
Tout le hameau était plongé dans le sommeil, l'exception de
quelques femmes qui filaient encore dans leurs chalets.
Ces femmes entendirent au milieu du silence de la nuit le bruit
des pas d'Emray elles l'aperçurent avec étonnement, travers les
Vilraux de leurs croisées étroites, se dirigeant dansunaflreux désordre
vers Rosenfeld. Elles ne purent comprendre comment elle se trou
vait ainsi seule, hors de sa demeure, unejheure aussi avancée de
la soirée.
La vieille Catty ne voyant point revenir sa fille, s'imagina d'abord
qu'ayant trouvé Oswald chez son père, elle y resterait quelque temps
mais les heures se passèrent et son inquiétude redoublait chaque
instant.
Enfin le jour commença paraître, elle se rendit chez Hesserley
où elle apprit avec effroi, que sa fille n'y était pas retournée.
Bientôt tout le hameau fut instruit de la disparition d'Emmy.
Les femmes du voisinage accoururent et dirent qu'elles l'avaient
vu passer, semblable un fantôme, se dirigeant pas précipités vers
le rocher deJRoscnfeld.
Puis arrivèrent de Mayenfeld les invités la note. L'on apprit de
Lisbelh qu'Oswald l'avait quittée la veille pour revenir au hameau.
Alors on ne douta plus qu'il ne fût survenu aux deux amants quel-
qu'événement funeste. Hesserley plein d'inquiétudes sur leur sort,
rassembla plusieurs jeunes gens munis de longues perches, afin de
pouvoir sonder les abîmes qui bordent le ravin de Rosenfeld.
La neige avait cessé de tomber depuis longtemps, et cependant le
ciel conservait un aspect terne et lourd. Un jour pâle et triste avait
remplacé une nuit où la tempête s'était déchaînée avec tant de force.