JOURNAL D'YPRIS ET DE L'ARRONDISSEMENT.
INTÉRIEUR.
3e ANNÉE. N° 224.
FEUILLETON.
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JEUDI, 22fJUIN 1843.
Tout ce qui concerne la ré
daction doit être adres» -.franco,
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Le Progrès parait leDimaucli.
«tle Jeudi de chaque semaine.
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Quinze centimes par ligna.
If PRES, le 21 Juin.
La dernière lutte électorale a imprimé un
mouvement très-vif la presse périodique. Les
journaux ne suffisaient plus aux partis, pour ex
poser les opinions de leurs candidats et les dé
fendre contre les attaques de leurs adversaires.
Quelques pamphlets ont été lancés dans le pu
blic en faveur de la faction cléricale, surtout
Tournay, où elle s'opposait de toutes ses forces
l'élection de M. Le Hon. Quelques brochures
plus calmes ont vu le jour et, les élections faites,
ces petits écrits éphémères sont tombés dans
l'oubli.
Cependant il est une brochure intitulée:
Coup-d'œil sur la Belgique, en 1843, imprimée
Bruxelles chez Berlhot, imprimeur du roi et
de la cour, qui mérite de fixer l'attention, parce
qu'elle nous paraît une émanation ministérielle.
M. Nothomb peut bien ne pas être étranger
cette publication. Elle semble exprimer l'opi
nion qu'on prête cet homme d'état.
L'auteur, quelqu'il puisse être, dépasse de
bien loin en audace tous les écrivains catholiques.
C'est la Constitution qu'il s'attaque, il trouve
qu'un ferment révolutionnaire travaille encore
la Belgique. Nous ne savons si celte assertion
est bien vraie, mais il n'indique point quel est le
parti qui a excité celte fermentation. Il eut été
plus juste de dire que les troubles dont le pays
peut être menacé, ne pourront avoir d'autres
motifs que la turbulence et l'indomptable esprit
de domination du clergé.
Mais l'auteur, lui, prétend que la cause de
ce malaise gît dans les réélections trop fréquen
tes son gréofos assemblées législatives et des
corps éligibles. C'est une découverte très-ingé
nieuse pour les représentants catholiques et les
ministres. Comme j y suis, j'y resteraidisait
Jean de Paris, et comme lui, le ministère n'au
rait qu'à dormir sans le moindre souci sur les
deux oreilles. Avec un pareil remède, tout es
prit national s'éteindrait, la machine gouverne
mentale ne se trouverait plus surveillée dans sa
marche, l'inaction, l'inertie caractériseraient ce
gouvernement représentatif qui, plus que tout
autre, a besoin d énergie et d'activité.
L'auteur aime assez les paradoxes et soutient
que dans la fréquence décroissante des muta
tions est véritablement le progrès. L'expérience
a toujours démontré, que les assemblées qui ne
se retrempaient pas par des nouvelles admis
sions d'hommes jeunes, pleins de séve et d'éner
gie, restaient constamment arriérées et incapa
bles de mener bien les intérêts dont elles
étaient chargées.
Enfin il s'agit d'allonger le mandat des mem
bres de la chambre des représentants et du
sénat. C'est le désir de l'auteur et probable
ment aussi des ministres et des élus catholi
ques. Mais la Constitution s'y oppose. Il faudrait
donc la modifier. Ah la Constitution, son-esprit
et sa lettre ne sont faits que pour l'opinion
libérale. 11 m'a plu, opinion soi-disant modérée,
de changer la loi communale et la loi électorale,
au profit du maintien de ma domination, la
Constitution y passerait aussi, si on le voulait,
mais la vérité avec un peu plus de peine.
Celle brochure ne doit point passer inaper
çue. A notre avis, c'est un ballon d'essai qu'on
lance, pour pressentir l'opinion publique. Cette
modification la Constitution ne se fera peut-
être pas de suite. Mais que le ministère et le
parti catholique y tendront, qu'on le tienne
pour certain. Eux seuls y ont intérêt.
irgxfe
Les journaux catholiques paraissent blessés
au vif par l'élimination de MM. Baikem, De
Behr, Dubus et Demonceau. Ils s'épuisent en
injures contre l'opinion libérale, la loge, et lès
associaliops électorales qui" ont amené, d après
eux, ce résultat.
Les colonnes du temple sont ébranléesmais
le temple est deboutc'est une dégradante vic
toire cest une infamie. Telles sont les injures
que le dépit arrache au parti catholique.
Mais qu'ont-ils donc reprocher l'opinion
libérale n'ont-ils pas voulu éliminer, il y a
deux ans, MM. Lebeau, Verhaegen, Devaux,
Rogier, Delfosse, etc., qui sont les colonnes du
temple libéral pour parler leur langage? n'ont-ils
point éliminé M. Cools? n'ont-ils point donné
le premier exemple de cet esprit exclusif, en
s'écriant qu'il fallait vaincre les libéraux en
masse
En éliminant les chefs de la faction cléricale,
le parti libéral était dans son droit et a rendu
un grand service au pays, en rejetant de la
chambre ces pieux et fanatiques personnages
pour qui les intérêts du clergé sont tout, et
ceux du pays, rien.
Jamais élections n'ont été plus vives, ni plus
chaudement disputées, que celles du 13 juin
dernier. La iendanfce de l'esprit public en
faveur de l'opinion libérale, n'a jamais été plus
marquée. Pour que l'opposition reste debout en
face de pareils adversaires, il faut que les princi
pes libéraux aient une forcé»immense. Car enfin
la cour, le clergé, le ministère, les fonction
naires de tous grades, et les ambitions dé toutes
couleursqui veillent parvenir, ont fait l'impossi
ble pour faire élire les candidats catholiques.
Quand avec de pareils auxiliaires, un parti ne
peut faire passer ses servil.es instruments qu'à
une petite majorité, c'est qu'il n'a guère^d'écho
dans la nation.
L Indépendant cesse de paraître au lr juillet.
Longtemps dévouée la cause du pouvoir
dans ces derniers temps cette feuille ne parais
sait pas- approuver la marche du ministère et
du parti clérical sur lequel il s'appuyait.
Après les élections, il avait osé dire, que les
UNE PARTIE D EQHECS. -
II.
i.e cachot.
Le prince de Calatrava, retenu prisonnier dans une chambre étroite,
panneaux de chêne, se promenait d'un pas dont l'inégalité annon
çait une anxiété très-vive. La cellule était meublée par une table
massive et deux lourds tabourets de bois le plancher était couvert de
nattes rudes et épaisses: tout bruit venait mourir là, le silencç y
régnait en maître. Un crucifix grossièrement taillé était fixé au mur
dans l'embrasure d'une fenêtre cintrée qui éclairait celte pièce. Hors
cette image de résignation et de miséricorde, rien n'ornait les mu
railles, celte cellule élail froide et triste j on pourrait dire avec raison
qu'elle servait de &alle d'attente la mort; c'était l'antichambre du
tombeau. La fenêtre en ogive était- très-élevée et soigneusement
garnie de barreaux de fer. Toute la prévoyance espagnole était re
produite là! j ■-
Au moment où Rqy Lopez se présenta devant le noble duc, le so
leil baignait dé ses rayons la chambre du condamné: ce soleil était
presque uue ironie amère pour celui qui ne devait plus le revoir.
Le duc salua le nouveau père de l'Église' avec uge courtoisie remar
quable; tous dcux.se regardèrent, et dans leurs regards ils échan
gèrent mille paroles qu'eux seuls pouvaient comprendre. Rny Lopez
sentait tout ce que sa mi&ion avait de pénible, et le duc le devinait;
tous deux avaient eu*en se voyant la même pensée que dans cette
condamnation d'un des principaux favoris dq roi, il y avait une vie
innocente menacée! Pourtant les preuves du crime imputé au duc
étaient graves; une surtout, celle qui coqsisUit en une dépèche écrite
de sa main la cour de France^et dans laquelle il dévoilait le projet
de faire assassiner Philippe If. Celle-là avait suffi pour la condam
nation. Don Guzçian, fort tle sou innocence, avait d'ailleurs gardé
devant ses juges an rigoureux silence, et dès lors l'accusation n'a'yant
pas été repoussée, la mort infligée aux traîtres avait été prononcée.
£iivl'entendant, Don Guzman n'avait pas pâli, sa figure ne â'était pas
contractée, il avait fait face l'orage, il avait bravé la mort! Cette heure
dernière ne l'effrayait même pas pour lui, et il écoutait froidement l'ap
pel que lui faisait le trépas, la voix rffuque et impitoyable. Si son front
îtait obscurci, si sa marche était précipitée et son haleine entrecoupée,
c'est qu'il pensait sa douce fiancée, doua Estella, qui ignorait sa
condamnation, et qui devait l'attendre dans son château, aux tours
crénelées, sur les bords du Guadalquivir S'il était faible cet instant
fatal, c'est que l'amour lui apparaissait dans un rêveet que son
cœur, battant avec violence, lui faisait oublier tout, pour ne penser
qua celle qu'il chérissait!
Don Rny Lopez n'était pas'entré seul. Càlavar était ses oôlés^et
ce fut lui qui prit la parole pour annoncer au'duc la réponse du roi,
et la décision que_le*a*7uafque avait prise. Roy Lopez confirma le
récit du boufréau, et le duc, plein deTerveur et de déférence, courba
les genoux devant le nouvel évêque^. en lui demandant sa bénédic
tion. Puis,' sans s'émouvoir, il se tourna vers Calavar, et d'un geste
imposant, qui annonçait l'autofité <ît le mépris, il le congédia ep lui
disant
Dans trois heures je suis toi. -
Galavar obéit.
Et le duc et lévêque se trouvèrent face face. Don Ruy Lo'pea
tremblait; la figure de don Guzman était-devenue calme et sereiue.
Il prit la main de l'évêqùe et la serra fortement. 11 se fit une pause,
après laquelle le duc prit la parole
Nous nous sommes Rencontrés dans des circonstances plus heu
reuses, dit-il presque èn souriant. 1
C'est vrai> bégaya Ruy Lppez, qui, pàlé et ooutrit, ressemblait
plutôt au patient qu'au confesseur.
Bien plus heureuse! répéta le duc, comme distrait et xe laissant
emporter par ses souvenirs. Vous souvient-il qu'eu présence de 'Phi
lippe et de la cour, lorsque vous jouâtes votre grande parti» a vec Paoli
Boy le sicilien, Ce fut sur-mon bras droit que le roi s'appuya
-« Mteiidri par ces souvenirs et le ton mélancojique que le duo
mettait les rappeler^ et voulant foire unMfort sur lui-même, Uou