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Les médailles {glorieuses, remportées par celui
/qui fut peintre, et placées au milieu d'une cou
ronne fanée de lauriers, se trouvaient sur les lu-
j;ubres armoiries de l'homme, qui n'en avait
d'àp_tres q-ue celles de l'art.
Quand le cortège fut arrivé l'église de S'-
dierlin, l*écusson recouvert d'un crêpe funèbre,
fût placé-jsur le chevalet noir qui surmontait le
céootapheT'au jûed jjisait la boite ouverte du
peintre et ses pinceaux brisés.
Une pieuse et triste encombrait l'église.
Quand Ji cérémonie fut terminée, M. l'avocat
Vrambout, membre du conseil communal, pro
nonça d'une vois émue, un discours qui arra-
ch. des larmes tous les assistants, évoquant de
tristes souvenirs que la Tue de cette tombe ne
pouvait que rendre trop poignants. Il parlait
au cœur de ceux qui avaient chéri Van Tours
car Van Tours était aimé de tous.
Plein d'avenir et d'espérance fils de ses œu
vres, jeune encore, il,brillait déjà au premier
rang, parmi les premiers élèves de la première
école de peinture du royaume. Une carrière im
mense s'ouvrait devant lui, il s'apprêtait cueil
lir les lauriers qui n'auraient pu manquer d'être
semés sur ses pas, quand une mort tragique
vint l'enlever la gloire et aux arts
L'administration communale de la ville de
Poperinghe, en rendant au malheureux Van
Tours ce dernier et triste hommage, a prouvé
qu'elle savait honorer les arts, en honorant la
mémoire de celui qui était entré avec tant de
succès, dans la carrière artistique.
(Communique.)
Voici le discours déd'avocat Vrambout.
Messieurs-,
Un bien triste devoir qpns réunit autour de celte
tombe, nous nous trouvéns face face avec la mort
uneépoque où nous nous attendions voir briller la
vie dans tout son éclat. Les cloches qui par leur glas
funèbre, nous saisissent èt annoncent un trépas, de
vaient dans notre prévoyance, vibrant dans les airs
leurssons joyeux, annoncer un triomphe. Leschants
si lugubres de ces instruments devaient être des
chants de fêle, ces lauriers, ces insignes déposés sur
la tombe en signe de deuil, devaient ceindre le front
de celui qu'elfe contient. Oui, Van Tours, l'admi-
nistraljon de voire ville natale, fière de vos succès
dans les beaux-arts dus vos talentsetà vos travaux,
était bevM'ei»e dij voir arriver l'époque où elle aurait
.pu v<aus en-montrer toute sa joie, dans sa vaine pré-
voyance,"elle méditait un triomphe digne de vos
succès, mais elle comptait sans la mort, et cette
cruelle, aj" moment où l'on s'y attendait le moin3,
est venue effaçant tous nos projets, arrêter le pro
gramme àe ces'fêtes y inscrivant en lettres de feu
Trépas l. Service funèbre!
Que lep a'rèêts de la mort sont cruels! Que les
coups .qu'elle, frappe sont inattendus Jeunesse, ta
lents, cllè'ne respecte rien. Van Tours, qui par ses
brillantes dispositions ahrait mérité de vivre des siè
cles, n'a fait qu'apparaître, et nous pleurons déjà au
tour de sa tombe.
Né en 1817, Van Tours montra dès son enfance
un penchant naturel pour les beaux-arts, le dessin
et la peinture. Des couleurs, une palette, des pin
ceaux lui tenaient lieu de hochets, et tandis que ses
compagnons se livraient aux amusements bruyants
si naturels l'enfance, lui tout entier ces studieu
ses occupations, il copiait les dessins qu'il put trou
ver les coloria avec une dextérité que ses amis
admiraient l'envie. Moi, son ami d'enfance, je me
rappelle avec plaisir ces heures passées dans ces oc
cupations, il était là notre modèle, notre maître.
Plus tard ce talent naturel cultivé par ses maîtres,
grandit de jour en jour. Au collège il suffisait qu'il y
eut un concours, pour qu'il en fut proclamé vain
queur et tous les ans les prix du dessin lui étaient
assurés.
Sa vocation lui était dès lors tracée, il était né ar
tiste, il devait parcourir cette rude mais belle car
rière. Son premier début fut un triomphe, l'aca
démie de^a' -Orner, il laissa loin derrière lui tous ses
concurrents et fut proclamé vainqueur.
De là, il se rendit Ypresles succès qu'il obtint
l'académie de cette ville, y ont laissé un si beau
souvenir. Je n'en veux d'autre preuve que le plaisir
que prit celte cité encourager son talent et la dou
leur que lui causa la triste nouvelle de sa mort. Je
n'en veux d'antre preuve que la présence ici d'un
premier magistrat et de plusieurs peintres-artistes
de cette ville, venant rendre un dernier hommfig^
au talent qu'ils avaient jadis couronné. Témoins ces
médailles, glorieux souvenir de celle époque.
Jusqu'ici toutes ses luttes étaient des victoires. Les
talentsde Van Tours pourse produire, demandaient
'une scène plus vaste. L'administration avait senti
cela, sa famille l'avait senti aussi. Sous leurs auspi-
ces et précédé de leurs encouragements, il partit
pour Anvers, ce vieux rempart de lïcole flamande,
ce foyer des beaux-arts, de la peinture C'est là que,
travaillant sous ces grands maîtres, il développa
d'une manière si brillante, en si peu de temps, ces
dispositions naturelles qu'on avait connues .dans
lui. Ses progrès étonnaient ses maîtres dont il avait
su concilier toute l'estime et la considération par sa
conduite et son travail. Tout ce qui sort. de sa main
porte un cachet de supériorité. Travailleur infati
gable, il produit plusieurs tableaux et ceux qui les
ont vus, peuvent juger de ce que deviendrait un jour
cet élève, qu'à Anvers, on entourait dë toute la con
sidération d'un premier talent. Il n'est plus servile
imitateur, il s'est créé un genre dans lequel de l'aveu
de son professeur Monsieur Wappers, un de nos
premiers peintres-artistes, il devait se distinguer et'
se créer un avenir si brillant.
L'époque des concours arrive, il est un des plus
jeunes élèves de l'académie, il a lutter .avec plu
sieurs concurrents qui ont déjà acquis un nom dans
le monde artistique. La lutte était belle.pour lui, son
triomphe a été complet. Premier prix dans Je dessin
d'après l'antique, 2° d ans la peinture, v dan^l'ejçj,
pression. Cette couronne, cette médaille sont'là qui
vous le proclament. Ses amis en avaient ressenti la
plus vive satisfaction. L'administration y avait vu
la plus belle récompense du sacrifice qu'elle avait
fait, elle aurait été heureuse de faire un sacrifice
plus grand, mais hélas! elle ne s'attendait pas que le
sacrifice serait de la nature de celui qu'elle accom
plit maintenant.
A tant de talents, tant de succès, joignons-y que
Van Tours, élevé dans les principes de la sainte
religion, en avait conservé un pieux souvenir côté
d'une saine pratique.
Ses tableaux que nous voyons dans nos églises, ces
tableaux qu'il travaillait dans ses derniers mometits,
lui ont fait mériter de cette religion, en traçant
nos yeux comme des images vivantes des épisodes
de son histoire.
Sa conduite était exemplaire. Tout entier la
peinture, sans relâche et sans repos, il passait ses
journées développer les germes de ce talent pré
coce; loyal, généreux, bon compagnon, il était con
sidéré et aimé de tous ceux qui le connaissaient. Il
professait un profond respect et une vénération
pour ses maîtres dont, je dois le dire son honneur,
il ne partait jamais qu'avec éloge. Un attachement
particulier et tout filial,signe d'un bon cœur, l'atta
chait sa famille. Fallait-il qu'une nuit fatale vint
enlever tant d'espoir, tant de qualités?
J'hésite de tracer l'événement tragique qui nous
a enlevé celui que nous pleurons. Que je souffre de
repasser dans ma mémoire, toutes ces circonstances
qui ont distingué-ce trépas des morts ordinaires,
elles sont présenlesà ma mémoire, et chacune d'el
les, comtae une hydre inépuisable, me tourmenle
la fois de mille douleurs, jjais je le dois la vérité,
afin que la calomnie ne s'étende pas sur cet le couche
funèbre.
Un travail assidu et peut-être trop suivi, fut un
des premiers .germes de sa maladie. Van Tours
occupait Anvers un appartement avec Delbeke, son
camarade, et élève peintre comme lui. Depuis quel
ques "Jours assefc sérieusement malades l'un et l'au
tre, le médecin qui les traitait, prescriva de les
séparer. VaN Tours alla occuper un appartement
l'étage inférieur. Cependant les symptômes alar
mants avaient disparu et sur les instances réitéfées
du frère de Van Tours, accouru 4 Anvers po|r
soigner son frère",sè disposait-à venir passé1
quelques jours au sein de leur famille, afin d'y trou
ver une guérisoir complète. La veille de l'événement
tout fut disposé partir et Van Tours qui se trou-"
vait assez biçji,avait engagé son frère aller prendre
du repos. Mais vers minuit, un fort accès de fièvre
est survenu avec transport au cerveau. Dans cet
état de délire, le malheureux Van Tours est monté
la chambre occupée par Delbeke, y a saisi un in
strument tranchant et .s'est porté uu coup fatal.
Delbeke endormi, s'est reveillé en l'entendant tom-
- ber sur le plancher il a appelé au secours. Des
médecins sont accourus qui ont cousu et bandé la
plaie. Les .ministres de la saiifte religion lui ont
prodigué tous ses secours. Le frère, que l'on avait
été chercher l'hôielret qui avait assisté cette
scène désolante, s'adjoignit des personnes, veilla son
;frère, afin d'éviter que le malade ne déchirât les
bandages et ligatures. Défense fut faite de faire causer
le malade, dans l'espoir de conserver un frère chéri.
On se tenait cette prescription. Cependant le mal-
v heureux, calme dans ce moment, demandait son
i
les cruautés des femmes, mais avec un ton si exquis de galanterie,
que la critique dans leur bouclie aurait pu passer pour un com
pliment. -
La comtesse, pour prouver qu'en générai les femmes avaient rai
son de ne pas prendre au sérieux les passions des hommes-, venait
d'avancer que ceux-ci les y autorisaient en ne leur accordant sur leur
cccor qu'un polivo»r faible et passager.
Dites plutôt, Madamej secria Gustave échauffé par la discus
sion, quevçè pouvoir,' youS l'exercez avec despotisme, et que .nous
essaierions en vain de nous y soustraire une fois qu'il jest établi.
Vraiment, dit la comtesse, la manière dont vous vous expri-
mez^^scrait tenté de.votis prendre pour une de nos victimes.
Moi,^Madame répondit Gustave avec embarras; je pourrais
du. moinsx^^bui de mes'amis qui sera longtemps troublé par le
souvenir d ^B'mc dont if n'a même jamais pu voir les traits, et
qui il a pld^^wcnir jeter travers sa'vie un de ces épisodes qui
peuvent fixei SVl-'c d'un homme.
<i) iiWW
Est-ce u*- AenSgtild que vous nous donnez deviner, M. de
F Valberg? di mauda-e^ riant la comtesse. J'espère que vous allez nous
eu dire le mot.
Je vous jure qu^^ la serait impossible mon ami lui-même.
l Vo"fts piquq^^Huicnt ma curiosité; et je crois que ces dames
Jj'iTl pas 'apprendre ce que vous savez d'une aven
ant les jjj^^^^3$cuvent manquer de bizarrerie et d'origi-
our reculer; il 1
ul'histoire du
xUt
entourée? quel motif l'avait portée une action si contraire à8 la
dignité de son-sexe -ce seulement l'attrait du plaisir? était-ce
un intérêt résultant dè quelque position exceptionnelle? .Dlu reste^
les homçnes, nalurellecnènt enclins l'indulgeqce pour ces sortes de
choses,pçétendaien| que 1 inconnue de pouvait être une femme ordi-
naire, et qu'elle avait* epitd frit sou roniaTi aVec autant "d'esprit que
de fermeté; tous auraient désiré se trouver la place de l'ami,de
Gustave; mais ils s'accordaient aussi sur ce point% qu'auêune consi
dération ne les eût empêchés de profiter de l avantage de leur"posi
tion pour découvrir le secret de la belle mystérieuse.
Sans doute elle méritait peu de ménagements, celle qui avait
pu se résoudre mettre de côté toute estime d'elle-même.
Ces paroles furent prononcées d'un ton grave et sévère par qne
dame de cinquante ans environ.
J'admets, dit la sœur du comte de Felsheim, qu'il soit impos
sible de justifier l'inconnue, l'ami de M. de Valberg n'eu était pas
moins lié par son serment, et je l'approuve de s'être emporté en
homme d'honneur même envers une femme qui n'en paraissait pas
digne.
La dame qui venait de parler était fort jolie, on ne lui eût pas
donné plus de dix-huit ans, bien qu'elle en eût vingt-citiq ses
grâces, sa beauté attiraient tous les regards, sans excepter ceux de
Gustave, qui la contemplait avec une admiration mêlée d'étonne-
ment elle était veuve et se nommait la baronne de Valden.
Vous conviendrez pourtant, madame, dit un jeune homme
l'air suffisant, qui s'était approché du petit cercle au moment où
Gustave avait commencé son récit, vous conviendrez que ce pauvre
■"^ngicier avait bien quelque droit de tirer vengeance du tour sangijnt
quct^i jouait l'inconnue...
est parmi vous, messieurs, interrompit la comtesse en
souriant, qui ;se seraient peut-être estimés fort heureux d être les
héros d'une pareille aventure, et qui, dans le fond, ne trouvent pas
le tour si méchant qu'ils veulent bien le dire.
Comuient, madame, S'écria Gustave, n'est-ce donc pas un sup
plice-cru el pour cet officier- cTetre'sans cesse poursuivi par le souvenir
.-Trd'uHè fenjnc dés.plus aimables et des plus attrayantes, dont l'aveu
- l'a ravi, qui lui a inspiré l'amour le plus vif?
Et dont pourtant il n'a pas vu la figure, interrompit malicieu-
r sernent lau baronne de Valden f'vous avouerez que votre ami était
d'un caractère bien prompt s'en fi ara mer...
Â'h tant de grâces et d'attraits poùvaient-ils appartenir une
^♦figure commune répliqua Gustave avec un enthousiasme que jus
tifiait peu son titre de simple narrateur; oui, les traits de son visage
- égalaient au moins ses autres charmes; sa physionomie devait être
céleste et ne plus la revoir, ne pas même entendre parler d'elle
voilà ce qui causé le désespoir de.mon ami;., car le temps n'est pas
encore parvenu effacer de sa. mémoire Fimp^ssion profonde d'un
instant de bonheur et même jl'est des moments où il croit ne devoir
plus se regarder comme maître de lui jusqu'au jour .ou il plaira son
inconnue de venir réclamer ses droits ou lerè'iidre la liberté.
Vous prêtez votre ami un sentiment de délicatesse qu'il est
bien rare de rencontrer, qu'on pourrait la rigueur traiter d'exagé
ration, mais qui ne lui en assure pas moins toute mon estime... et,
j'en suis certaine, aussi celle de ces dames sans exCeptiôb.
Cette réflexion, la dernière de la soirée sur ce "sujet, fut faite par
la baronne de Valden.
(La suite au prochain N°.)