2
D'après l'article 8 du pacte, continue M. Nau-
liaus, la diète prend toutes les mesures nécessaires
pour la sûreté intérieure et extérieure de la Suisse,
(le droit de la diète est incontestable, et il en a été
l'ait usage dans plusieurs circonstances encore pré
sentes votre mémoire. La question n'est donc pas
de savoir si la diète a le droit de prendre un con-
clusum l'égard des jésuites, mais si les jésuites ont
compromis et compromettent la sûreté de la Suisse;
c'est par conséquent la question de l'ait seulement
qué j'aborderai.
Les jésuites sont-ils dangereux, oui ou non?
Le sont-ils particulièrement pour la Suisse? Oui, les
jésuites sont dangereux: i4 cause de leur morale.
Ils enseignent au peuple commettre avec tran
quillité et sans remords de conscience, les actions
les plus coupables. Leur morale exerce nécessaire
ment sur les hommes exposés leur influence une
action délétère; et un écrivain du XVIII" siècle a
pu dire avec raison qu'il détestait les jésuites, sur
tout parce qu'ils étaient un ordre abrutittanl. Or,
dans les républiques, ce dont on a besoin, avant
tout, c'est de moralité.
jt° Les jésuites sont dangereux, parce qu'ils se ser
vent de leur caractère ecclésiastique pour porterie
trouble dans les familles, en diviser les membres
pour pouvoir plus facilement les dominer. Les
exemples abondent, et j'en pourrais citer un grand
nombre, si cela devenait nécessaire.
5° Us sont dangereux, parce que l'ordre exige
avant tout de ses membres une obéissance aveugle,
une soumission absolue. Celui qui a fait partie de
la société, qu'il soit un jésuite proprement dit ou
qu'il appartienne l'ordre sous d'autres dénomina
tions, ne doit plus avoir ni sentiment ni volonté.
Aussitôt que les chefs donnent des ordres, ceux qui
sont enrôlés dans cette milice, doivent obéir sans
examen, et si ce chef ordonne aux membres et aux
affiliés de travailler en secret renverser les couver
nemensrépublicains, ilsdoi ventobéir sans examiner
si cela est bien ou si cela est mal» Or, ce qui est
nécessaire aux Suisses, s'ils veulent conserver leur
indépendance,c'est le sentiment de la liberté et de la
force morale, et l'ordre des jésuites anéantit ce
sentiment.
4* Les jésuites sont dangereux, parce qu'ils n'ont
ni famille, ni patrie; aussitôt qu'un citoyen suisse
entre dans l'ordre des jésuites, il n'appartient plus
qu'à ce corps. Aussi les gouvernements cautonnaux
feraient-ils bien de statuer, par des dispositions
législatives, qu'un citoyen qui appartient l'ordre
des jésuites, perd, par ce fait, sa nalurulité. Dès
qu'on est obligé dt laisser de côté les obligations de
famille, de renier sa patrie cantonale, sa patrie
fédérale, on n'est plus un Suisse, on n'est qu'un
jésuite, étranger toute la terre.
5° Les jésuites sont dangereux, pareeque partout
ils cherchent s'emparer du pouvoir. Dans les gou-
vernemens despotiques ou monarchiques, où le chef
est in vesli d'une autorité étendue, on peutêlre tenté
de se servir des jésuites comme auxiliaires. Tant
que les jésuites ne dominent pas, ils censeiileul
servir un maitre; mais lorsqu'ils ont atteint leur
but, ils se prévalent des services qu'ils ont rendus
pour établir leur domination sur ceux qui ont eu
recours eux. C'est ce qui a engagé tous les gou-
verneniens de l'Europe les expulser de leurs états.
S'ils sont dangereux pour les monarchies, plus
forte raison le sont-ils pour les républiques, où les
autorités ne disposent pas des élémens nécessaires
pour contrebalancer leur influence pernicieuse.
6° Mais ilssonl dangereux, surtout pour la Suisse,
parce que l'ordre a pour but principal l'extirpation
ou quatre autre» voyageurs qui se trouvaient en ce moment dans
l'hôtellerie, personne qui lui parut plusque moi mériter sa confiance,
il roc ût les avances tes plus gracieuses et aussi les mieux reçues.
Nous fiuics ensemble quelques charmantes excursions, et au bout
de peu de jours nous étions de vieux amis.
Rugierri était uu homme d'un grand caractère, loyal, généreux,
énergique, et comme il professait uu mépris excessif pour tout ce
qui lui semblait s'écarter de l'ordre naturel des choses, il avait eu
l'occasion, depuis son arrivée eu Allemagne, de heurter bien des
opinions, de railler bien des préjugés, car, oonime vous le savez,
l'Allemagne est le pays des traditions invraisemblables, des légen
des merveilleuses, des contes fantastiques, mais tous ces récits u'ar-
racbaieut Rugierri qu uu sourire de pitié, uu brusque mouvement
d'épaules. Sou esprit droit et positif ne pouvait s'accorder avec
1 exaltation allemande et comme il ne se rendait aucune impres
sion sans lui faire préalablement subir 1 examen de sa raison, il
s'engageait souvent dans de cbautles discussions avec les gens du
pays sur les tradilious si intéressantes des bords du Rhin.
Un jour je reçus une lettre de Maycnce. Elle m'annonçait l'arri
vée dans cette ville duue personne qui m'était bien chère et que
j avais bâte de revoir. Rugierri ne voulut pas m'aooompagner, mais
du protestantisme. Sans doute lescatholiques suisses
ont droil ce que leurs frères réformés respectent
leurs convictions religieuses; mais ces derniers ont
aussi droit aux mêmes égards de la part de leurs
frères catholiques; et la députation de Berne de
mandera si ceux des cantons catholiques qui appel
lent ou tolèrent dans leur sein un ordre qui a pour
but l'extirpation du protestantisme, se conduisent
en bons confédérés l'égard des états réformés de la
Suisse; s'ils remplissent leurs devoirs lédéraux, et
si ces états n'ont pas droil de dire aux cantons qui
reçoivent les jésuites Nous n'avons chez nous
aucune congrégation qui travaille l'extirpation du
catholicisme, nous vous demandons de ne pas tolé
rer chez vous de corporations aussi hostiles notre
culte que l'est la Société de Jésus.
Voilà les principales raisons qui font considé
rer l'état de Berne la présence des jésuites en
Suisse comme dangereuse. Il y en aurait un grand
nombre d'autres invoquer, les évéuemens récents
pourraient, entre autres, mettre dans la dernière
évidence l'influence malfaisante du jésuitisme dans
nos contrées. Sans doute, ou peut répondre par des
dénégations; mais au moment où des faits sont con
testés, il y a uu moyeu légal de lerminer le diffé
rend. Ce ne sera pas eu laissant la solution tel ou
tel caillou. La dièie esL appelée prononceret si
douze élat3 ou plus déclarent que les jésuites sont
dangereuxcomme ils ont le droit de le faire, la
niiuorilé des cantons devra se soumettre. La dépu
tation de Berne se réserve de revenir sur cette ques
tion, suivant la tournure des débats. Elle termine
en donnant lecture de ses instructions, qui l'auto
risent contribuer ce que la diète prenne un
arrêté ordonnant l'expulsion des jesuiles de toutes
la Suisse, sous quelque forme que ce soit
Ap lès le député de Berne, celui de Lucerne, M.
Siegwart, lit un fort long discours dans un sens tout
opposé. Selon lui, la diète n'est pas compétente
pour prendre une décision qui porterait l'atteinte
la plus grave la souveraineté cantonale et l'in
dépendance religieuse des cantons. Les jésuites ne
sont nullement la cause de l'agitation qui se mani
feste; c'est lu suppression des couvents qui a irrité
les populations catholiques, c'est l'attentat du 8 dé
cembre qui a nécessité les mesures prises par les
cantons menacés dans leur indépendance. Lucerue
ne saurait sacrifier ses droits des appréhensions
chimériques, et il ne révoquera pas le décret qui a
appelé les jésuites, se réservant ses droits, si ou les
attaque par uu coticlusuin dont il conteste la vali
dité; la situation est la même qu'en 1844, alors que
la diète repoussait par 17 voix et demie la proposi
tion d'Argovie.
Se prononcent dans le même sens et dans des dis
cours étendus, q relques-uus entremêlés de paroles
menaçantes, les députés d'LIri, de Schwyz, d'Uuler-
wald, de Zug, de Fribourg qui traiienl de calomnies
tous les faits qu'on reproche aux jésuites.
On attendait avec impatience le discours du dé
puté d'un caillou tout catholique, celui de Soleure,
M. M uiiziuger. Mou canton est catholique, a-t-il
dit, non-seulement de nom, mais de l'ait; mais il
repousse aussi bien les maximes des esprits loris
que les doctrines et le charlatiiiisme jésuitiques. Le
clergé catholique soleurois, qui couuail les besoins
du peuple, a la confiance du peuple; le peuple
accorde la religion ce qui appartient la religion
mais aussi il coiiuait ses droits de peuple souverain,
comment un peuple pareil pourrait-il tolérer un
ordre qui écrase le clergé inférieur avec le supé
rieur, et celui-ci avec l'inférieur Allez en France,
en Belgique, là, où il y a des congrégations jésuiti-
il me donna rendez-vous dans les quinze jours 1 Hôtel impérial où
je comptais descendre en arrivant Mayence.
fllous nous séparâmes, moi, pour aller trouver le bonheur, lui
pour accomplir une destinée aussi funeste qu étrange.
Huit jours ne s'étaient pas écoulés depuis notre séparation lors
qu'un matin je vis entrer dans ma chambre le malheureux Rugierri;
j'eus peine le reconnaître. Ses beaux cheveux naguère si noirs, se
déioulaieut eu boucles argentées sur son visage amaigri et d'une
pâleur cadavéreuse, ses yeux hagards semblaient desséchés dans
leurs orbites, et, par moments ses dents s'entre-choquaieut par un
mouvement fébrile; enfin, en voyant le deuil de ses habits qui
n'était que trop en harmonie avec le deuil lugubre de toute sa per
sonne, je me persuadai bientôt qu'un événement épouvantable avait
dû briser cet homme que j'avais connu si fort, si beau, si résolu.
Je demeurai longtemps le contempler dans un douloureux
étonnement.
Madame Rugierri d est-elle pas avec vous? lui demandai-je.
11 se jeta dans mes bras, et je sentis une larme brûler ma joue.
Je suis seul! seul jamais! s'écria-t-il, et c'est par mon vain
orgueil, ma folle témérité que je l'ai perdue!
Bt il se tordait les mains et s'arrachait les cheveux. J'étais épou-
ques, vous trouverez partout l'action désastreuse de
cet ordre. A Fribourg, ils ont éloigné un prêtre vé
nérable, l'orgueil de son canton, le célèbre abbé
Girard Lucerne, le digne curé Sigrist a dû aussi
leur céder la place. Leur premier principe est l'as
servissement politique et religieux des populations
où ils s'implantent. Comment supporter un ordre
qui change ses maximes d'après les pays, qui a une
morale pour les grands, une morale pour les petits?
11 s'est donné beaucoup de peine pour faire
croire aux catholiques que les protestants en veu
lent a la religion, et aux protestants que cela ne les
regarde pas. Mais, au contraire, la patrie entière a
intérêt ce qu'on fasse disparaître tout élément de
désunion et de discorde; or, les faits sont là pour
démontrer que les jésuites sont le premier obstacle
au retour de la paix.
Il n'y a que ceux qui ont des yeux pour ne pas
voir qui nient l'évidence de ces faits. Pour peu qu'il
continue, l'ordre jésuitique aura bientôt son réseau
sur toute l'Europe. On ne sait pas qu'il faut plaindre
le plus Lucerne, des gouvernails ou des gouvernés,
également sous le joug de cet ordre astucieux.
La Suisse a-t-elle jamais été agitée par autant de
troubles que depuis que celte milice a envahi quatre
cantons Y avait—il en Suisse un canton où le senti
ment de l'ordre légal lût plus unanime que dans le
canton de Vaud Et cependant une révolution a été
la suite d'une instruction qui ne satisfaisait pas au
vœu populaire.
Partout la paix publique est menacée? Et l'on
n'y remédierait pas El la diète devrait reculer de
vant l'action du jésuitisme, cause de tous les trou
bles, de tous les désordres Les cantons protestans
doivent écarter les jésuites comme hostiles leur
confession, les catholiques comme introduisant la
division dans leur sein, et énervant les populations.
Eu iB->6, vous avez rendu un conclusum contre
les réfugiés vous étiez si sûrs de votre droit, que
vous avez menacé Vaud de la force des armes, lui
qui ue voulait pas se soumettre. Tournez-les au
jourd'hui contre les jésuites, vous en avez le droit,
et alors tomberont toutes ces organisations de corps
francs, toutes ces associations populaires que vous
redoutez, mais qui sont la conséquence de l'impru—
denteconduile des gouverneinens cantonaux qui ont
appelé les jésuites chez eux.
L'instruction de Soleure, qui tend inviter les
cariions qui ont des jésuites les chasser, et ceux
qui n'en ont pas, ne pas les admettre, a été votée
par les trois quarts des membres du grand-conseil,
et appuyee par 7,000 pétitionnaires, tandis que six
mille seulement ont accepté la constitution canto
nale. Ce fait est significatif.
Bâle-Campagne a déjà voté en 1844 l'expulsion
des jésuites, ainsi qu'Argovie. Malgré le peu de suc
cès de l'initiative prise par ce dernier canton, il 11e
doutait pas que bientôt les faits imputés l'action
du jésuitisme deviendraient d'une telle évidence,
que 1a diète serait bien forcée d'agir. E11 effet, l'af
faire a tellement marché, que si l'assemblée fédérale
est puissante trancher la question dans le sens du
vœu national, les masses s'en empareront. 11 est
doue urgent que la diète prenne des mesures et 11e
se sépare pas sans avoir amené la question une
solution conforme au vœu populaire.
Claris et Appeuzell extérieur se prononcent daus
le sens de Berne.
La séance est levée après sept heures de débats.
La discussion sera reprise demain.
11 reste entendre dix députalions, parmi les
quelles huit hostiles aux jésuites. Puis, viendront
les républiques. La diète a repoussé le renvoi préa—
vanté
Mais, mon ami, expliquez-vous, lui dis-je, que vous est-il dono
arrivé
L'événement le plus terrible, le plus funesteMais quoi
bou vous en donner les détails? vous ne croyez pas aux apparitions
surnaturelles!
Vous y croyez donc! m'éoriai-je en le regardant avec stupé
faction vous qui avez si souvent traité tout cela de chimères!
Un sort fatal a changé les chimères en réalités: j'ai vu des
revenants.
C'en était trop! Il est décidément fou, pensai-je; et j'attribuai
son dérangement moral la perte si subite d une femme qu'il ado
rait. Je me tus, et détournai tristement mes yeux d un ami que le
malheur veuait d'éprouver si cruellemeut.
Mais Rugierri avait compris ma peusée.
Vous me croyez fou, u'est-ce pas? me dit-il en me jetant un re
gard de reproche douloureux, je ne puis vous en vouloir, vous sur
tout qui m'avez toujours trouvé railleur impitoyable de cette
croyance que je considérais comme le partage des faibles esprits, des
imaginations déréglées. Hélas! plut au ciel, mon ami, que j'eusse
perdu U raison j« n. ressentirai» pas aussi cruellement la malheur