4e ANNEE. N° 405.
JOURNAL D'YPRES ET DE L'ARRONDISSEMENT.
INTÉRIEUR.
JEUDI, 20 MARS 1845.
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M. BIEBUYCK,
yMH FSLLU m iphuiplii.
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au Beurre, el chez tous les per
cepteurs des postes du royaume.
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Y PU ES, le 19 Mars.
NOUVEAU CANDIDAT DU CLERGlL
Nos pressentiments ne nous ont pas trompés.
Nous nous doutions que la candidature de re
présentant était encore ouverte, el qu'on était
la recherche d'un individu, qui unit une
certaine consistance assez d'humilité, pour ne
pas se soustraire aux obligalions que lui impo
serait le parti qui l'a appelé s'asseoir sur la
chaise curule.
Cet homme s'est rencontré. M. Biebuyck,
président du tribunal de première instance de
la ville d'Ypres, de par M. Raikem et l'omnipo
tence du parti-prêtre, est l'élu selon le cœur de
tous ceux qui ont des accointances de près ou
de loin avec le clergé.
M. Biebuyck, né Roulers, vint pratiquer
comme avocat Ypres, vers 1826. Le Journal
des Baziles l'appelle avocat distingue; nous ne
lui connaissions alors d autre distinction que
d'être membre correspondant du comité Nacli-
tegaele. crée en 151.28 pour insurger la Flandre
contre le gouvernement hollandais. En ce temps
là cet avocat distingue cumulait avec le soin de
sa clientèle, quelques petites opérations qui
flairaient le bureau de police politique.
A la révolution, il fut nommé juge en rem
placement de M. Louis Castricque, qu'une dé
nonciation que nous voulons bien admettre
n'avoir pas été son œuvre, avait fait destituer.
Mais ce poste fut trouvé trop maigre pour ré
compenser ses bons el loyaux services. 11 refusa.
A la reconstitution de l'ordre judiciaire, en
1832, M. Biebuyck fut nommé président du
tribunal. Cet avocat distingué trouva, il faut le
croire, un ample dédommagement de la perte
de sa clientèle, dans le nouveau poste auquel
il fut promu.
Mais il sut y joindre quelques opérations plus
lucratives que nous nous abstiendrons de qua
lifier. C'est ainsi qu'une famille se vit ravir par
un testament fait en faveur de M. Biebuyck,
l'homme d'affaire de la testatrice, une succession
qui lui revenait légitimement. La famille dans
laquelle il était entré par alliance, ne fut pas
même l'abri de sa dextérité en ce genre d'en
treprises.
Jusqu'ici nous nous sommes occupés de
l'homme privé dont le caractère el les antécé
dents sont du domaine de la polémique, quand
il se présente pour remplir un poste qui exige
de l'intégrité et de l'indépendance. Nous arri
vons au caractère public de l'homme qu'on veut
envoyer la chambre.
Nous ne savons ce qui doit le plus nous éton
ner, ou l'outrecuidance des électeurs notables
du Nouvelliste, qu'on sait être l'évêque. le gou
verneur et le commissaire d'arrondissement
d'Ypres, qui osent metUe en avant un candidat
qui représentera beaucoup mieux la ville de
Roulers que celle d'Ypres, ou l'extrême sottise
des machines votes cléricales, capables de
l'accepter.
En effet, Roulers n'est pas si éloigné de la ville
d'Ypres, que nos intérêts ne puissent se trouver
en opposition immédiate avec ceux de la capu-
cinièremodèle delà Flandre occidentale, et qui,
par cette raison, a beaucoup obtenu du gouver
nement issu de la révolution. D'un autre côté,
comme président du tribunal, il est loin d être
l'abri des séductions du pouvoir. Enfin ce sera
encore un de ces représentants dont on pourra
dire avec le journal intitulé Francuise: cest un
ministériel né.
L'opinion libérale est entièrement en dehors
du débat, elle a décidé que, pour cette élec
tion qui ne doit conférer qu'un mandai de deux
mois, il était inutile de lutter. iNous n'y avons
aucun intérêt, mais nous avons cru utile, en
présence des louanges exagérées que la bonne
presse adresse M. Biebuyck. devoir faire con
naître l'homme dont on veut doter la Chambre.
Nous doutons que ce soit une acquisition dont
on pourra se vanter.
Les refus d'absolution sous prétexte de lecture
de mauvais journaux, commencent aller leur
train. On aurait pu croire cependant que l'in
succès qui a couronné les efforts du clergé l'an
passé, eut dû calmer ce beau zèle. Mais il n'en
est rien. On espère toujours, en criant l'im
moralité des journaux libéraux, leur enlever
des abonnés et par conséquent annihiler leur
influence, sinon provoquer leur chûle.
II est assez facile de voir que c'est là où tend
le clergé. Avec le monopole de l'enseignement,
il lui faut celui de la presse, comme corollaire
du premier. Mais ce dont il ne se doute point,
c'est que ces petits actes, dévotement tyranni-
quessoulèvent des haines contre lui parmi
une classe de gens qui ne demandaient qu'à le
respecter. Pour comble de mécompte, il sera
impossible d'atteindre le but que s'est proposé
l'épiscopatcar on peut en être convaincu,
l'énergie de la résistance ces prétentions su
rannées ira en raison croissante de la persé
cution organisée contre la presse indépendante.
Dans un de ses derniers numéros, Y Obser
vateur relevait la rouerie dont les meneurs du
parti clérical avaient l'habitude d'user pour
présenter au choix des électeurs, le candidat
qu'ils voulaient faire élire. Le Nouvelliste avait
annoncé que les électeurs les plus notables
de la ville d'Ypres avaient jeté les yeux sur
M. Biebuyck et arrêté définitivement celte
candidature.
Il serait assez instructif pour le pays d'ap
prendre comment MBiebuyck est devenu l'heu
reux élu qui a mérité les sympathies de la gent
Vcuillctoii du Progrès»
NOUVELLE.
3e n'ai vous raconter aucun de ces épisodes dramatiques dont
les derniers tableaux sont toujours ensanglantés, dit Derville, pre
nant son tour la parole; non, mes amis, je n'ai vous offrir qu'un
simple récit, que la touchante histoire de l'une de ces existences
obscures, dont les agitations se heurtent et se pressent dans le for-
midahle étau que la société a forgé pour les classes infimes.
Qu'une fille du grand monde soit séduite, qu'emportée par la pas
sion ou le désir de légitimer ses relations, elle en vienne elle-même
forcer un faible amant de compromettre son honneur par ses
exigences et ses caprices, l'affaire fera du bruit, la famille inter
viendra, et les tribunaux se chargeront de. la réparation en cas de
résistance; mais qu une jeune fille sans fortune et sans nom, igno
rante et naïve, trompée par des pat oies corruptrices, dominée par
une affection d autant plus vive que celui qui en est l'objet lui appa
raît avec la supériorité de l'éducation et du rang, qu'abandonnée et
flétrie elle cherche du secours, où en trouvera-l-elle Il y a des
avocats pour les voleuses et les infanticides! Pour les pauvres filles
séduites il n'y a pas de défenseurs
Un instant! s'écria Fulgcnce en interrompant vivement
Derville, je suis avocat, et je crois de mon devoir de dire que jamais
je n'ai eu occasion de refuser semblable cause.
Ceci ne m'étonne pas, ajouta Timoléon, car les pères de ces
malheureuses préfèrent souvent décider les questions de ce genre
sans le secours des juges. J'ai lu dernièrement H jus la Gazette des
Tribunaux qu'un porte-faix ayant surpris dans le lit de sa fille un
jeune homme appartenant une riche famille, lui offrit de signer
une reconnaissance de trois mille francs, et que voyant son hésita
tion il le menaça, en cas de refus, de le précipiter de ses cinq étages
par la fenêtre. Cette menace produisit son effet, et le jeune homme
signa et paya.
Vous trouveriez de semblables bassesses sur tous les degrés de
l'échelle sociale, reprit Derville, el plus on monte plus elles sont hi
deuses. Toute pièce de monnaie a deux côtés, vous me montrez le
revers, je veux vous eu montrer l'effigie.
I.
C'était en 1832, un soir du mois de février, ha nuit était bien
noire dans les rues de Paris; l'air était froid, et cependant on voyait
circuler, la blafarde lueur des réverbères, une foule qui longeait
les quais el les traversait eu tous sens, car huit heures venaient de
sonner et c'est l'heure laquelle se ferment la plupart des ateliers.
En ce moment un jeune homme traversait le pont Notre-Dame.
Enveloppé dans un grand manteau, la figure presque entièrement
cachée sous une écharpe de laine, il marchait avec rapidité, et dans
sa préoccupation renversait, repoussait tout ce qui se trouvait sur
son passage.
Ayant laissé le pont Notre-Dame sa gauche, il se trouva bientôt
dans la rue Clianoinesse. A peine eut-il atteint l'extrémité de cette
rue déserte et silencieuse, qu'une porte devant laquelle il s était
arrêté s'ouvrit pour donner passage une jeune fille la taille légère
et dégagée. Apercevant le jeune homme elle lui dit mi-voix
Est-ce vous, Léonard?
Oui, ma Clara, c'est moi. Nous sommes tous deux bien exacts
au reudez-vous, huit heures vienuent de sonner aux tours de
Notre-Dame.
C est cette exactitude même que je crains parce qu'elle peut
me perdre, dit !a jeune fille.
Comment, Clara reprit-il avec inquiétude.
Vous connaissez la violence de mon père, je vous en ai parlé
souvent s'il apprend que je quitte mon atelier une heure avant de
rentrer chez lui, sa colère sera terrible. Que peut-il penser en me
voyant chaque soir rentrer plus tard que la veille? s'il lui vient un
soupçon tout est perdu que de?ieudrai-je alors?
Léouard ne répondit rien et ils continuèrent leur marche silen
cieuse jusque sur la place du parvis Notre-Dame.
Clara n'avait pas seize ans, mais sur cette physionomie enfantine
on découvrait au premier coup d'œil tous les indices qui révèlent le
germe des passions violentes. Sa figure de forme ovale et bien des-