58 ANNÉE. - N° 419.
INTÉRIEUR.
JOURNAL D'YPRES ET DE L'ARRONDISSEMENT.
JEUDI, 8 MAI 184a.
On s'abonne Ypres Marché
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cepteurs des postes du royaume.
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VIRES ACQUIRIT EUNDO.
YPRES, le 7 Mai.
Aujourd'hui que le triste jour de la réalité
venant éclairer l'affaire guatémalienne, a fait
évanouir les décévantes illusionsdonl on berçait
naguère la Belgique, on ne lira pas sans intérêt
l'article suivant que nous empruntons au Belge:
A chaque instant il arrive de Sanlo-Thomas
quelque nouvelle désastreuse.
La colonie a été d'abord troublée par l'a
narchie la population a été ensuite dévorée en
grande partie par des fièvres meurtrières.
Aujourd'hui elle est peu près l'état de
dissolution.
Cette déplorable et folle opération si promp-
lement avortée a absorbé en peu d'années quel
ques millions.
Nous avions prédit ceux qui hasarderaient
leur argent dans celte entreprise qu'au lieu de
profits ils y trouveraient leur ruine.
Aux colons nous avons dit qu'au lieu de
rencontrer au Guatemala une position meilleure
que dans leur patrie, ils y trouveraient des épi
démies et la mort.
Nos avertissements qui n'ont pas trouvé
d'écho même dans la presse libérale, ont été
méconnus.
Découragé d'une lutte opiniâtre dans la
quelle il ne trouvait pas un seul auxiliaire, et
ne voyant partout que des incrédules ou des
adversaires, le Belge s'est renfermé dans le si
lence le plus complet laissant au temps le soin
de détruire les illusions et les effets d'un mu
tisme plus ou moins intéressé.
Les expéditions se multiplièrent en peu de
temps, et les premiers résultats paraissaient
condamner notre opposition.
On faisait arriver grands frais dans nos
ports de prétendus produits de la colonie.
3) On publiait des descriptions pittoresques
de l'île; on vantait la salubrité du climat, la
fécondité et la richesse du sol.
Des routes immenses entre Santo-Thomas
et Guatemala avaient été construites comme
par enchantement, par un coup de baguette
féérique.
3> La population qui au bout de peu de temps
vivait dans un doux loisir, construisait des kios
ques où l'on donnait les dimanches des con
certs d'harmonie.
33 Tout était riant, tout était prospère.
33 Les colons écrivaient leurs familles, leurs
amis pour les engager partir pour S'-Thomas,
où ils trouveraient le bien-être et la fortune au
bout de peu d'années, et sans se donner beau
coup de mal.
33 Une de ces lettres qui fut reproduite par
tous les journaux et même par le Moniteurla
vérité même, faisait de Sanlo-Thomas le tableau
le plus séduisant. L'auteur y parlait en poète,
en naturaliste et en météorologiste. C'était un
brave homme fort ignorant nommé Schoonjans
qui avait été notre tailleur, et qui savait peine
écrire ses factures. Si sa main a tracé les phrases
que sa lettre contenait, ce que nous n'avons pu
vérifier, le pauvre diable n'en avait certes pas
compris un mot.
33 Voilà par quelles odieuses manœuvres 011
a entretenu quelques quois les rêves dorés des
actionnaires.
33 Aujourd'hui l'erreur ne peut plus durer.
33 Les journaux sont muets sur les brillants
résultats de la colonisation.
3) On ne voit revenir que de rares victimes
de leur aveuglement, déplorant leur confiance
et pleurant la mort de leurs compagnons de
voyage et de misères.-
3> Quand un malheureux blesse ou lue quel
qu'un par imprudence, involontairement, il y
a des procureurs du roi pour les poursuivre, et
des tribunaux pour les condamner.
>3 Une compagnie de grands seigneurs a poussé
Santo-Thomas et la mort une foule de pau
vres gens. La justice reslera-l-elle muette et
impuissante devant de funestes entreprises que
nous nous abstenons de qualifier Et parce que
l'on porte un grand nom, qu'on possède une
belle fortune et qu'on peut s'abriter derrière
un blason illustre, sera-l-on irresponsable de
vant la loi? et pour satisfaire une honteuse
cupidité, se cachant mal sous le manteau de
l'intérêt public, pourra-t-on spéculer sur la
fortune et la vie de ses concitoyens avec im
punité 33
Tout annonce que cet été verra surgir
Ypres de nombreux embellissements publics;
Déjà s'élèvent de toutes parts des construc
tions nouvelles où un grand nombre d'ouvriers
trouvent le travail qui leur a manqué si long
temps pendant le dur hiver que nous venons
de traverser. Personne n'est sans ouvrage, ce
qui le prouve, c'est qu'il est peu près impos
sible, en ce moment, de se procurer un maçon,
un charpentier ou tout autre artisan employé
au bâtiment.
Parmi les bâtisses qui sont en voie d'exécu
tion, on remarque avec plaisir la réconslruction
de l'Hôtel de l'Epée; il y avait bien des années
que celte masure déparait notre belle Place,
aussi est-ce avec un véritable sentiment de sa
tisfaction que nous la voyons disparaître aujour
d'hui, et nous formons des vœux pour qu'il en
soit bientôt de même de deux autres maisons
en bois, situées l'entrée de la rue de Lille, et
dont l'aspect lugubre contraste si singulièrement
avec l'élégance et la fraîcheur des habitations
voisines.
Les travaux commencés l'année dernière au
Beffroi sont repris, et se poursuivent avec acti
vité, de sorte que nous pouvons espérer que
cette partie du monument des Halles sera en
tièrement restaurée dans le courant de l'été.
Comme les ouvriers travaillent en ce moment
la face nord, nous croyons bien faire en préve
nant nos lecteurs qu'il est dangereux de fran
chir en ce moment le passage de 1 Hôtel de
Ville, attendu qu'il y tombe fréquemment des
matériaux quiarrivant d'une hauteur de 200
pieds, peuvent occasionner des accidents graves.
Il est vrai que l'autorité, pour éviter des
malheursa pris la sage mesure de faire clore
l'une des portes du passage, mais la présence
de l'espèce de bazar qui s'est établi sous la voûte
l'a empêchée de clore aussi l'autre or, il arrive
souvent, et nous avons été témoin du fait, que
des personnes, trompées par l'apparence, pénè
trent dans celte voûte, vont jusqu'à la porte
opposée, et la trouvant fermée, sont forcées de
revenir et de passer ainsi deux fois au pied de
la tour.
On n'a pas encore repris les travaux la
façade de derrière, mais il est croire que,
sous peu, nous verrons placer encore quelques
encadrements gothiques semblables ceux qui
ornent la partie de l'édifice où sont les locaux
de l'école primaire communale.
Les réparations que réclamait si impérieuse-
Feuilletou.
£,sîsî2 aa sa&sra©^a.
I. LE DEFI.
Le soïeil se couchait dans la jolie vallée d Odessa, située sur les
bords de la Dyle, peu de distance de Bruxelles. Mais, pour rem
placer la clarlé du jour, des flambeaux s'allumaient derrière les
vitraux peiuts d'un élégant petit caslel, et des astres éolatanls
semaient le bleu foucé de 1 espace. Cependant il paraissait que de ces
lumières du ciel et de la terre, nulle ue pouvait servir de guide un
pauvre voyageur égaré; car il avait peine diriger ses pas dans le
vallon. Il regardait d un œil d'envie, l a belle habitation ouverte
devaut lui, saus oser faire un mouvement pour eu approcher, et
semblait fort embarrassé de sa eonteuauce dans cette solitude noc
turue. Heureusement un panache blanc qui sortait d un berceau de
charmille, et qu'il put distinguer dans l ombre, lui rendit l'espérance
et le courage.
Messire page, dit-il en reconnaissant pour tel celui dont la
plume blanohe lui avait révélé la préseuce,n'est-ce pas ici le château
de la comtesse de Berghes, deux lieues de Bruxelles et sur la route
de Vilvord3? Précisément, messire voyageur. Alors je vou
drais bien vous demander mon chemin.... Vous paraissez le
connaître on ne peut mieux. Pour aller au château? Vous êtes
la porte- moJen d'y être présenté? Ab! peste, ceci
devient plus difficile... Vous êtes étranger? Oui.— Et vous ne
connaissez personne dans la maison de la comtesse? Personne.
De plus en plus difficile. Mais non pas impossible, car vous sem-
blez si obligeant.... et puis tout ce que je possède est vous pour ce
service, et ce gage d une amitié future commencera.,..
En même temps l'étranger tira de son doigt un très-gros brillant
qu'il présenta au page. Celui-ci le regarda un peu la lueur des
étoiles, et dit en le rendant Cette étincelle me semble magni
fique; mais des diamants, voyez-vous, j eu ai plus que je n'en peux
porter. Mon oncle le commandeur de l'ordre de Saint-Lazare, a des
factoreries Ispahan et dans le Visa pour et ne laisse pas manquer la
garde-robe de bijoux. Je retournerai bientôt Naples auprès de lui.
S'il m'a engagé en qualité de page nue noble dame, c'est que j'ai
dix-huit ans et qu'il veut finir mon éducation et me former aux
belles manières.... Mais comme vous le disiez, je suis complaisant, et
ce que je ne ferais pas par intérêt je puis le faire par obligeance.
Oh oui! mon joli page, vous y consentirez, car je meurs de la fatigue
du voyage, et je meurs surtout de l'envie de connaître la belle com
tesse que vous servez Ah! pour cela je conçois bien tout le désir
que vous pouvez eu avoir, et je vais tâcher de le satisfaire. Mais
comme la comtesse de Berghes a dans ce moment chez elle une
brillante assemblée, voyons un peu voire toilette; nous sommes ici,
je vous 1 avoue d une rigidité extrême sur ce poiul.
Com-.ue eu parlant ici, les deux jeunes gens, s'étaient un peu
rappiocbésdu château, l'illumination des fenêtres éleudait assez de
clarté jusqu'à eux pour qu on pût distinguer les dtflérentes parties
du costume.
Voici des bottines d'une fraîcheur parfaite, dit le page eu exa
minant avec attenliou ou dirait,seigneur voyageur, que vous venez
de desceudre l'escalier de votre hôtel... Ce pourpoint est très-bien
taillé,., des aiguillettes d argent, c'est cela... Voyous comment votre
baibe est coupée ab! vous n'en avez pas, c'est uu souci de moins...
niais, Dieu me pardouue, voici un collet d'entoilage uni; cela ne se
porte plus depuis deux mois; il faut de toute nécessité du point
d Alençon. Tenez, je vais changer de collet avec vous pour ce soir;
car pour moi, peu m'importe, ma réputation est faite, et vrai Dieu,
si uij jour je n'étais pas la mode,ce serait la uiode qui viendrait moi.
Le page changea de collet avec l'étranger, et arrangeant lui-même
celui qu'il prêtait, il parut frappé de la blancheur du cou que sa
main effleurait.
Daus le court trajet qui les séparait du château, le nouveau venu
tâcha d'obtenir quelques informations sur le lieu où il se trouvait.
Vous voyez, dit sou conducteur, ces rosaces de vitraux coloriés
qui brillent de feux changeauts entre les hauls orangers de la ter
rasse c'est le salon où la comtesse Béatrice de Berghes reçoit uue
société peu nombreuse, mais de la plus haute distinction, et où se
trouveut même des personnages illustres; par exemple, les seigneurs
frauçais expatriés la suile de la conjuration du prince de Soissous.
Ils reçoivent là une hospitalité élégante et délicate, mais sans
b aucoup de bruit ni de faste, car ma maîtresse n'a pas de terres bien
vastes; elle est plus riche en vertus qu'en domaines, et ses grâces,
ses beautés sout plus nombreuses que ses vassaux.
Loisqu'ils furent dans l'avenue du manoir: Arrêtez-vous là un
instant, reprit le page, je vais aller quérir notre capitaine, qui est
un excellent homme et qui m aime la folie; je vous présenterai
lui comme un ami, et il vous présentera lui-même la comtesse...
Mais, propos, votre nom? Mon ami?...
L'étranger chercha un momeut dans son esprit, et dit Henri
de l.ongueville. Bien moi, je me nomme Lycio, du nom d une
île de la mer de Naples, où j'ai pris naissance et qui abonde en lys.
Uu instant après, l'étranger fut introduit dans le salon de la
comtesse de Berghes. U oublia bientôt sou jeune conducteur qui se
perdit daus la foule, et se livra tout entier 1 examen de sa belle
hôtesse.
Béatrice, mariée pendant très-peu de temps uu vieillard, avait
obtenu, après son veuvage, la perm ssiou de reprendre son nom de
famille, célèbre daus le Brabaut, et bien cher son cœur par le culte
légitime quelle avait pour ses uobles ancêtres. Cétait une de ces
femmes qui n'ont eu qu'à naître belles pour recueillir la célébrité