6e ANNÉE. - N10 578.
JEUDI, 49 NOVEMBRE 4846.
JOURNAL D'YPRES ET DE L'ARRONDISSEMENT.
INTÉRIEUR.
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YPRES, le 18 Novembre.
Pendant longtemps la presse cléricale s'est
fait un jeu de présenter l'opinion libérale comme
un ramas de démagogues, d'anarchistes furieux.
On s'attachait surtout calomnier les députés
qui se trouvaient la tête de l'opposition par
lementaire. Les Marat, les Dantonles Robes
pierre, étaient des agneaux en comparaison de
Verhaegen, de Rogier et de Delfosse les libé
raux étaient de quelques dégrés plus avancés
que les Septembriseurs et les Jacobins. Enfin,
dans les saints journaux du clergé il n'était
question que des vues sanguinaires des libéraux
et ultra-libéraux et c'était qui aurait présenté
leur système, leurs principes, sous les couleurs
les plus atrocement mensongères.
Aujourd'hui, changement vue dans la presse
cléricale, revirement complet! A voir dans les
feuilles saintes, la pieuse horreur avec laquelle
elles s'énonçaient sur les plans de celle mau
dite opinion libérale, on pouvait les supposer
entraînées par la crainte de voir une nouvelle
république la veille de se constituer sous ses
auspices. 11 s'en faut de beaucqujL que telles
étaient les préoccupations du parti théocra-
tique. Il voulait alors tout prix inspirer des
craintes au pays et démonétiser des hommes
qui avaient déjà conquis la popularité par leur
dévouement aux principes du libéralisme.
Depuis, kl'Alliance, un certain nombre de
jeunes tètes égarées dans le monde des idées
et ne voulant pas tenir compte des faits, ont
discrètement fait de la propagande démocrati
que, loul en niant la bannière sous laquelle ils
marchaient en secret. Turbulents, intrigants,
actifs, ils étaient parvenus prendre position
dans la commission administrative de la société
et voulaient imposer leurs exagérations a ces
hommes sans intelligence et sans cœurainsi
que l'un d'enlr eux qualifiait ses co-sociétaires.
Une scission s'est opérée. Le libéralisme consti
tutionnel s'est franchement séparé de ceux qui
par leurs menées radicales, étaient sur le point
de compromettre l'opinion libérale. A qui
croit-on que les journaux du clergé aient jeté la
pierreaux radicaux sans doutepuisqu'ils
veulent le bouleversement pacifique de ce qui
existe? Eh! nenni, c'est le libéralisme consti
tutionnel, qui a été en butte aux sarcasmes de
la presse cléricale c'est lui qui a eu l'honneur
d'être exposé un redoublement de haine et de
rancune de la part des organes du parti clérical.
Voyez donc l'inconséquence de cette con
duite du parti jésuitique. Il y a peu de temps,
l'opinion libérale était un composé de buveurs
de sang et de sectateurs de Babœuf. Aujour-
d hui qu'elle éprouve le besoin de se fraction
ner, parceque quelques têtes chaudes veulent
exploiter l'union des diverses fractions du libé
ralisme, au profit d'idées qui ne sont pas celles
de la majorité éclairée du paysloin que la
presse cléricale ait vu avec plaisir le parti libéral
constitutionnel se scinder, plutôt que de suivre
la voie dans laquelle quelques meneurs vou
laient l'entraîner, c'est au radicalisme qu'elle a
donné des encouragements], c'est aux exagérés
quelle a montré de la sympathie, c'est eux
qu'elle a prodigué des éloges, probablement en
récompense du désordre que leurs prétentions
ont jeté dans le camp libéral.
Ainsi, aussi longtemps que le libéralisme
était gouvernemental et modéré, les feuilles
cléricales le représentaient comme un parti
anarchiste. Du moment que l'opinion libérale a
fait preuve qu'elle savait ce qu'elle voulait et
qu'elle n'irait pas au-delà le parti clérical
affiche ses sympathies pour la fraction radicale,
sans influence du moment qu'elle sera dé
masquée.
Ces divisions sont exploitées avec un rare
bonheur par les journaux jésuitiques et les
feuilles radicales les aident dans cette besogne
de tout leur pouvoir, ne fut-ce que pour re
connaître les bons services qu'elles reçoivent de
leurs confrères catholiques. Du jour au lende
main, d'anarchiste on se voit métamorphosé en
vieux libéral et le radical est un libéral
jeune sincère. 11 est tel pour les journaux du
clergé parceque, sans vouloir l'avouer, il est
de fait le meilleur auxiliaire du parti clérical
qui, s'il reste au pouvoir, le doit la malheu
reuse scission que les menées démagogiques
onl rendu indispensable, sous peine de voguer
eu pleines eaux démocratiques.
La réaction bien qu elle ait la prétention
d'opérer souterraiuement, ne laisse pas que de
faire un progrès visible. Sans compter la compo
sition de la commission de l'adresse, qui est d'une
nuance sans mélange, l'exception de M. Pirmez,
nous avons vu une multitude de nominations
de fonctionnaires, dont les titres l'obtention
des places auxquelles ils onl été promus ne
sont autres que les services qu'ils ont rendus
au parti théocratique. Deux juges de paix, un
médecin-praticien et un saunier viennent d'enrichir
l'ordre judiciaire d'une spécialité dont jusqu'ici
on n'avait pas d'idée. Mais ce médecin et ce sau
nier avaient rendu, paraît-il, des services élec
toraux au candidat du clergé et ce dévouement
a dû être récompensé. M. Thonissen avocat
rédacteur du Journal du Limbourg belge
feuille rédigée dans un esprit de fanatisme fa
roucheest nommé commissaire d'arrondisse
ment Hassclt,en remplacementde M.deMenten
de Horn, autre favori de M. De Theux. Ensuite
M. Bellefroid, rédacteur en chef du Journal
de Bruxellesdevait avoir une sinécure quel
conque qui lui assurait une certaine posi
tion. M. De Theux, si reconnaissant, vient
de le nommer chef de la division de l'agricul
ture aux appointements de six mille francs.
Enfin le bibliothécaire de la chambre des ré
présentants M. Bernard, Uex-précepteur de M.
Bernard Du Bus, vient d'être nommé inspecteur
des athénées et collèges. Il en a été pour celle
dernière nomination, comme pour celle des
inspecteurs cantonnaux de l'instruction pri
maire, on a voulu un homme de paille, sans
consistance et malheureusement sans titre dans
l'enseignement public, moins qu'on ne prenne
pour un titre, celui d'agrégé l'université de
Louvain.
Voilà des nominations significatives et qui
au besoin, démontrent qu'on s'est dépouillé de
toute pudeur et que le ministère est très-disposé
ne tenir compte d'aucune considération d'é
quité, du moment qu'il s'agira de commettre
une infamie qui doit profiler ses adhérents.
La justice dislributive est mise de côté et toutes
les fonctions sans distinction aujourd'hui servent
d'appât ceux qui sont acheter. Les dévoue
ments sont tarifés par le temps qui court et
celui qui est le plus vil ou le plus jésuite,
obtiendra le plus beau lot. E sempre betie.
L'Alliance quoiqu'en disent les organes de
la démocratie est en pleine dislocation. Non-
seulement elle n'exercera plus au sein du pays,
l'influence qu'avec plus de modération, elle au
rait pu conserver, mais Bruxelles même elle
perd de jour en jour les adhérents qui faisaient
sa force. Les membres de la commission admi
nistrative qui n'avaient pas cru la scission né
cessaire, viennent de donner leur démission.
MM. Fontainas, De Doncker, Boelz-D'hamer et
XVI. le montebello.
Le hasard servit Pierre mieux que n'aurait pu le faire le plus
habile calcul. Le jour que le comte Gabriel avait fixé pour l'inter
rogatoire de son ancien complice élait précisément celui où devait
avoir lieu la grande fête promise depuis longtemps la curiosité des
princesses. On allait mettre Peau un vaisseau de cent vingt canons,
le MontebelloLes bâtiments de ce rang ne sont pas nombreux dans
les flottes aussi leur première immersion est-elle une solennité
rareque les autorités maritimes entourent d un certain appareil.
La présence des deux sœurs de Napoléoa devait y ajouter un prix
de plus, et de toutes les villes environnantes on était accouru pour
jouir de ce spectacle. Le zèle du comte Gabriel pour ses fonclious
'e police capitula devant ce devoir d'étiquette. Sa place était aux
côtés de leurs altesses impériales; la cérémonie ne pouvait se passer
sans lui. Aussi s'empressa-t-il de reculer de vingt-quatre heures
la comparution du malfaiteur qui allait lui livrer la bande des
Moutons. Dans la situation de Pierre vingt-quatre heures de répit
c'était beaucoup il pouvait se concerter ayee plus de calme et
attendre les conseils de l'événement.
C'était dans la matinée que le vaisseau trois ponts devait être
mis l'eau et ce ne fut pas petite besogne que d'obtenir des prin
cesses un peu de ponctualité. Les soins de la toilette, les préparatifs
du départ, le trajetle cérémonial l'arrivée, occupèrent un temps
considérable, et quand la petite cour d'Hyères vint se ranger sur
l'estrade qui lui avait été réservée on était en retard de plusieurs
heures sur le programme. Déjà la foule s'impatientait et faisait
entendre quelques murmures. Sans les troupes de marine qui
bordaient la haie, sans doute ces témoignages de mécontentement
auraient été poussés plus loin. C'est là d'ailleurs l'accessoire obligé
des fêtes où les grauds interviennent de leur personne. On peut les
caractériser en deux mots déception et désappointement. Les
grands s'imaginent qu'il en est d'eux comme des gendarmes sans
lesquels il n'y a point de réjouissance publique digne de ce nom.
Ils ont la manie de s'offrir de se prodiguer d'arriver tard de se
faire attendre, enfin de blesser le plus ouvertement qu'ils le peuvent
ce sentiment profond de l'égalité qui est la véritable noblesse de
l'homme. Quoiqu'on ait pu dire des tendances démocratiques de
l'empire aucun gouvernement ne froissa cet instinct du cœur par
de plus grands sacrifices l'étiquette et si les deux régimes qui se
sont succédé depuis ont trouvé une race de courtisans toute dressée,
c'est l'empire qu'ils en sont redevables.
Au moment où les princesses parurent sur leur estrade, l'nffluence
était prodigieuse. La place de Mourillon offrait une immense nappe
de têtes que l'impatience faisait ondoyer en divers sens. Quatre
enceintes avaient été réservées au public privilégié elles regor
geaient de dames en graude toilette d'ofiieiers de marine et
d'étrangers venus de loiu pour assister celte solennité. Ces am
phithéâtres étaient tous élégamment décorés et surmontés de tro
phées d'armes des faisceaux de pavillons, des banderoles tricolores
flottaient au venttoutes les troupes de terre et de mer étaient sous
les avaies. L'estrade occupée par les princesses se faisait surtout
remarquer par un goût parfait une décoration de feuillage y cir
culait autour des tentures, et de nombreux écussons rappelaient
des noms illustres daus notre histoire navale. Les dispositions avaient
été prises de telle sorte, que, de leur siège, les princesses ne devaient
pas perdre un détail de l'opération qui allait se passer sous leurs
yeux. Placées l'arrière et un peu de biais elles devaieut voir le
noble vaisseau s'élancer vers la mer comme versun élément naturel,
y plonger eu décrivant un angle avec la surface de l'eau et s'y
asseoir ensuite ens'ouvrant un majestueux sillon.
L'opération laquelle le Montebello allait être soumis n'est pas la
moins délicate de l'art des constructions navales tout y est calculé,
combiné, et pourtant, avec des masses pareilles, le chapitre de l'im
prévu est encore très-vaste. Le vaisseau repose sur un chantier qui
descend vers le rivage en pente douce et ne cesse qu'à l'endroit ou
la profondeur de l'eau est assez suffisante pour porter l'édifice flottant
Quand il s'agit d'accompagner le vaisseau jusque là on l'assujétit
glisser rapidement sur des poutres suifées. Ce berceau, serrant lis
flancs du navire comme un corset, lui assure un équilibre motneulaL.
jusqu'à ce qu'au contact de l'eau il retrouve celui que lui ont assigné
les lois de l'hydrostatique. Des épontilles espèces de supports eu
bois le soutiennent par l'arrière et l'avant et sur les côtés et c'est
seulement lorsque ces tuteuis tombent qu'entraîné par son poids
l'énorme masse court vers la mer avec la rapidité d'une flèche.
A peine Leurs Altesses Impériales venaient elles de s'asseoir que
le signal fut donné. La première époutille s'ébranla sous les co"; s
du marteau. Le commissaire extraordiuaire avait pris place derrict
la princesse Pauline, Pierre derrière la princesse Élisa Laure m.c
les baucs inférieurs de L'estrade avec les autres dames dhouu t.