7e ANNÉE. - N° 645.
INTERIEUR.
DIMANCHE, il JUILLET rë47.
JOURNAL D'Y PRES ET DE L'ARRONDISSEMENT;
Feuilleton.
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Le Pro
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VIRES ACQUIRIT EDtfDO.
l'PRESle 10 Juillet.
LE DEVOUEMENT DE M. DE NECKERE.
Une note explicative de M. le commissaire
d'arrondissement, concernant le bruit qui a
couru, que ce fonctionnaire allait donner sa
démission, a été insérée dans le Journal des
Bazilcs. Avant de nous occuper de la note en
question, expliquons comment ces rumeurs de
démission, nous sont parvenues. Déjà M. De
Neckere avait menacé le ministère de donner
sa démission. C'était l'occasion des candida
tures ministérielles du Sénat pour l'arrondisse
ment d'Ypres et alors ce projet n'a pas eu de
suite. Aujourd'hui qu'il y aura un changement
de ministère, que les De Theux et les Malou
quittent le pouvoir, on a cru que MDe Neckere
allait suivre leur exemple, d'autant plus que
les libéraux arrivant aux affaires, ne pouvaient
voir de bon œil M. De Neckere, qui les avait
diffamés dans ses circulaires électorales et dans
les proclamations qu'il avait fait imprimer et
distribuer dans les communes. On supposait
M. De Neckere assez au courant des usages du
gouvejTjement représentatif pour admettre que,
malgtvTla haute opinion qu'il professe de sa
personne et de ses capacités, il ne pouvait
dignement servir un ministère libéral surtout
après la manière dont il s'était comprarlé. On
lui croyait assez d'indépendance de caractère,
pour ne pas vouloir se mettre aux ordres de
ces impies,de ces hommes immoraux,ennemis
des trônes et de la religion. Un homme qui se
respecte, après s'être énoncé de telle façon sur
le compte d'un parti, ne conserve pas de fonc
tions politiques, quand cette opinion vient au
pouvoir et que par ses chefs, elle doit tenir les
rênes du gouvernement. Que M. De Neckere se
plaise conserver la place qu'on lui a donnée
nous le concevons très-bien, nous l'avons même
jugé capable de celle façon d'agir. Mais qu'un
ministère libéral tienne maintenir en fonctions
un homme qui s'est posé en sectaire frénétique
des ministres déchus, nous en doutons. Quoique
les nouveaux ministres puissent faire, un fonc
tionnaire dans de telles conditions, doit être
leur ennemi intime.
Du reste, c'est au cabinet libéral décider ce
qui lui reste faire de M De Neckere, fonc
tionnairequi confond liudépendance avec
l'hostilité et dont le dévouement au pays est
féroce tel point, qu'il est la disposition des
bleus et des noirs sous la restriction mentale
toutefois de desservir les bleus au profit des
noirs. Pour nous, parti libéral, cela nous est
égal. M. De Neckere s'est mis dans le toupet
qu'il nous gênait. II se trompe furieusement
car on n'a jataais demandé M. De Neckere
son assentiment pour aucun des actes que le
parti libéral a posé. Qu'il reste ou qu'il reçoive
sa démission, puisqu'il ne la donnera pas, cela
nous importe assez peu, son influence est pour
ainsi dire réduite peu de chose s'il reste en
fonctions sous un ministère libéral, la déconsi
dération l'atteindra et alors ce sera un homme
coulé jamais.
Nous avons dit, croyons-nous, dans un autre
numéro, en parlant de M. De Neckere, qu'il y
a des gens qui aiment savourer l'encens
haute dose; la petite note nous fournil la preuve
de celle vérité. La perle administrative parle
avec un aplomb merveilleux de ses services
nombreux et signalés. Ils sont jolis les services
rendus ses administrés si nous devions
énumérer les bévues, les injustices commises,
les dénonciations faites, les persécutions orga
nisées par ses soinsnous n'aurions pas fini de
sitôt. Mais cette besogne est trop désagréable
et nous préférons ne p;^s nous y arrêter.
Nous aimons beaucoup les reproches adres
sés aux libéraux de vouloir tout pour eux et
rien pour les autresou pour eux les honneurs
et la liberté et aux autres les impôts et Vop-
pression. lis sont plaisants en vérité, quand au
su de tout le pays, les libéraux étaient dénon
cés comme des anarchistes et des terroristes
par M. De Theux et ses acolytes et pour ainsi
dire traités en parias par eux. On est bien venu
d'écrire de pareilles contre-vérités, quand un
libéral ne pouvait obtenir justice qu'au prix de
l'abandon de ses convictions, et c'est eux
qu'on ose adresser celte imputation 11 faut que
nos adversaires aient perdu le bon sens ou
qu'ils aient dépouillé toute honte, pour oser
jelter la face des victimes, l'accusation d'avoir
joué le rôle de bourreau.
Nous aimons beaucoup le chevalier De Nec
kere, puisque chevalier il y a, se vanter de la
croix que De Theux, en forme de testament
politique lui a décernée. 11 peut se consoler de
cette manière de n'avoir pas été nommé Dix-
mude, où on était parfaitement libre de ne pas
l'accepter comme sénateur, sans que son échec
doive être qualifié d'intrigue. Son ostracisme
de l'Hôtel-de-Ville Ypres était motivé par sa
conduite l'époque des pillages, et nous osons
le dire hautement, ce sont là des cicatrices qui
ne peuvent être couvertes par des décorations,
quelque brillantes qu'elles puissent être.
Il est inconcevable que jusqu'ici le parti soi-
disant catholique, mais qu'on devrait quajifier
plus juste titre de clérical et de rétrograde
ait pu se donner ces apparences de force et de
puissance, que les éléments dont il se compose,
auraient dû toujours lui faire dénier.
Il s'inlituie catholiqueet si vous en exceptez
le dergé,on peut se donner le plaisir de figurer
dans ses rangs, quelque religion qu'on prati
que, même en n'en pratiquant aucunedu
moment qu'il vous plaise d'endosser le harnais
clérical et de vous humilier jusqu'au point de
vous montrer publiquement le très-dévoué
valet de MM. les prêtres et d'obéir tous leurs
ordres, quelque saugrenus qu'ils puissent être.
Toujours, en exceptant le clergé, de quoi se
compose le parti dit catholique de quelques
hommes de bonne foi, mais d'une multitude de
réuégaU, de transfuges, qui méditent depuis le
8 juin, comment ils pourront se rapatrier avec
l'opinion libérale.
Le nombre des ambitieux est immense dans
ses rangs, le désintéressement y est rare. Les
journaux cléricaux crient l'ambition des
libéraux. Pendant seize an9, leurs patrons ont
été tout puissants, disposé du budget de la
Belgique, occupé tous les postes, enfin, tout
était leur dévotion au nom de la liberté, et
ils voulaient encore davantage, l'ancien régime.
Ce parti se dit conservateur. Ce goût ne lui
est venu que depuis qu'on le menace d'expulsion.
Mais au fond, il ne veut rien conserver d» ce
qui existe sinon son omnipotence. 11 ne crie
la conservation que depuis que la disposition
sans contrôle de la gamelle gouvernementale
tend lui échapper.
L'opinion libérale peut se dire, elle, conserva-
trice. Dans le régime actuel de la Belgique,
rien ne lui est antipathique. La Constitution
ne demande qu'à être appliquée comme son
esprit l'exige et le parti clérical ne pourra
jamais se résoudre sans y être contraint, l'ac
cepter telle qu'elle doit être comprise; nos insti
tutions sont libérales et ce n'est que sous
LU
XI. la maison pavonnet. [Suite.)
Ils entrèrent dans une petite pièce qui servait tout la fois de
salle manger, de salon, de magasin et de comptoir c'était là que
se tenait l'ouvrière en dentelles qui cumulait avec son travail un
petit commerce de guipures, de point l'aiguille, de broderies en
fil de lin, et autres vieilleries revenues la mode. Toutes ces den
telles, d'un travail exquis, que nul salaire ne saurait payer, et qui
avaient été créées par les mains patientes des religieuses dans les
lôpgs loisirs du cloître, étaieut rangées an fond d'une demi-douzaine
de cartons portant des étiquettes fabuleuses Jabot du roi François
1er, Colerette de Marie Stuart, Manchettes de la reine Catherine de
Mèdicis, etc. Séraphine Pavonnet était une femme de cinquante
ans environ, alerte, proprette, un peu précieuse et parlant volon
tiers par sentences. Depuis qu'elle faisait ce petit commerce de
vieilles dentelles, elle appelait son modeste atelier le magasiu, affir
mait qu'on ne dormait plus tranquillement quand on faisait des
affaires, et une fois il lui arriva de dire, en dressant son inventaire
sur une feuille volante la maison PavonnetC'était, du reste,
la plus honnête et la meilleure créature du monde; elle prit tout de
suite beaucoup d'amitié pour Maguette, et la traita aveo autant
d'affection que si elle eut été sa propre fille. D'après ses propres
habitudes, et suivant les ordres dudooteur, confirmés par Raoul, elle
ne recevait absolument personne que la clientèle féminine qui
venait dans la matinée bouleverser ses cartons et lui apporter de
fouvrage, Le soir, seule avec Maguette et M. d'AglevilIe, elle pré
sidait gravement aux leçons de la jeune fille, et se permettait par
fois quelque observation profonde sur les irrégularités de la gram
maire française. Jamais il ne lui était venu la pensée que Raotfl
fût épris de la belle Maguette, et qu'il voulut en faire sa femme
elle le regardait comme un digne homme, un peu original, qui
protégeait l'orpheline et lui faisait du bien sa manière. Dans ces
idées, les connaissances que Raoul tâchait de donner Maguette
étaient des choses de première nécessité et souvent elle lui disait
aveo quelque emphase
On n'est capable de rien, mon enfant, quand on ne sait ni lire,
ni écrire... Crois-tu que moi, par exemple, je pourrais tenir mon
commerce si mes parents ne m'avaient pas donné de l'éducation 11
n'y a pas de plus belle dot que celle-là. M, Pavonnet m'épousa parce
que j'étais une personne instruite, et jusqu'à sa mort, j'ai dressé iea
comptes des pratiques.
Quel état faisait-il, demanda un jour Raoul.
Hélas! monsieur, répondit la Pavonnet, le pauvre homme
n'était pas sa place; je l'ai perdu jeuue, avant qu'il ait pu se faire
une position; il était cordonnier en vieux.
Ce soir-là doue Raoul s'assit comme de coutume eu face de
Maguette, avant de commencer la leçon, rl aimait la contempler
ainsi un moment, penchée sur la table, devant son livre ouvert,
les mains jointes, les yeux baissés, dans l'attitude d une écolière
docile. Une simple et modeste toilette avait çpmplacé les sordideS
haillons dont elle était vêtue lorsque Raoul la vit pour la première
fois: sa taille souple et fière faisait valoir la coupe d'une petite robe
de toile grise dont le corsage ajusté laissait apercevoir la forme
parfaite des bras et la délicate rondeur des épaules. Ses magnifiques
cheveux noirs, nattés derrière la tête, formaient un triple nœud et
retombaient sur la nuque comme un flot de soie souple et brillante.
Le livre que Maguette avait eu ce moment sous les yeux était un
abécédaire pareil ceux où l'on apprend lire aux enfants. Les his
toriettes qu'il contenait étaient la portée d'une petite fille de cinq
ou six ans, et il n'était pas étonnant qu'elles n'amusassent poiut
Maguette, qui, quoique parfaitemant ignorante, avait perdu avec
l'âge cette crédulité enfantine, cette puérilité d'esprit que les char
mants petits lecteurs apportent parcourir les contes de fées.
Mon Dieu! mon Dieu! s'écria-t-elle en pressant de ses deux
mains son front charmant, ça me brouille la cervelle de voir du
noir sur du blanc... Je ne sais plus ce que je dis quand j'étudie
Elle aime mieux le travail des mains, observa la bonne Mmc
Pavonnet eu s'adressaut Raoul, je voudrais qu'on vît son ouvrage;
elle brode déjà assez bien et fait le point de dentelle comme un ange.
Ce sont les anges qui raccommodent lesco'erettes du bon Dieu?
demanda-t-elle d'un ton qui n'était pas tout fait sérieux
Quelle idée I s'écria Ilaoul en liaut.
Ah! la petite sotte! dit Mme Pavonnet.
Dam il ne faut pas se moquer de moi, répliqua t elle d'un air
de bonne humeur; est-ce que je n'ai pas vu l église l'Enfant-Jésiu
avec un joli fourreau de satin blanc et une colerette de tulle brodé
C'est assez logique ce qu'elle dit là, murmura Raoul; elle est
ingénue, ignorante, mais elle n'est point sotte.
La leçon continua; jamais Maguette n'y prenait de goût, mais elle
y mettait du moins une application soutenue. Ce soir là elle eut des
distractions, et plus d'une fois ses beaux yeux s'arrêtèrent fixes et
rêveurs au lieu de parcourir la page commencée. Raoul ferma le
livre et lui dit doucement
Ceci vous ennuie, Maguette; il faut pourtant que vous appre-