EXTÉRIEUR. Je puis vous annoncer de source certaine que l'ordre a été transmis l'armée autrichienne stationnée en Italie, d'entrer sur le territoire toscan et dans les États pontifi caux. En ce moment, la chose est probablement déjà faite. FRANCE. Paris, 25 février. L'anniversaire de la révolution de Février s'est passée paisiblement Paris. Les représentants montagnards, les rédacteurs des journaux démocratico-socialistcs et les chefs de club ont fait paraître, le matin, la proclamation annoncée pour engager le peuple s'abstenir de toute manifestation. Nous ne croyons pas qucce soit la publication de ce document qu'il faille faire honneur du calme qui a régné Paris. Les pourparlers continuent pour la fusion des deux grands comités électoraux bonapartistes et de la rue de Poitiers; mais il ne parait pas que jusqu'ici ces pourpar lers aient abouti un heureux résultat. M. le président de la République, l'occasion de l'an niversaire du 24 Févriervient d'accorder des grâees et commutations de peines un grand nombre de condamnés militaires. Le travail des grâces relatif aux condamnés civils a été ajourné au 4 Mai. Au moment de mettre sous presse, nous recevons communication dit l'Estafette, de nouvelles fort graves arrivées par un personnage investi d'un caractère diplo matique. La république a été proclamée le 19 Florence. Le 20, deux heures de l'après-midiCharles-Albert a donné l'ordre ses troupes d'entrer en Toscane. Le ministère piémontais a donné sa démission en masse l'exception de Gioberti, qui suit en tout les vues du Roi. Maintenant, si la nouvelle se confirme que (le cabinet de Vienne a donné l'ordre l'armée d'Italie d'envahir la Toscane, nous verrons les royalistes piémontais et les Autrichiens, qui se combattaient l'année dernière, agir de concert contre la liberté et l'indépendance de l'Italie! Pendant la cérémonie religieuse qui avait lieu l'église de la Madeleine, une troupe composée de trois cents per sonnes, hommeset femmes, drapeauen tète, s'est avancée, travers les boulevards, jusqu'à l'hôtel qui forme le coin de la rue des Capucines Comme la circulation était inter rompue surcette partie du boulevard, ils ont voulu passer outre et forcer la consigne; mais, grâce la contenance de la troupe, ils ont été obligés de rebrousser chemin. Ils ont remonté les boulevardsdrapeau en tète. Leur marche a bientôt été arrêtée par les soins des agents du service de sûreté. Ce soir, Paris est tranquille, les boulevards encombrés de promeneurs paisibles. Par les mesures fermes de l'au torité, la capitale aura joui dans cette journée, du plus grand calme. On écrit de Lyon, la date du 22 février: Hier au soir, des curieux en assez grand nombre ont encore porté leurs pas vers la place Louis XVIIImais il n'y a pas eu de nouveaux attroupements. Avant-hier au soirla suite d'une charge de dra gons, on avait opéré 43 arrestations. Des personnes ordinairement bien informées annon cent qu'il est question plus que jamais de la rentrée de l'escadre de la Méditerrannée dans le port de Toulon. Quelles que soient les exigences de la politique et malgré les complications des événements en Italie, le besoin d'é- conomie a inspiré, dit-on, cette mesure que le gouverne ment s'applique réaliser le plus tôt qu'il pourra le faire. On a publié récemment des détails inexacts sur les pri sonniers détenus au fort Vincennes. Il est excessivement difficile de pénétrer dans l'intérieur du fort. On ne peut y parvenir que lorsqu'on est muni d'un permis de l'auto rité supérieure. Un gendarme qui se tient en avant de la grande porte d'entrée accompagne le visiteur pendant qu'il la traverse, puis il le remet un planton de service qui fait contrôler le laissez-passer chez le concierge et se rend ensuite chez le greffier en chef. Après cette visite on traverse la grande cour encombrée de caissons remplis de munitions, de-là on passe dans une 2e cour assez petite et l'on se trouve la porte du Donjon. Le geôlier se présente et demande de nouveau le permis ainsi que le nom de la personne que l'on veut visiter. On parvient alors l'esca lier dont tous les paliers sont garnis de factionnaires; Barbes occupe le premier étage, Blanqui le second et Ras- pail le troisième. L'ameublement de chacune des chambres se compose d'un lit de fer, d'une table de bois blanc et de 4 chaises de paille, elle est éclairée par une lucarne garnie de bar reaux de fer et élevé 8 pieds du plancher. Tous les jours tour de rôle chacun des détenus peut monter sur la plate-forme qui se trouve tout en haut du Donjon. De midi 3 heures ils reçoivent leurs parens, leurs amis et toutes les personnes qui justifient du besoin de les voir. Presque tous les accusés paraissent décidés maintenant se défendre devant la haute-cour. Cependant comme ils n'ont pas encore faitchoix de leurs défenseur. On sait que M. le président leur a désigné des avocats d'office. Il a couru aujourd'hui en ville, je ne sais sur quel fondement, une bien triste nouvelle, on a prétendu qu'un village des colons de l'Algérie avait été surpris par les arabes. Les hommes auraient été massacrés et les femmes enlevées par les vainqueurs. J'ai voulu remonter la source de cette nouvelle, j'ai seulement appris qu'elle courait depuis deux jours dans la peuple de Paris, et cette circonstance même me l'a fait révoquer en doute. Je sais d'un autre côté que les nouvelles reçues des nouveaux collèges parisiens fondés en Algérie, sont gé néralement bonnes. Toutefois les bons travailleurs se plaignent de l'exemple d'insolence, que donnent certains de leurs camarades qui assurés d'une ration de vivres pour un temps déterminé, considèrent quelque peu leur tache la manière des anciens ateliers nationaux de Paris, il ne font rien pour améliorer leur position par leur tra vail ou leur activité personnelle. Je dois dire sans aucune espèce d'idée de parti, que les illuminations ont été très-rares hier Paris. Certains édifices publics étaient illuminés, d'autres ne l'étaient pas. La Bourse notamment et le tribunal du Commerce sont restés dans l'obscurité profonde. La cérémonie de la Madeleine a été digne mais froide. Quelques représentants delà gauche ont trouvé mauvais que le président ne soit pas venu l'Assemblée se réunir aux représentants du peuple pour marcher leur tète j usqu'à la Madeleine. Un député montagnard aurait dit un ministre: Ce n'est pas un président, c'est un prince q uc nous scrnblons avoir. ITALIE. Nous croyons savoir qu'on a reçu aujour d'hui Paris la nouvelle que le 8 de ce mois, deux heures de l'après-midila République a été proclamée Rome. Le même jour, la déchéance du pape a été prononcée. La dépèche qui apporte ces deux nouvelles si impor tantes, auxquelles d'ailleurs on devait s'attendre par suite de la tournure que les choses avaient récemment prises, annonce aussi que le grand-duc de Toscane n'a pas quitté le pays, comme l'ont prétendu plusieurs jonrnaux, mais qu'il s'est réfugié San-Stéphano. La même nouvelle nous est arrivée par une lettre de notre correspondant de Florence. La Toscane est loin d'être aussi calme, aussi unie que la presse officielle de Florence veut bien la présenter. Le mouvement de réaction s'élargit chaque heure on parle d'une grande agitation Arrczo. Les Marcmmcs et les montagnes sont toutes prêtes se soulever contre le gouvernement de M. Guerrazzi. Ajoutons que des gardes nationaux de Livournc qui se sont rendus Porlo-Ferrajo pour occuper le port, ont éprouvé un refus. La population est hautement prononcée contre la répu blique. On dit que la troupe est dans les mêmes senti ments et que les généraux donnent leur démission afin de rester fidèles au grand duc. Variétés;11 Ux usurier. S'il est vrai, comme on dit, que l'hy pocrisie soit un hommage rendu par le vice la vertu, jamais la vertu n'aura reçu plus d'hommages qu'en 1849 c'esMe fait dominant de notre époque. De la religion, de* la vertu, de la morale en parole, tant qu'on en veut: en pratique, tout le contraire. C'est au point que si, dans une foule, il vous arrive de coudoyer deux inconnus, il y a cent parier contre un que vous aurez heurté d'un côté, de tous les deux peut-être, le contraire d'un hon nête homme. Le siècle n'en offre pas moins l'histoire d'admirables dehors. C'est un personnage d'une tenue sévère, élégante, irréprochable, parfaitement chaussé, coiffé, ganté, couvert d'ulcère, des pieds la tête, sauf le visage; tout le monde le sait, mais il n'en paraît rien au dehors cela suffit. Mon Dieu, mon voisin, me disait hier un petit vieillard de mon quartier en vidant un litre la même table que moi la Grande Carpe, ne soyons pas si sévère Molière, le grand Molière, l'a dit il y a bien longtemps: Ce n'est pas la faute de ceux qui trompent, c'est la faute de ceux qui veulent être trompés. Il vous est facile, voisin, d'être optimiste la vie est comme la pluie, disent les Anglais, chacun s'en tire com me il peut, vous en prenez aisément votre parti, avec votre parapluie d'un million. Il y eut un moment de silence entre deux bouffées de tabac. Il faut savoir que mon voisin jouit du mépris et de la haine de ses concitoyens. C'est un homme d ordre qui remplit très-exactement ses devoirs religieux, il est quel que chose coininc murguillcr de sa paroisse, personne ne connaît le chiffre de sa fortune, excepté lui-même: c'est une sangsue publique, un usurier. Voisin, reprit le petit vieillard après une pause, vous me regardez de travers comme tout le monde avez-vous la patience de m'écouter un moment? Vous me jugerez alors avec connaissance de cause. Je fis un signe de tète approbatif il continua Je suis né paraisseux; ce n'est pas ma faute, c est celle de mon père. Vous riez C'est cependant exact maté riellement exact. L'Écriture dit: Nos pères ont mangé des raisins et nous en avons les dents agacées j'avais en nais sant les dents agacées des raisins verts que mon père avait mangés. Né malingre, chétif, languissant, souffre teux, je n'ai pu être que paresseux; je le suis. A la mort de mon père, ayant liquidé ma fortune, je me trouvai la tète d'un capital de 5,000 francs, soit 250 francs de rente je ne pouvais essayer de vivre avec cela je n'avais pas assez pour me mettre acheter bon marché et ven dre cher, ce qu'on nomme faire le commerce. Je regardai autour de moi pour voir ce qu il était possible de faire pour vivre sans travailler, et ne pas me brouiller avec MM. les gendarmes et M. le procureur du roi. Tout bien ——BKI considéré, l'usure me parut le débouché le plus sortable. Les lois, que j'eus soin d'étudier, n'ont que peu de prise sur l'usure on ne prend que les maladroits quand on les prend, et comme ils ont de l'argent, ils viennent toujours bout de s'en tirer. Je me suis donc mis, pour commen cer, prêter la petite semaine j'avançais aux ouvriers 15 fr. le lundi: il m'en rendaient 16 le samedi; je fis ainsi d'excellentes affaires je devins en quelques années capitaliste. Mais c'est une effroyable usure, m'écriai-je! six deux tiers par semaine C'est sur le pied de 346 pour cent par an Ah bach dit en ricanant le petit vieillard, ceux que l'obligeais ce prix m'en avaient encore obligation. Com ment auraient-ils vécu la semaine Le boulanger leur refusait crédit, et ils n'étaient payés que le samedi. En définitive, mes pauvres 25 francs ne me rapportaient que 52 francs au bout de Tannée; il y en a qui prennent bien davantage. Je pris mon chapeau et me levai pour m'en aller. Restez donc, enfant que vous êtes, me dit l'usurier en me prenant le bras. Je vous l'ai dit, ce n'est pas ma faute, c'est celle de ce monde où je vis, de cette société mal faite que je ne puis refaire et qui ne considère que ceux qui ont de l'argent j'ai voulu en avoir; j'en ai. Vous vous trompez, monsieur, repris-je avec indigna- lion l'estime publique est si chère, qu'on n'en a pas pour son argent. L'écrivain qui a dit cela, pensait aux gens comme vous. Vous avez beau ricaner au fond du cœur vous savez bien que tout le monde vous hait et vous mé prise; et ne dites pas: que m'importe; vous aimeriez mieux autre chose: c'est votre punition. Comme j'avais élevé la voix, les regards de toute la Grande-Carpe s'étaient tournés vers nous. Bien touché, me dit un habitué Vous avez dit tout ce que tout le monde pense. Dites-lui tout, pendant que vous y êtes; qu'il ait son clou rivé une bonne fois dans sa vie, la vieille sangsue Mais l'usurier, sans témoigner aucune émotion, reprit en promenant ses regards sur l'assistance: sangsue, suis. Je suis capitaliste mais haissez-moi, méprisez-moi, vous êtes tous les esclaves du capital. Que me reproche-t-on? D'avoir aidé rendre des gens pauvres encore plus pau vres? Et que font donc autre chose ceux qui, comme moi, ont de l'argent Mettrai-jc le mien dans l'industrie Il y fondra, et personne n'en profitera. Dans l'agriculture? C'est un métier pénible je n'y entends rien, et je suis trop vieux pour apprendre. Qu'on m'offre des sûretés, des garanties, aujourd'hui que je suis riche, que je remue des millions, oui, messieurs, répéta-il en haussant la voix, des millions, je ne demande pas mieux que d'abondon- nerla spéculation, l'usure comme vous la nommez. Mais, dans l'état actuel de la société, où sont ses garanties Personne ne trouvait rien répondre les millions du vieillard tintaient aux oreilles de l'assistance on ne so brouille pas avec un homme qui a des millions, même quand on sait qu'il les a un peu volés. J'étais resté bouche close comme les autres, et chacun me regardait déjà comme vaineu. II me restait heureuse ment une arme de réserve je renouvelai l'attaque brûle pourpoint. Connaissez-vous le monautopole, dis-jc au capitaliste Monauto quoi, reprit-il Je crois que vous me parlez grec, la constitution me permet d'ignorer le grec. Si vous êtes de bonne foi, lui dis-je du ton le plus con ciliateur, si vous ne prenez pas, comme chacun le croit, un lâche plaisir aux souffrances de vos semblables, étu diez la monautopole; je vous prêterai l'exposé de ce sys tème générateur. Vous dites que la société est mal faite? Aidez donc celui qui cherche faire disparaître les vices et les misères. Vous parlez de garanties L'avènement du monautopole donnera au capital de telles garanties, que vous-même, monsieur, tout dévoué que vous êtes au culte de vos chers écus, vous voudrez, en présence d'un profit certain, d'une garantie sincère, incontestable, vous asso cier auxeffortsdc ceux qui ont du génie, et pas d'argent. Rien encore, peut-être, je l'avoue, sous le régime ac tuel le génie n'a guère quant présent qu'un grenier sur le premier plan et l'hôpital en perspective. -Mais que la loi donne l'homme de génie la possession de son œu vre, le fruit de son travail intellectuel, capital bien au trement réel que vos chers écus, et vous verrez les hom mes d'argent, toujours l'affût des moyens d'en gagner, s'associer aux hommes du génie. Oui, monsieur, tels seront les fruits du monautopole et bientôt la Belgique en tre dans cette voie de salut ;,une loi proposée et impa tiemment attendue sur les invitations, rendra la propriété des inventeurs aussi sacrée, aussi solide, aussi pariaite- ment assurée que celle des capitalistes. Alors, les milliers de travailleurs sans emploi, réduits compter aujourd hui sur la charité publique, suffiront peine aux travaux utiles dont les sources vont s'ouvrir de toutes parts. Alors vous, monsieur, vous aimerez mieux profit égal, gros sir votre fortune en faisant vivre vos semblables qu'en les pressurant, en continuant mériter leur haine et leur mépris. Ces mots, prononcés avec l'accent d une chaleureuse conviction, ramenèrent 1 assistance de mon côté. Mon voisin le capitaliste promit d'étudier le monautopole, et je lui promis en retour de lui rendre un peu d'estime, le jour où, sous le régime de la législation qui va naître, il aiderait un inventeur de génie faire sa fortune en aug mentant celle de son bailleur de fonds, et donnant quelques centaines d'ouvriers du travail et du pain. (Belgique industrielle.) A. Ysabeau.

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Le Progrès (1841-1914) | 1849 | | pagina 3