haute. La farce est belle et pour peu que les affaires con
tinuent de ce trainRogier pourra se promener avec ses
camarades.
Lord Pouff. Ma foi, j'ai prévu le déplorable résultat
des opérations électorales de l'arrondissement de Thielt.
La veille encore du fatal jour, illuminé par le sublime
esprit du bienfaisant libéralisme, j'ai vu dans toute leur
nudité les intrigues ourdies en faveur de la candidature
du cuistre D'Anethan des milliers de Jésuites invisibles
étaient répandus dans la campagne; c'est peine si on
voudra y croire, j'ai aperçu distinctement des électeurs
qui en avaient sur le dos, sur le nez, sur la tête, dans la
poche, transformant avec une dextérité sans pareille le
nom de M. Pecsteon-Devrière en celui de M. D'Anethan.
Mirabeau. Vous plaisantez Mylord; le succès rem
porté par le parti clérical de Thielt, ne saurait être at
tribué exclusivement aux Jésu....;
Mylord. Par Voltaire, Jean-Jacques, Ilelvétius, et tous
les vrais philosophes, je dis que la faute en est aux dis
ciples d'Inigo.
Mirabeau. Sans aucun doute; la gent jésuitique a mis
le principal poids dans la balance, cependant
Mylord. Sans l'influence ignacienne notre cause devait
prévaloir. Le libéralisme comme la liberté, est destiné
faire le tour du inonde. Maudite race cléricale Si j'étais
commissaire, je ferai un rapport détaillé de ses faits et
gestes.
Le barbu biberon. La grande affaire, c'est que les hom
mes de la sacristie payent contributions et impôts; dès
lors il est constant qu'à l'exemple de l'Apôtre Paulils
peuvent avec raison s'écrier civis Romanus sum et con
courir au choix de leurs mandataires. La Constitution leur
octroi cette faculté comme tons les Belges.
Mylord. Les intriguants! ils n'ont aucun droit, si non
que de se trouver l'église. Si j'étais gouverneur je le
leur prouverais en les faisant évacuer ma province.
Le barbu. Que voulez-vous qu'on fasse sinon ameuter
le public contre eux, en disant qu'ils souillent leur robe
en déposant un bulletin dans l'urne, et que si les candi
dats qu'ils pâtronnent arrivent au pouvoir, une révolution
est inévitable.
Mylord. Que voulez-vous qu'on fasse belle demande]
Si j'étais ministre je vous le ferais voir je leur enlèverais
tout subside ou traitement; ainsi, je les forcerais faire
la propagande en Amérique. Un peuple civilisé et sage
comme le peuple Belge n'a pas besoin de prêtres. Moi
je puis m'en passer; un autre peut en faire autant, ce
semble?
Mirabeau. Je conçois, Mylord, l'aversion que vous
portez contre les vipères jésuitiques je la partage avec
vous; car bien que mes parents aient eu l'idée malencon
treuse de me placer chez les petits Pères, pour y faire
mon éducation, je ne laisse pas de leur administrer quel
ques bonnes tapes quand l'occasion se présente. Néan
moins, il faut tempérer cette colère; la grande majorité
du public ne pense pas comme nous, en cette matière;
or, le public c'est notre maître bien que nous paraissions
être le sien, et pour plaire au public le proverbe dit:
fais ce qui lui plaît. Ceci est vrai; tellement que nous en
avons maintes preuves: depuis que l'organe de notre
parti s'est rué avec trop de véhémence sur les ministres
du culte, la popularité ne nous ombrage plus de ses aîles
protectriceset l'on nous appelle voltairiensjésuito-
ptiobes, fanatiques...
Le grand pacha. Rien de si vrai il faut se faire tout
tous hurler avec les loups, bêler avec les moutons. C'est
l'oubli de ce grand principe qui, (soit dit entre nous)
nous a rendus suspects aux commerçants et aux indus
triels.
Mylord. Le public! Je m'en moque. Quant aux com
merçants et aux industriels ce sont là des mannequins.
Si les marchands de dentelles ne savent vendre leurs
marchandises, et que de ce chef ils nous en veulent, qu'ils
en fourrent leurs cul
Mirabeau. Je m'en passerais volontiers aussi, si je ne
craignais d'avoir un jour ou l'autre, toute celte phalange
sur le dos.Car,nousavonsdéjàlesélectionsen perspective.
Alors l'inconnu essayant d'un grand coup pour la dé
cider, fit briller ses yeux une poignée d'écus d'or. Dans
le mouvement qu'il fit, Martha eut le loisir de jeter un
regard d'inspection sous sa houpelande et de se con
vaincre par là que celui qui lui parlait ne pouvait évi
demment appartenir qu'à la noblesse.
Cette persuasion intime, que légitimaient suffisamment
les vêtements de l'étrangerjointe la tentation de ce
qu'on lui offrait, suffit pour décider ses incertitudes.
Elle prit la poignée d'écus.
On n'entendit plus, dater de ce moment, qu'une con
versation voilée. A toutes les propositions qui lui étaient
faites, la duègne répondait par un signe de tête appro-
batif.
Ainsi, dit l'inconnu en insistant une dernière fois
sur ce qu'il avait demandé, c'est bien convenu lui, au
pavillon; elle, sur la grève un coup de sifflet?
Ouimonseigneur mais vous vous souviendrez
que vous m'avez promis de ne tenter rien de mal contre
eux.
Sois sans crainte, répondit l'inconnu.
Puis, avisantla statue immobilisée de Guillaume Cornu,
il ajouta
Mais cet homme ne pourra-t-il pas entraver nos
projets?
Non, monseigneurdit Martha, je sais des secrets
assez puissants pour le faire taire, achcva-t-elle en ma-
aièrede parenthèse.
Le grand pacha et le barbu biberon. Heureux qui ne
voit pendre sa position, la ficelle électorale
Mylord. Mais je voudrais voir qu'on me dépossédât.
Mirabeau. Prenons y garde, Mylord, qu'au grand jour
ils ne nous fassent descendre avec armes et bagages les
marches du pouvoir; comme ils nous en veulent déjà
Quels traits satyriques ne nous lancent point les Camé
léons et les Baziles?
Le grand pacha. C'est indigne.
Mylord. Qu'on m'appelle ce qu'on voudra, ils ne m'ô-
teront point la volonté de défendre le libéralisme et per
sonne après tout, n'accueille les ricanneries des disciples
de Loyola.
Mirabeau. Malheureusement, les moqueries de nos
adversaires sont relevées avec plaisir par chacun. Le nom
de Tom-Pouce n'est-il point dans toutes les bouches sur
toutes les lèvres tel point que j'oserai prédire que le
règne de notre ami ne sera pas de longue durée, et qu'il
ne devra jamais faire retresser sa chaise administrative.
Mylord. Si l'orage pouvait se calmer en emportant le
seul Tom-Pouce, il n'y aurait pas ce semble de quoi
quitter le monde. Je ne le dirai point qui veut l'en
tendre mais c'est en vain que de l'étoffe de Tom-Pouce
on chercherait faire le inoindre Goliath. Hormis les
marchands de sifflets, personne ne pleurerait son absence.
Le barbu biberon. Prenant en main un verre de Cham
pagne, commence fredonner l'air: t'es trop p'tit.... y
parait que sans toi on peut faire la guerre.
Mirabeau. Je n'insisterai pas tant non plus conserver
Tom-Pouce, si je ne ressentais tout le chagrin qu'éprou
verait sa Dame, de son élimination.
Le barbu. Après avoir soufflé dans son verre, continue:
le gros major me l'a dit: t'es trop p'tit pour être mili
taire
Le grand pacha. Il importe de ne donner jamais dans
ce panneau. Il s'agit même de montrer nos moindres
personnages dans un miscroseope. Car observons bien
que si un petit succombe, quelque grand risque d'être
entraîné dans sa chute.
Le barbu biberon. Au moins on ne risquerait point
d'être écrasé sous le poids de Tom-Pouce.
Le grand pacha. Point de plaisanterie. Il est plus que
temps de nous assurer l'avenir l'opinion s'est levée
contre nous. Les faits ont démontré que nous ne pou
vons plus compter sans notre hote. Qu'est-ce qu'une
majorité de quelques voix seulement. Or, je vous le dis
sans aucun détour. Je n'ai plus dans le public cette con
fiance, qui me faisait dire, il y a du temps c'est moi qui
suis Guilliot, berger de ce troupeau.
Mirabeau. Rassurez-vous, cher pacha.
Le grand pacha. Notre campagne passée n'a point été
satisfaisante. L'avenir me paraît également sombre.
Mirabeau. Le cas était exceptionnel il s'agissait d'un
candidat qui avait rendu d'immenses services aux
Le grand pacha. Plus tard il sera question d'un autre
dont les talents ont resplendi par tout le Royaume, et
contre l'élimination duquel toute la nation a protesté.
Mylord. Talents! Il n'y a de vrais talents que parmi
l'opinion libérale.
Le grand pacha. Le fait est incontestable. Ses talents
sont prouvés.
Mylord. Impossible s'il n'a servi le libéralisme
Le barbu biberon. Il a des capacités. Rogier les lui
connait et les redoute. Je me rappelle fort bienles
aveux qu'il m'a faitet l'ordre exprès qu'il a donné de
combattre sa rentrée.
Mylord. Par le passé, le présent et l'avenir, je dis qu'il
n'a pas de talents et s'il en a je prouverai qu'il n'en a
point, car je me mettrai en quatre plus tôt que de le voir
réintégrer en place.
Mirabeau. C'est ce qu'il y a de mieux faire.
Le barbu. Rien de si facile.
Mylord. Il n'y a qu'à répéter sans cesse qu'il n'a été
au pouvoir que pour remplir sa besace, qu'il a fait mourir
les Flandres que Rogier a sauvées que c'est son impé-
ritie qui a engendré les emprunts forcés.
C'est convenu? répéta l'étranger en reprenant le
chemin par lequel il était arrivé.
C'est convenu, psalmodia la duègne en entrant dans
la cour du château.
Marthaqui avait besoin de mettre sans retard ses
instants profit, alla directement Guillaume Cornu.
Guillaume Cornu avait en Martha pleine et entière con
fiance; de plus, le pauvre hère avait parfois remarqué
qu'elle avait des yeux passablement expressifs mais ja
mais il ne s'était permis d'en faire l'aveu.
Martha, avec ce tact exquis de pénétration qui distingue
les personnes de son sexe, avait depuis longtemps com
pris tout celaet comme elle ne se sentait pas assez de
vertu pour partager les sentiments du majordome, elle se
faisait un malin plaisir de le torturer.
Mais cette fois qu'elle avait besoin de lui, elle l'aborda,
contrairement son habitude, avec un sourire le ren
dre fou
Guillaume! lui dit-elle, en lui appliquant en ma
nière de caresse sa main sur la joue, m'obéirez-vous si je
vous donnais un ordre?
Par le Christs'écria le fougueux majordomeje
n aurai ni repos ni trêve que vous ne soyez satisfaite!
Et en même temps, pour protester de ses bonnes in
tentions il avança le corps en avant, prêt s'élancer
quand elle aurait commandé.
Guillaume reprit la rusée servante, vous avez bien
vu tout l'heure ce chevalier qui me parlait?
Le grand pacha. Quant aux emprunts; laissons ce pot
la cave nous n'y avons point perdu, vous savez le pu
blic pourrait nous en faire un grief.
Mylord. Le grand moyen c'est de vilipender le clergé
et sa suite; la pluie, la grêle, la maladie des pommes de
terre, tout doit Jui être attribué; la fin du compte les
campagnards déchaîneront leurs chiens sur les robes
noires.
Le grand pacha. De cette intrigue dépend la victoire.
L'exploite-t-on avec malice, nous sommes sauvés. Le fait-on
avec rudesse nous sommes perdus et nous devrons quitter
le capitole.
Le barbu. Bah! Arrive ce qui pourra; et puisons tant
que la corde est au puits.
Mirabeau. Le grand moyen, la méthode infaillible de
réussir, ce serait de rendre le parti commerçant ridicule,
au point de le faire passer pour des rétrogrades, des ca-
lotins, et des afïidés des jésuites.
Mylord. Bravo Bravo. Jetons-les dans la jésuitière
ces industriels qui s'insurgent contre nous.
Le grand pacha. S'il y avait moyen de les faire rentrer
dans nos bonnes grâces. C'est que les deux tiers de la
ville appartiennent au commerce. Son orgâne, ce que
j'ai appris, a plus de cent abonnés.
Mylord. Qu'il en ait mille. Le libéralisme ne doit
point s'abaisser jusqu'à faire patte de velours ses adver
saires. Il suffit que nous nous rallions les hommes qui ne
sont point de l'école des jésuites et la victoire est nous
Vive le libéralisme A ce cri l'assemblée se sépare.
Le dernier numéro du Propagateur renferme une lettre
signée par un garde, qui eût tout aussi bien fait de sous
crire les six lettres de son nom, que de garder un im
prudent et inutile anonyme.
Tout le monde, en effet, a compris de suite les inten
tions qui avaient dicté cette ridicule épitre, et montré du
doigt le brouillon qui semble n'être entré dans la com
pagnie d'artillerie, si unie jusqu'à présent, qu'avec
l'espoir d'en faire un instrument la dévotion de ses
patrons, ou d'y semer la discorde.
Il y a une chose essentielle qui aurait dù figurer dans
la lettre dont il s'agit, c'est qu'on avait commis le grand
crime de ne pas choisir le gros et boursoufllé personnage,
pour imprimer les billets de convocation, car telle est
évidemment la cause de ses rancunes.
Si quelqu'un cependant avait intérêt ne pas occuper
le publie de son individu, (militairement parlant, s'en
tend), certesc'était bien notre quidam, car chaque
exercice il trouve toujours des prétextes pour obtenir des
exemptions qu'on lui a accordées jusqu'ici avec une
indulgence extrême et qui se justifie peut-être par la
répugnance voir figurer dans les rangs de la batterie le
plus vilain échantillon, sous tous les rapports, de notre
milice citoyenne.
On nous écrit de Rousbrugge:
Jamais fête n'a attiré autant de monde Rousbrugge
que le festival de Dimanche dernier; aussi les habitants
n'avaient rien négligé pour donner la fête tout l'éclat
possible les rues étaient ornées de verdurede portes
triomphales, toutes les maisons étaient pavoisées, et au
milieu de la place s'élevait un théâtre brillamment éclairé
au moyen de verres de couleurs.
Six musiques avaient répondu l'appel de l'adminis
tration communale; c'étaient celles de Loo, Avelghem,
Rexpoede, Hondschote, Bergues et Ypres.
Vers deux heures et demie, les musiques françaises
firent leur entrée et se rendirent la maison commune
où on leur offrit le vin d'honneur; M. le commissaire
d'arrondissement, qui avait été invité vouloir présider
cette réception, remercia en termes chaleureux les mu
siques étrangères du concours qu'elles, venaient prêter
Oui fit le majordome.
C'est un ami de notre maître, poursuivit Martha.
Il est venu avec mystère pour lui ménager une surprise.
Je ferais ainsi si j'avais des amis, insinua le ma
jordome.
Or, cont inua la duègne, nous convenions de ce qu'il
aurait faire pour rendre plus agréable cette surprise.
Ainsi donc, Guillaume, aussi surprenantes que vous pa
raissent ce soir mes actions, jurez-moi de ne me point
démentir, quoi que je fasse ou quoi que je dise.
Je le jure, répondit gravement le majordome, heu
reux d'être admis de moitié dans cette innocente plaisan
terie, surtout ayant Martha pour associée.
A peine les conditions de ce nouveau pacte étaient-
elles établiesque le cointe Archambaud du Donjon et
Jehanne d'Oisy se présentèrent dans la cour.
Qnel étaitee cor demanda Archambaud la duègne.
C était un chevalier qui désirait vous parler, mon
seigneur! répondit celle-ci en tournant entre ses doigts
les grains d'un chapelet.
Puis se ravisant, elle ajouta
Est-ce que vous ne l'avez pas rencontré, mon
seigneur? je l'ai envoyé au pavillon.
Nous l'avons envoyé au pavillon appuya Guillaume
Cornu.
Archambaud se tourna vers Jehanne et lui dit:
Il faut que nous nous soyons croisés
Et il retourna seul sur ses pas. [La suite au prochain n9.