Depuis quelques jours plusieurs grandes familles rus ses sont arrivées Paris pour y passer l'hiver. On annonce également l'arrivée prochaine d'un grand nombre de ces étrangers qui visiteraient d'une manière toute particu lière la capitale de la France. L'empereur ne met plus d'obstacle au séjour de ses sujets parmi nous, depuis surtout qu'il sait que les étrangers qui s'occupent de poli tique sont impitoyablement renvoyés du territoire français. M. De Lamartine va décidément se fixer en Orient. Il a envoyé Constantinople un mandataire M. Rolland, chargé de lui acheter un terrain du côté d'Ephèsc de Magnèse. Le jeune sultan instruit de l'intention du poète a fait dire que pour des français qui portent un nom tel que celui de M. de Lamartine, les terres ne se vendaient pas en Turquie mais se donnaient, et il a autorisé M. Rolland choisir les terrains destinés servir de retraite au chantre des Méditations. M. Rolland est donc la recherche de quelque nouveau Muilly oriental dans les parages de Sinyrnc. Aujourd'hui a eu lieu dans la salle des Pas-Perdus, au Palais de Justice, la distribution par le président de la république des récompenses nationales messieurs les exposants. La messe a été célébrée dans la Sainte-Chapelle, par Mgr. l'archevêque de Paris. Puis, la cérémonie a commencé. Rien n'avait été négligé pour donner cette fête nationale un caractère grandiose. L'ornementation de la salle rappelait les grandes découvertes dûes au gé nie de la France, et l'oeil pouvait parcourir avec satisfac tion la série des illustrations, des noms impérissables, qui ont jété sur les sciences industrielles un si vif éclat. ITALIE. Rome, 23 Octobre. Capanna, quand il était chef de police, avait tellement purgé Roine de malfaiteurs, qu'on n'entendait plus parler d'un seul vol aujourd'hui la police des cardinaux a fait condamner Ca panna, arrêter le plus grand nombre possible de libéraux et mis en liberté des centaines de voleurs condamnés au temps de la République, ce qui explique les vols et les excès dont on se plaint chaque jour. Sur la déposition d'une servante et d'un cx-jésuilc la police des cardinaux a condamné 5 années de réclu sion M. Petraglio qui, au moment où se passaient Rome les faits dont se sont plaints le jésuite et la servante, se trouvait Monterosi avec une mission du gouvernement. M. Benedetto Pichi, prêtre âgé de 65 ans, a été con damné par le tribunal du cardinal-vicaire comme coupable de lèse-majesté, pour avoir rempli les fonctions de diacre le jour de Pâques, en présence du triumvirat et de l'As semblé constituante. Le notaire Gagiolti, âgé de 78 ans, languit au secret sans que ses ennemis aient pu trouver contre lui une om bre de délit. Les Français qui l'ont pris sous leur protec tion, n'ont pas encore réussi l'arracher aux mains des prêtres, qui prétendent vouloir le juger comme coupable de lèse-majesté pontificale pour avoir fait l'inventaire des palais apostoliques et du saint-office. Il parait que Pic IX pourra être dans notre ville sons peu. Hier il devait être arrivé Renévent pour y passer quatre jours. 11 se rendra ensuite Monte Cassino d'où il viendra ici. La i division pontificale militaire de notre ville a été mise sous le commandement de l'ex-général en chef Levaillant. Les édifices appartenant aux jésuites sont occupés aujourd'hui par les français; tout comme par le passé. La seule chose qui ait fait quelque progrès c'est le vol nocturne. On arrête tous les jours une centaine de voleurs et cependant les crimes augmentent tous les jours. Le général Zucchi a donné sa démission de lieute nant-général des troupes pontificales. F:Ut§ divers. suicide. Il y a quelques jours on repêchait dans la Seine, au lieu dit Moulin-Allard, commune de Nanterre, le corps d'une femme de vingt-quatre vingt-cinq ans, vêtu proprement. Diverses circonstances portaient croire qu'elle était assassinée; elle avait d'abord une blessure assez profonde au-dessus de la joue gauche. Ensuite ses bagues, dont on voyait l'empreinte sur les doigts, avaient été soustraites; enfin ses poches se trouvaient retournées, comme si, après les avoir fouillées, on avait voulu s'as surer qu'il n'y restait rien. Il résulte des investigations qui ont été faites subsé- queinment par la justice, que cette femme était l'épouse du sieur Pottier, charron et épicier Reuil, et que sa mort serait le résultat d'un suicide. Voici dans quelles circonstances fâcheuses elle aurait été poussée cette ex trémité Le sieur Pottier a pour ouvrier un nommé Maseray, dont la femme est d'un caractère extrêmement ombrageux et jaloux. Celle-ci s'était imaginé que Maseray avait des rapports adultères avec la femme de son patron, et ce soupçon, qui u avait pas le moindre fondement, en ger mant dans son esprit, devint bientôt pour elle une certi tude. Le 23 octobre, la dame Pottier se rendit de bon matin l'abattoir, où elle avait affaire Maseray, de son côté, avait dû s'absenter; sa femme, dominée par son idée fixe, vint trouver le sieur Pottier et lui raconta les prétendues relations qui existaient entre sa femme et son ouvrier. Je sais, ajouta-t-elle, qu'ils se sont donnés rendez-vous, et si vous voulez me suivre, nous allons les surprendre. Le sieur Pottier, bien qu'il n'eût aucune raison pour douter de la vertu de sa femme, qui jouissait d'une ex cellente réputation, accueillit cette confidence, et, en proie une vive irritation, il suivit la femme de son ou vrier. Ils parcoururent quelque temps la campagne, et comme ils revenaient, ils apperçurent la dame Pottier qui s'était arrêtée dans une maison du village; elle était seule. Son mari courut aussitôt sur elle comme un fu rieux, il lui lança un soufflet. Pendant ce temps, la mé gère qui l'accompagnait vomissait contre cette malheureuse un torrent d'injures, et, ramassant un fort caillou, elle le lui jeta la tête ce qui a occasionné la blessure qu'on a constatée. C'est la suite de ces violences que la dame Pottier, indignée des soupçons dont elle était l'objet, s'est préci pitée dans la Seine. Quant aux bijoux qu'elle portait, ainsi qu'une somme de 15 francs qu'elle avait dans sa poche, il paraîtrait qu'ils auraient été soustraits après qu'elle a été repêchée. Une enquête se poursuit ce sujet. VARIÉTÉS. l'x dr ame maritime. Le Messager du Midi du 50 octobre raconte comme suit le naufrage de la Lucie, d'Agde, sur la côte d'Afrique. 11 en a recueilli les détails de la bouche même de l'un des trois hommes qui ont été les héros de cette lamentable histoire Le 27 juin dernier, le brick-polacre neuf, la Lucie, du port de 213 tonneaux, ayant huit personnes d'équipage, dont cinq d'Agde, y compris le capitaine V. Lavialle, qui le commandait, quitta, par un beau temps, le port d'Al ger, en lest, pour faire voile vers Gorée en Gambie, où l'attendait un chargement d'arachides en destination de Marseille. Le 13 dix heures du soir le temps était horrible, la mer menaçait de tout engloutir, l'eau pénétrait abon damment dans la cale. Plusieurs manœuvres pour opérer le renfloument furent inutilement tentées; les deux em barcations qui servaient ces opérations furent broyées contre le bord plusieurs hommes de. l'équipage faillirent même y perdre la vie. Exténués de fatigue, ils se décidè rent attendre le jour; quand il parut, un bien doulou reux étonnement s'empara de ces braves marins: la Lucie était échouée sur les côtes du désert de Sahara, qui était l'antipode de sa route. La mer était toujours furieuse. Cependant différentes manœuvres furent encore entreprises, mais sans résultat. Il fallut y renoncer et prendre une. autre détermination. Chaque homme fil un paquet de ses effets d'habillement; une voile servit h loger quelques provisions de bouche; on abattit le grand mât, et ce fut sur cette frêle pièce de bois que huit hommes, diversément chargés, arrivèrent sur la plage, non sans avoir bien cruellement souffert. A terre, le voile leur servit dresser une tente, et ils se reposèrent là de leurs longues fatigues jusqu'au 15 juillet au matin, où ils se mirent en marche, le deuil dans l'âme et les yeux pleins de larmes, en longeant la côte, pour Saint-Louis du Sénégal, éloigné de plus de cent lieues de l'endroit de leur naufrage. Le soir de la troisième journée de marche, leur pe tite provision d'eau-de-vie fut épuisée il fut alors convenu que l'urine commune serait recueillie dans une bouteille de verre, et, pendant quatre jours ce fut là leur seule boisson. Mais, le cinquième jour, la bouteille ne recevait plus que du sang... l'eau salée remplaça l'urine. Il y avait déjà huit jours que ces infortunés avaient dit adieu la Lucie; dans ce pays aride et de sable brûlant, rien d'hu main n'était encore venu faire rayonner l'espérance dans leur cœur morne et abattu. Néanmoins le capitaine La vialle ne cessait de faire entendre des paroles d'espoir et de consolation. Le neuvième jour au matin, le cap Blanc se présen tait leurs regards, quand ils virent deux Mauresques qui par des signes leur firent comprendre que tout près était une habitation où ils seraient favorablement reçus. Courage! s'écrient nos matelots, et ils se dirigent vers l'endroit désigné. Arrivés devant une misérable cabane, un Maure en sortit et les accueillit par des vociférations en faisant main basse sur une partie des rares provisions de bouche qui leur restaient encore. Les huit marins se laissèrent voler sans avoir l'énergie nécessaire pour op poser la moindre résistance. L'espoir avait fait place au découragement. Ils reprirent leur pénible marche et peu de distance de là ils furent opinément assaillis par une bande de Maures qui les dépouillèrent entièrement. Cette troupe se forma en rond autour d'eux, et ils furent ainsi conduits, au bruit des chants et des hurlements inin telligibles poussés par les femmes et par lesenfants, une tribu voisine. Arrivés là presque mourans, on les fit met tre genoux. Les petits Maures, excités par les femmes, leur jetaient pleines mains du sable dans les yeux. Une discussion des plus violentes éclata parmi ces sauvages, qui, érigés en conseil, délibéraient sur le sort de nos mal heureux. Les femmes surtout demandaient leur mort, et l'arrêt leur fut brutalement signifié. Vers le soir, il fut décidé la courte paille qui de vaient être livrées les victimes. Cependant, les femmes s'étant éloignées, les Maures, après les avoir frappés jus qu'au sang, par des signes leur firent comprendre de fuir. Us adressèrent momentanément une fervente prièreà Dieu, et, un bâton la main, se mirent en route sans savoir où ils dirigeaient leurs pas. n Après avoir péniblement cheminé pendant toute la nuit, notre caravane se retrouva, au lever du soleil, au bord de la mer; épuisés par la faim, la fatigue et la ma ladie, ces huit hommes se laissèrent tomber sur le sable et s'endormirent. A leur réveil, le capitaine Lavialle et trois de ces matelots se détachèrent de leurs compagnons de malheur pour aller explorer les environs et tâcher de dé couvrir une route moins semée. Hélas cette courageuse détermination devait avoir de bien tristes conséquences Ces quatre hommes dont trois sont d'Agde, ne sont plus revenus. Deux heures après leur départ, ceux qui restaient vi rent venir leur poursuite des Maures; ils se cachèrent, mais inutilement. Conduits une demi lieu de là, les femmes les accueillirent par les plus manvais traitements. La seule chose qui leur restait, la chemise, leur fut en levée; après une vigoureuse bastonnade, on les aban donna de nouveau. Vers le soir, des nuages précurseurs de la tempête, parcouraient en tous $ens l'atmosphère; le temps était affreux. Le mousse, le plus dangereusement malade de tous, mourut non loin de ses trois coinpaguons, qui pas sèrent cette terrible nuit d'orage littéralement enfouis dans le sable. n Au jour, ne voyant point revenir les hommes qui les avaient précédemment quittés, ils se décidèrent re tourner l'endroit du naufrage, dans l'espoir de trouver bord un peu de nourriture. Après quatre journées de marche, ils rencontrèrent les effets d'habillements qu'ils avaient répandu sur le chemin le jour de l'abandon de la Lucie; ils en recouvrirent leurs membres meurtris mais, au moment de continuer leur route, l'un d'eux tomba complètement privé de mouvement. Les autres, se voyant bien près du navire, et conséquemment du salut, redou blèrent d'efforts et de courage, et le cinquième jour ils se trouvèrent en vue de la Lucie, qui s'était considérable ment avancée dans les terres. Arrivés bord, la joie dans le cœur, nos deux nau fragés n'eurent que des pleurs verser. En leur absence, la Lucie avait reçu la visite des indigènes; il ne restait absolument rien dans la chambre, et il y avait dix jours qu'ils luttaient contre les affreuses angoisses de la faim! Dans un suprême désespoir, ils attendaient chrétienne ment la mort, quand l'un d'eux se souleva brusquement; il venait de retrouver du courage et de l'espoir. A une distance assez éloignée de la Lucie il avait distingué un point noir, presque imperceptible, immobile, qui lui pa rut être un navire l'ancre. Us quittèrent précipitam ment le navire et s'acheminèrent vers l'endroit où ils devaient rencontrer leur salut. En effet, peu peu la forme d'un navire, au mouillage se dessina visiblement devant nos deux naufragés. Us attachèrent leurs chemises nu bout d'un long bâton, et firent ainsi des signaux qui parurent attirer promptement l'attention de l'équipage: cependant aucune manœuvre de sa part n'annonçait qu'oïl pensa venir leur secours. Avec ce dernier espoir tombèrent leurs dernières forcesdesurexcitation fiévreuse; ils s'évanouirent. Toute fois le capitaine de ce navire, enfin convaincu que ces signaux de détresse n'étaient point une ruse de la part des indigènes, fit armer une chaloupe qui trouva, gisant sur le sable du rivage, les deux matelots peu près ina nimés. Les soins dont les hommes de la Lucie furent en tourés les rappelèrent la vie.... Le lendemain, le matelot resté en arrière était également recueilli. Ce navire, qui, par un miracle du ciel, venait de sauver nos concitoyens d'une mort certaine, appartient la marine marchande espagnole il s'appelle Adam, et est commandé par le capitaine Francisco Devega. 11 était la côte du désert de Sahara depuis quelques jours faire la pêche au poisson. ■i Le lendemain, complètement ranimés, les naufragés purent faire leurs sauveurs le récit de leur infortune, et de ce moment le brave capitaine espagnol ne voulut pas laisser sa noble mission inachevée: il espérait trouver le capitaine et les hommes qui n'avaient plus reparu, et pendant un mois les recherches les plus actives furent faites, mais hélas! sans résultat. A la fin quelque peine qu'il en éprouvât, il fallut y renoncer; ses devoirs vis-à- vis des propriétaires du navire et de la cargaison exi geaient impérieusement son départ. Pendant trois jours encore, son navire longea la côte en tous sens puis il fallut bien dire un dernier adieu au malheureux capi taine Lavialle et aux camarades qui avaient trouvé la mort avec lui. Le quatrième jour, l'Adam jeta l'ancre l'île Ca- narie là, présentés un Français, M. Alphonse Gourrier, nos trois compatriotes reçurent de sa part l'accueil le plus cordial. Le consul de France, M. Bertelot, pourvut leurs besoins présens. Nous lui devons de vifs remcrcîmens, ainsi qu'à M. Martin, négociant français. Vers la mi-sep tembre, ils furent embarqués pour Cadix sur un paquebot delà marine militaire espagnole; après une semaine de séjour dans cette dernière ville, où les soins les plus em pressés et les plus sympathiques les consolaient de leurs malheurs récens, les trois matelots prirent passage pour Marseille bord du brick le Civil, commandé par le ca pitaine Touchy, d'Agde. Le 12 de ce mois ils étaient ren dus Marseille, et deux jours après ils avaient le bonheur de pouvoir se jeter dans les bras de leurs familles qui ignoraient complètement le terrible drame dont ils avaient été les trop malheureux acteurs. Nous ne finirons pas ce douloureux récit sans don ner l'honorable capitaine Devega les éloges qui lui sont dus. Le souvenir d avoir sauvé trois hommes d'une mort horrible peut suffire un brave marin comme lui; mais la reconnaissance que nous lui devons attend pour lui, du gouvernement français, une récompense plus éclatante de sa noble conduite.

HISTORISCHE KRANTEN

Le Progrès (1841-1914) | 1849 | | pagina 3