r - renonçait toute sérieuse et durable sympathie. Qu'importait-il de rehabiliter la vieille langue des communiera, pour évoquer ce que le passé avait d'abusif et de condamnable? On n'émeut pas les masses en faveur d'un anachronisme. Il était absurde, d'ailleurs, de présenter la langue flamande comme un infaillible panacée de con servation nationale, car on disait parla anathème cette majorité de Flamands, hommes de cœur et d'intelligence, qui s'étaient habitués écrire et parler en français. En définitive, on s'est obstiné vouloir faire une entreprise exclusivement et égoïstement littéraire, et qu'il aurait fallu faire au seul point de vue social, c'est-à-dire, au point de vue des intérêts du prolétaire flamand. Se traînant de faute en faute, de déception en déception cet effort de renaissance flamande, le peuple de nos provinces eût pu en recueillir de beaux fruits, si les promoteurs de ce mouvement avaient su s'inspirer de quelque chose de plus haut qu'un principe négatif. On l'a vu partout où ces tentatives de réaction linguistique se sont mani festées, elles se sont heurtées des impassibilités ou des hontes on a essayé mille chemins, on s'est engagé dans milledirections, mais la grande et large voie "celle de l'élan démocratique de l'esprit de progrès, on ne l'a pas su trouver. Toutefois, tel a été, tel est encore en grande partie l'aveuglement des écrivains flamands, que l'inexorable stérilité de leurs efforts ne sem ble pas leur avoir été une suffisante expérience. Comprendra-l-on la fin que c'est folie de vou loir remonter le courant du siècle et que, mis sionnaires sans idées, les écrivains flamands se sont eux-mêmes condamnés une puissance que certains esprits croient incurables. Il sert peu au surplusde fermer les yeux sur la situation qu'on s'est faite, et de se conten ter de crier l'abatardissemenl des Flamands, l'indifférence du pouvoir, et que sais-je encore, la tyrannie walloue, aux iulrigues françaises. On a peu fait quand on s'est fait imprimer et applaudir l'étranger. Le temps n'est plus où la faveur et l'amitié des princes dispensaient des sympathies de la foule la tâche est plus vaste aujourd huic'est au peuple qu'il faut parler, c'est sa cause qu'il faut défendre là est la puis sance et le renom, là est l'esprit qui vivifie. Exécution dn comte de Bocarmé. Hier, à8henresdu matin, est arrivé par un exprès l'or dre de procéder l'exécution du comte Hippolyte-Visart de Bocarmé, ce fut M. le directeur de la prison que l'un chargea d'annoncer la fatale nouvelle au condamné. Bocarmé quand il apprit que son exécution était fixée au lendemain, manifesta un étonncinent profond, c'est impossible, s'écriait-il en versant des larmes abondantes, c'est impossible, l'on me donnera bien quatre ou cinq jours pour écrire S. M. La visite de M. de Marhaix, procureur du roi, qui ac- cornpagnéde son greffier, venait accomplir le dernier acte et l'Angleterre, avaient redoublé sa haine contre les enfants de cette première patrie. J'avertis mon père que cetie lettre me ferait maudire il ne me répondit que par ces mots Dans quelques mois tu seras libreet maîtresse de ton cœur comme de ta main. La croisade projetée contre les Hussites reçut une autre destination le comte passa en Ecosse, et je n'en entendis plus parler. Toul-à- coup, on apprit dans une sortie faite par la garnison de Berwik, assiégée par Douglas, plusieurs chevaliers de .grand renom avaient été tués, et, parmi eux, on citait le comte de Kcrvcn. Mon père voulut me cacher celle affreuse catastrophe, sa tendresgeredoubla de soins pourraoi, mais je fus bientôt maîtresse de son secret, et si je n'en suis pas morte aussitôt, c'est que Dieu me reservait une longue agonie et des expiations plus sévères. Tous les renseignements que nous fimrs prendre nous constatèrent la mort du comte, et j'ai porté le deuil de mon fiancé plus longtemps que ne le porte la veuve aimante et vertueuse. Mon pèré succombait lui-même sous son chagrin, ma langueur creusait sa tombe, la pau vre fleur, dont il voulait, sur ses vieux jours, respirer les doux parfums, était flétrie. Ses ambitions person nelles étaient jamais évanouies. Dans ma douleur, dans mon deuil, la piété filiale vint mon aide. Je crus employer le peu d'année» qui me restaient vivre au salut de l'âme de mon noble fiancé, en me sacrifiant au bonheur de mon père; et comme if hésitait m'ouvrir son cœur, me proposer d'épôuser le comte de Severn, je vins au-devant descs désirs, êt je m'offris de moi-même. J'avais vingt-six ans quand je m'agenouillai près de ion père dans celte même chapelle de Windsor, on j'avais engagé mon cœur... Enfant, tu devines ce que fat ma vie depuis ce jour. Le de sa pénible mission et faire connaître au comte le rejet de son pourvoi en grâce, lui enleva cet espoir. On mit au comte la camisole de force. Il y eut alors dans cette nature si énergique un instant d'affaissement, en proie une sorte de crise nerveuse, le comte, travers ses sanglots, laissait échapper des plaintes contre la sévérité de l'arrêt et protestait de son innocence, embrassant ses gardiens, et leur disant Vous, du moins, vous ne m'abandonnez pas. a M. Descamps, le vénérable doyen de S"-Waudru qui depuis trois semaines ne cessait de lui apporter les con solations de la religion, se rendit immédiatement auprès du condamné, pour l'exhorter la confession. Ses vives instances furent inutiles, Bocarméroulait, disait-i), un homme du désert, un prêtre étranger qui n'eût pas de relations Mons. L'on se disposait aller réclamer l'assistance d'un frère rédemptoristc, quand Mgr Purcel, archevêque de Cincinnati (Amérique) de passage en notre ville, s'offrit, pour assister le condamné ses derniers moments. Bocarmé manifesta une vive satisfaction quand il apprit qu'il allait recevoir la visite d'un prêtre amé ricain. Le condamné devenu tout fait calme et ayant appris son impassibilité première, dicta plusieurs lettres sa mère, ses enfants, sa femme, et eut une courte con versation avec M. Matthcys, le médecin de la prison, qui il demanda si la mort était instantanée et si le sup plicié ne souffrait plus. On a vu, disait-il, des exé cuteurs obligés de s'y reprendre. A cette idée une profonde horreur se manifesta sur ses traits. Dans l'aprè.s-diner il avait recouvré tout son sang froid. Le soir il s'entretint longtemps avec Mgr. Purcel qui le confessa et resta auprès de lui toute la nuit ainsi que MM. Descainps, doyen de S"-Waudru et M. l'aumonier de la prison, quatre heures il communia la chapelle dans un recueillement profond et rentra dans sa cellule avec le plus grand calme. Puisse cet accomplissement des devoirs religieux, être une consolation pour cette pauvre mère qui écrivait, il y a deux jours, M. le doyen de S'-Waudru: Faites qu'il meure en chrétien et vous me sauverez la vie. Lydie Fougnies a de son côté écrit l'un de ses défen seurs le priant de faire signer MM. les jurés une re quête en grâce, c'est là, disait-elle, le seul moyen qui puisse maintenant le sauver... Il n'était malheureusement plus temps. A 7 heures précises, le condamné montait dans la voiture cellulaire accompagné de Mgr. l'archevêque de Cincinnitict de M. le ehanoinc Descamps qui ont accom pli leur pieuse tâche jusqu'à la fin. A 7 heures, et quel ques minutes, la voilure escortée par la gendarmerie débouchait sur la Place encombrée par une foule com pacte, dans toute la partie avoisinant les rues d'Havré, de la Coupe, de la Chaussée et des Clercs. La uouvelle de l'exécution du comte, arrivée dans no tre ville hier, vendredi, (jour de marché) s'était rapide ment répandue dans toutes les communes environnantes, cependant le rejet du recours en grâce a été si prompt, que peu de campagnards ont pu assister l'exécution. Bocarmé est descendu de voiture sans manifester la moindre agitation, quoiqu'il fût extrêmement pâle. Il s'est entretenu pendant près d'une minute au pied de i'écbafaud avec les honorables ecclésiastiques qui l'ac compagnaient, et lorsqu'un des aides voulut lui ôter sa robe de chambre: ne vous pressez pas, lui dit-il, j'ai tout le temps. Il s'arrêta un instant au pied de l'échafaud, contempla le couperet fatal, et un rire, un rire qui fesait mal voir, vint contracter ses traits, puis toujours calme et impassible, il monta les dégrés. Son courage ne s'est pas démenti une seconde, et au moment même où l'exécuteur le liait, il avait encore la force de lui dire C'est inutile, ne serrez pas si fort. Dn instant après il avait cessé de vivre. devoir et la reconnaissance m'ont fait l'esclave et la com pagne fidèle de mon époux. L'ainour et le souvenir m'ont constamment uni mon fiancé. Tu naquis dans la quatrième année de mon mariage, et quelque temps après ta naissance, j'appris que le comte vivait au château de Kerven en Normandie, près de Cou- tances; il avait fait répandre lui-même le bruit de sa mort et s'était mis l'écart, loin du monde qu'il avait pris en horreur et qu'il avait juré de ne plus fréquenter. Le comte s'était marié deux ans après moi, sa femme était morte en donnant le jour un enfant qui est aujourd'hui, dit-on, le digne héritier des vertus et des brillantes qualités de la race des Kerven. Le respect que je devais ton père et ton berceau, me défendit de me disculper vis-à-vis du comte qui m'a chassée de son cœur et a inaudit ma mé moire Amante passionnée, je devais être épouse et mère également irréprochable, cl je meurs victime de ma propre vertu, victime du devoir, victime de mon amour Enfant, plains-moi, oh plains-moi j'ai pu, sans rien trahir, être instruite de ce qui se passait Kerven; le comte y mène une vie d'exil et se consacre son fils, ne trouvant de consolation qu'en lui, comme je n'en ai trouvé qu'en toi Je n'ose m'ouvrir toi pour le vœu qui remue les souvenirs et colore les joues d'une mourante il faut toute ma confiance en toi, et tes qualités naissantes, en (a pure virginité, pour que je puisse tracer ces derniers mots... Lis-les par pitié pour mes douleurs Fais des recherches pour savoir ce qu'est devenu le jeune Henri de Kerven, lâche de le reconnaître, et j'espère que Dieu mettra dans nos deux cœurs l'une des vives étincelles qui ont consumé les nôtres Vous serez libres tous les deux, jeunes tous les deux l'immense fortune que je te f - i Le drame sanglant qui vient de ae dérouler tout nos yeux a produit sur nous une impression que la paroi* est impuissante décrire, nous a fait éprouver un senti ment de douleur indicible et d'amertume profonde. Bien des voix éloquentes ont protesté au nom de l'humanité et de l'équité contre cet acte terrible de la justice hu maine, mais aucune n'était plus doulonreusement con vaincue que la nôtre. On ne saurait trop, dit-on, punir ces grands coupables dont les forfaits viennent frapper In société d'étonnement et d'épouvante. Mais y a-t-il expiation là où il y a peine place pour le repentir. Nous le disons dans toute la sincérité de notre âme et sous le ppids de l'horrible scène laquelle nous venons d'assister: Non, la peine de mort ne satisfait pas la jus tice humaine, non elle n'est pas digne d'un peuple civi lisé, non, l'agonie d'un jour, la longue et cruelle agonie de cet homme dont la tète vient de rouler sur l'échafaud, n'est pas un châtiment légitime infligé par la société un de ses membres, c'est un acte de vengeance que nou3 regrettons de voir encore inscrit dans nos lois. Est-ce un exemple? Nous avons vu Bocarmé s'entrete nir avec les ecclésiastiques qui l'accompagnaient, avec les exécuteurs, nous l'avons vu rire la vue de l'instru ment de son supplice, nous l'avons vu déployer une incroyable force d'âme pendant que son agonie se pro longeait au pied de l'échafaud, et pendant ce temps la foule était-elle muette et recueillie en présence de l'épouvantable scène dont le dénouement devait être la mort d'un homme? La foule brutale et stupide riait et se répandait en lazzis et en quolibets. Voici les nouveaux renseignements que nous avons pu recueillir et qui compléteront les détails que nous avons donnés hier. Bocarmé, après l'instant d'affaissement qui suivit en lui la fatale nouvelle, recouvra, comme nous l'avons dit hier, tout son calme et sa fermeté ne se démentit plus guèrrs jusqu'au lendemain matin. Au dîner, il mangea avec appétit, on lui servit une soupe au lait, des petits pois, deschoux fleurs, et des cerises dont il mangea toute une livre. Quelques journaux ont annoncé que M"" de Bocarmé a vu son fils dans la soirée de vendredi, ce bruit n'a aucune espèce de londement. M""* de Bocarmé a en effet traversé Mons, se rendant directement Paris, pour se diriger ensuite sur Milan (Italie), mais elle ne s'est pas arrêtée en notre ville. Quantà Lydie Fougnies, femme Bocarmé, elle est partie de Bruxelles jeudi soir, deux jours avant l'exécution. Elle se rend en Allemagne où elle veut garder le plus strict incognito. Elle doit être en ce moment Cologne cachée sous un nom d'emprunt. Le bruit s'est répandu que MM de Bocarmé doit venir habiter Mons, le correspondant d'un journal brux ellois dit méinc avoir vu, près du Parc, la maison qu'elle doit occuper, cette nouvelle est tout simplement absurde. Mais revenons au comte. 11 a, jusqu'à la fin gardé le silence sur les faits qui ont amené sa condamnation et naturellement les respectables ecclésiastiques qui lui tenaient compagnie se sont montrés fort réservés cet égard et n'ont pas cru devoir lui adresser de questions. Lorsque le comte s'est confessé, il a exigé que tous les gardiens s'éloignassent et n'a consenti parler que lors que M. le doyen Descamps se mettant en sentinelle, la porte de sa cellule, lui a donné l'assurance que personne ne pouvait l'entendre. Bocarmé vit dans la chapelle, lorsqu'il entendit la messe, une daine en dueil,qui priait avec ferveur. N'est- ce pas ma femme? dit-il un des gardiens c'était mada me Godding, épouse du directeur de. la prison. A celte nouvelle il y eu dans ses traits une légère contraction. L'aspect de la ville était hier dans la matinée, sauf une certaine animation dans les rues, le même que tous les autres jours. laisse, réparera les pertes éprouvées par le comte... Je vous donne de mon lit de mort ma bénédiction, chers enfants; je te donne, ma douce Marguerite, au fils de mou fiancé; mes yeux en se fermant sur ton visage enchanteur, mon âme en remontant Dieu... me disent que vous vous aimerez, Henri, comme aima votre père; toi, bel ange, autant qu'aima ta mère. Le comte de Kerven avait achevé celte lecture au milieu des larmes et des sanglots. Margaret, ;A:ncliée sur l'épaule de la marquise, paraissait mourante; Jeanne, le front baissé, essuyait les pleurs de son amie et les siens; le vieil intendant s'était prosterné aux pieds de son maître et mêlait ses soupirs cette scène douloureuse. Le comte éleva la voix après un long silence La duchesse de Severn n'a plus besoin d'être jus tifiée pour moi, qui ne saurais rien ajouter ce que vous venez d'entendre; lord Rutland fut pour nous la fatalité; il se Qatta d'avoir fait impression sur ma noble Margue rite, me fit d'odieux mensonges, ne me rapporta pas son dernier entretien avec mademoiselle de Lincolnvotre mère vénérée, et me montra, comme preuve de son intel ligence avec elle, le portrait qui m'était destiné. Je lui offris le combat; il était braveaccepta et fut tué. L'in fâme, en expirant, voulut se venger, et me confia que le duc de Severn devait épouser la jeune fille dont j'étais follement épris et que ce mariage était ardemment désiré par elle. Les paroles des mourants sont graves quand l'Ame touche l'éternité il semble qu'elle ne doit pas mentir. Et cependant, vous l'avez entendu, tout était calomnie. La lettre dictée par lord Lincoln m'avait rempli de haine et de dégoût pour la plus noble des créatures Je fis ser ment de ne plus la voir, de ne plus lui écrire et de la fuir.

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Le Progrès (1841-1914) | 1851 | | pagina 2