JOURNAL D'YPRES ET DE L'ARRONDISSEMENT. N°1,SSC. 19* Année. Dimanche, 5 Février 1854. Vires acqumt eundo. UNE NUIT EN BATEAU A VAPEUR. ABONNEMENTS: YrnES (franco), par trimestre, 5 francs 50c.Provinces,4francs. INSERTIONS Annonces, la ligne i 5 centimes. Réclames, la ligne 50 centimes. Le Progrès paraît le Jeudi et le Dimanche. Tout ce qui concerne le journal doit être adressé l'éditeur, Marché au Beurre. On ne reçoit que les lettres affranchies. ïpres, -A février. Depuis cette semaine, les distributions de soupe se font gratuitement non-seulement aux indigents inscrits sur les listes des établisse ments charitables, mais la classe ouvrière qui, par suite de la cherté des denrées alimentaires, se trouve dans une position gênée. La vente du pain prix réduit est organisée l'Hôtel-de-ville, et on donne pour vingt centimes, le pain qui doit en coûter trente, d'après la mercuriale. Six mille pains par semaine sont débités de celle façon, ainsi que plus de quatre mille ra tions d'une soupe substantielle et plus nourris sante que les aliments dont la classe indigente avait l'habitude de faire usage. Ajoutez ces mesures extraordinaires, que le temps s'est ra douci et a permis beaucoup d'ouvriers de reprendre le travail. On peut donc espérer que les dures épreuves que l'hiver fait subir notre population ouvrière, sont allégées et que leur durée sera moindre qu'on n'eut dû le craindre, quand le froid sévissait avec tant de rigueur. Jeudi, a eu lieu l'Hôtel-de-ville, le tirage au sort pour les miliciens. Ce jour est d'ordi naire une occasion pour bien de jeunes gens de se livrer avec excès la boisson. Les uus qui ont tiré un mauvais numéro, essaient de s'étour dir, les autres, qui le sort a fait écheoir un numéio élevé, s'enivrent par excès de conten tement. Toujours est-il que c'est une journée de dissipation et nous n'avons pas remarqué que dans les circonstances actuelles, la détresse de la classe pauvre ait diminué le nombre de jeunes miliciens qui se sont adonnés ce jour-là des libations par trop abondantes. Le concert qui devait avoir lieu Wervicq, au profil des indigents, a fait un fiasco complet grâce l'inconcevable maladresse de la société de musique. Guidés en effet par un de ces sen timents de haineuse défiance qui distinguent nos adversaires politiques, les chefs de celte société avaient décidé, que le produit de celle fête serait distribué des pauvres'honleux, par l'intermédiaire du clergé, l'exclusion du bu reau de bienfaisance et de l'autorité communale. Il y avait là, pour l'autorité civile, un mépris Jamais je n'ai entrepris un voyage de cent lieues seule ment (je ne parle pas de voyage en chemin de fer) sans avoir lait les plus étranges rencontres. Pour ne pas re monter plus haut, il y a quelques mois, me rendant Marseille, je pris Lyon le hateau vapeur du Rhône. En m'embarquant, je jetai un coup d'œil sur le pont, pour voir si je n'y rencontrerais pas quelqu'un qui me pût rendre la roule moins longue par une échange de bons souvenirs. Je n'y reconnus personne. Alors, je pris le parti de ne converser qu'avec moi-même et d'observer tout le inonde. Cependant, il y avait sur le pont quelques-unes de ces figures que l'on n'est pas absolument sûr d'ignorer, parce qu'elles sont des caractères, parce qu'elles sont des type*. Il y avait d'abord un homme d'une soixantaine d'années, que les moindres pierres de la Rive du Rhône semblaient vivement préoccuper; on eût dit qu'il fouillait le sol du regard il était facile de distinguer en lui un vieux chroniqueur, d'autant qu'il tenait un volume d'ex térieur assez ancien sous le bras. Marchant grands pas sur le pont, la tète et les yeux baissés, et paraissant réfléchir, il y avait aussi un homme jeune encore, aux lèvres fines et au sourire quelque peu sardonique; il Voyait, il observait tout mieux que moi-même, sans pa raître rien regarder. De temps autre il adressait, en qui devait émouvoir l'opinion publique aussi la population entière s'est abstenue daller la fête, au point que la recette paraît ne pas avoir dépassé la somme «le soixante francsHeu reusement les pauvres n'ont rien perdu, grâce la générosité de M. le Bourgmestre, qui a fait remettre une somme de trois cents francs M. le Receveur du bureau de bienfaisance. Nous espérons que cette leçon profilera la société de musique de Wervicq et lui prouvera une fois «le plus, qu'il ne suffit pas toujours de se cacher sous le voile de la religion ou de la charité, pour répandre la désunion et la discorde. L'opinion publique s'éclaire de jour eu jour et elle commence reconnaître l'intrigue et la dissimulation sous quelque masque qu elles se déguisent. ■-i» c n On nous demande l'insertion de la lettre qui suit Monsieur l'éditeur, Lorsque vous annonciez au public, par l'organe de votre journal, que des soirées musicales seraient organisées au café le Saumon et que le produit des quêtes serait affecté au soulagement des infortunes, vous comptiez sur le concours de nos concitoyens, pour rendre ces soirées brillantes et fructueuses pour les pauvres. Vous n'avez pas été déçu dans votre espoir et les efforts de MM. les organisateurs n'ont pas été stériles. Un auditoire nombreux se pressait Mercredi dr, dans le local du café et le pro duit de ces deux premières soirees, s'est eleve la somme de plus de soixante onze francs. Au milieu des calamités universelles, où la cherté des vivres est excessive, où tous souffrent, depuis le pauvre qui n'a pas suffisamment de quoi se nourrir et se chauffer, jusqu'aux familles habituellement aisées et qui, lorce de sacrifices, n'occupent plus le même rang de bien-être qu'auparavant, l'âme se rejouit de voir combien chacun s'empresse de venir au secours de tous. Aussi l'époque où nous vivons, plus que jamais on peut constater l'immense pas tait depuis la rénovation sociale des temps modernes, dans la voie du progrès. Autrefois la charité, la philantro- pie, les actes de bienfaisance s'exerçaient presqu'ex- clusivement dans le monde clérical et monastique. C'était le temps où tout était dans l'eglise et tenait l'église. Aujourd'hui la société laïque, einancipee de lo ute tutelle et de toute entrave, fait ses affau es elle-même qui n'en marchent qued'autanlmieux passant, quelques monosyllabes au capitaine du navire, garçon d'esprit fort aimable avec lequel il semblait être, de connaissance. Tout cela d'ailleurs était d'un calme parfait, quaml voilà que sort de la chambre des voya geurs, comme d'une écoulillc, le personnage le plus bizarre, le plus fantastique qui se puisse imaginer. Je n'avais jamais vu homme aussi drôlement costumé si^ce n'est le comte de C..., ce spirituel compilateur qui I on doit les mémoires de cerlaii e marquise, lorsqu'il s en fouissait, nouveau malade imaginaire, aux Néolhcrmes, sous deux châles, sous un béguin do vieille inère, et, en vérité, presque sous des jupons. Le personnage dont j«; parle n'avait pas, il est vrai, de jupon mais sa tète, qui ne laissait apercevoir que quelques brins de chevelure et de barbe légèrement ardents, s'enveloppait d un mirage de fagots de soie, qui jaune, qui rouge, qui bleu la tête se serait perdue sous la draperie, sans je ne sais quel œil d'un bleu clair étincelanl, quel rire piquant et curieux. Le corps était au pair de la tète, tout... je ne sais quel mol employer, tout emberlificoté (pardon de la vulgarité), tout emberlificoté de vieux burnous blancs, surchargés d'un manteau vert troué autant par des balles que par la vieillesse. Les pieds semblaient être fourrés dans plu sieurs mannequins c'étaient des bottes molles de Maroc, des babouches, des myriades de choses les unes dans les autres. 11 est juste de dire qu'il tombait une de ces pluies fines et froides qui percent. Notre personnage était eu et a arraché, comme maintesautres choses, de ses anciens détenteurs, un monopole, qui, sous les mains du monachisme, ne servait qu'à alimenter la mendicité et maintenir la dégradation humaine. Que voyons-nous actuellement Au moment où la société traverse de rudes et terribles épreuves pour la plus grande et la non moins intéressante partie de ses enfants; pendant que les couvents quêtent pour eux-mêmes, le clergé pour les petits chinois et les confrères de Bade dont nous n'avons que faire, dans toute la Belgique, il n'y a qu'un élan qui transporte toutes les classes de la société, riches, bourgeoises et moyennes, c'est de venir au secours des souffrances, de la misère et de la faim. C'est un beau et consolant spectacle qui prouve que l'égoïsme n'est pas aussi enraciné que plus d'un esprit observateur se l'était figuré et qui promet et encourage pour l'avenir.Nous ne voulons, pour le moment parler que de ce qui se passe sous nos yeux. Jusqu'à ce jour nous n'avons eu qu'à nous louer de l'empressement des habitants en général pour payer chacun sa part de dette l'humanité souffrante il nous répugne de signaler les hon teuses exceptions, d'ailleurs suffisamment connues. On connaît déjà les résultats des diverses sous criptions, des quêtes, du beau cadeau fait par M. Chantrell, dont la philanthropie est sans égale, de l'abandon d'une demi-journée de solde fait par MM. les officiers, sous-officiers et soldats de notre gar nison, mais ce qui. mérite dans l'occurence d'être particulièrement signalé t'adiniaàfralion descœurs bien nés, c'est la conduite dont on ne peut parler en termes assez louangeux de quelques mes sieurs, amateurs de musique Courtrai. Nos phi lanthropes voisins se sont déplacés pour venir chanter au profil de nos classe* nécessiteuses. C'est là un acte de bienfaisance sans précédent. Il est d'autant plus surprenant qu'il contraste avec la con duite de la plupart des personnes appartenant la classe la plus riche et la plus aisée, lesquelles ne se sont pas encore donné la peine de se déranger quel que peu pour se rendre seulement la rue des Étu diants et cela, comme l'à si bien dit un concitoyen, M. A. D., dans des couplets de circonstance, pour goûter du plaisir d'être ensemble et jouir d'une agréable soirée. Honneur, reconnaissance et admi ration pour nos généreux voisins, lesquels ne recu lent pas devant un voyage de cinq lieues, des dépen ses de toutes sortes et les fatigues d'une soirée bien remplie. Qu'il nous soit permis de remercier ici, au nom des pauvres, MM. les organisateurs de ces soirées. L'empressement qu'a mis le public répon- conséqucnce très-précautionné. Mais, malgré son attirail, il n'en était ni moins dispos, ni moins preste; il allait, il courait, il voltigeait. Du reste, s'il ne connaissait pas tout le monde, on ne s'en serait pas douté voir son intimité apparente et fort aimable avec chacun. Il n'y avait que moi qui le dépitais par mon silence cal culé (il ne s'en doutait pas) justement pour mieux le connaître. Il s'approcha de l'homme la tête inclinée et douce ment sarcastique dont j'ai parlé, et je l'entendis qui lui disait en me désignant Il ne parle pas, mais je vais bien le faire parler, moi. Il s'imagine que nous ne nous ennuyions pas assez par ce temps de chien, pour que tout le monde, lui comme le reste, ne se prête pas la conversation. Et comme il disait, il s'approcha, et sans plus «le façons: Monsieur, dit-il, je suis presque sûr d'avoir le plaisir devons connaître; je vous ai certainement vu plusieurs fois, Paris, au café cfOrçay où allaient ordi nairement les officiers de mon régiment. Si vous me regardiez bien, je parie que vous me reconnaîtriez. Qui est-ce qui ne connaît pas le commandant Maroubat, un vieil Africain comme moi qui me suis battu comme un diable, et qui n'en suis guère plus avancé, pour ne pas moins aimer le franc-parler que le bien combattre. Le nom était dit; c'eût été plus qu'impoli de paraître ignorer le commandant Maroubat, brave fils d'un brave

HISTORISCHE KRANTEN

Le Progrès (1841-1914) | 1854 | | pagina 1