JOURNAL D YPRES ET DE L'ARRONDISSEMENT.
W 1,613. 16" Anncc.
Jeudi, 16 Octobre 1856.
LE MARKGRAVE DES CLAIRES.
feacqtfiri
ABONNEMENTS
INSERTIONS
TS Ypres (franco), par trimestre, 5 francs 30c. —Provinces,4francs, f I.e Progrès paraît le Jeudi et le Dimanche. Tout ce qui concerne le journal doit
Annonces, la ligne 15 centimes. Réclames, la ligne: 50 centimes. être adressé l'éditeur, Rue au Beurre. On ne reçoit que les lettres affranchie*.
Ypres, 15 Octobre.
II y a peu d'années, Sa nation élevait un mo-
nument ce Congrès qui la dotait de toutes les
libertés compatibles avec l'ordre; aujourd'hui
un parti qui, en 1830, criait sur tous les tons
liberté en tout et pour touscombat hardiment
les libertés inscrites dans la charte de 1831,
charte qui n'est ses yeux qu'une oeuvre de
circonstance.
Il y a peu de mois, la Belgique entière célé
brait avec enthousiasme le 25® anniversaire du
règne d'un mouarque chéri, qui avait donné
aux Belges un quart de siècle de bonheur et de
càlroe, aujourd'hui ce même parti ayant pour
chefs des ministres de paixvient brusquement
rompre le calme dont jouissait la nation et ré
chauffer des passions politiques peine attiédies.
Notre petite ville elle-même, si longtemps
agitée par des luttes d'autant plus vives, que
l'arène est plus circonscrite, jouissait de quel
que repos, le temps des débats orageux, des
polémiques irritantes, semblait passé. Chacun
conservait son drapeau sans doute, maison ne
se faisait plus la guerre, une trêve tacite Sem^
blait conclue. Aujourd'hui qui osten
siblement, mais Fallacieusement, prend pour
devise modération et conciliationentonne de
nouveaux chants de guerre, car la paix est
insupportable ces hommes soi-disant 'pacifi
ques, et qui appartiennent l'église militante
Eh bien! soit; provoqués la lutte, nous
lutterons, mais constatons d'abord, que si l'ar
mistice cesse brusquement, - ce n'est pas nous
qui avons les premiers repris les armes. Toute
la responsabilité cet égard retombe donc sur
le clergé, qui sème la discorde partout où il ne
règne pas en despote. i
Dans son numéro de Samedi, Il Octobre, le
Propagateur publie une réponse notre article
du 2 du même mois. Le rédacteur accidentel
du journal affirme ex cathedrâ et d'un ton offi
ciel, que le collège communal et l'école moyenne
d'Ypres sont frappés par le mandement de le-
vêque de Bruges.
I.
LÈS BOIS D'UBIA.
(suite.)
Personne ne répondit ce cri mais au bout de quel
ques instants l'eau de Broeklandt clapota contre les riva
ges et l'on vit une barque montrer sa proue noire et
pointue l'angle vert d'une crique.
Arrives-tu, Jéroboam! cria le markgrave avec une
expression de mécontentement. Jeroboain n'est sans
doute pas sur la claie, seigneur, répondit une voix rude.
Ah! c'est toi Niberu dit le markgrave. Oui, sei
gneur, répondit-on.
Et, au même instant, un vieux lourbicr, dont la barbe
blanche inondait la poitrine, (toussa la barque au rivage
d'un seul coup d'aviron, et l'amena juste en face du mark-
grave. Niberu paraissait avoir environ quatre-vingts ans,
mais sa tête se tenait encore haute et droite sur ses ro
bustes épaules, et les années n'avaient point effacé l'ex
pression rude et farouche de ses traits.
—Allons, Niberu, interrompit le markgrave, en avant!
j'ai hâte d'être sur l'autre bord du Broeklandt.
Mais, au lieu d'obéir, le vieux tourbier enfonça son
aviron dans la bourbe, croisa les deux bras dessus, et
considérant son chef avec un air de mauvaise humeur
Seigneur, lui dit-il, quoi bon mettre le pied dans
Nous avions posé une question, nous rece
vons une réponse claire et oetteç jusque là tout
est parfait. Mais ce qui l'est beaucoup moins,
c'est que Uauteur de l'article, sans doute par
esprit de charité, saisit avec empressement celte
occasion pour dénigrer les membres du conseil
en général et spécialement ceux tj'enlr'eux qui
ont accepté la difficile et délicate mission de
négocier avec le chef du diocèse. Ces délégués
du conseil se sont conformés au mot d'ordre
donné par le grand Orient de Bruxelles... Il
leur était enjoint de multiplier l«s obstacles...
Pauvres esclaves ils ont obéi Letir mauvaise
foi est donc flagrante
Nous nerépondpnspas aujourd hui l'article
du Propagateurcar nous apprenons que des
interpellations seront adressées dans la pro
chaine séance du Çonseil (Vendredi, 17 c', 3
heures), aux trois çonseifiers qui-put si étran
gement forfait leur mandat!. Nous n'antici
perons pas sur ces interpellations Q. explications
qui seront publiques et que nous nous réservons
de publier et d'apprécier.
Mil. 'il'
Monsieur l'éditeur,
A une époque où des citoyens ecclésiastiques cen.
siirent sans merci l'enseignement que donnent les
laïcs dans les chaires académiques, ne serait-il pas
permis .un citoyen laïc dé faire quelques observa
tions sur l'epseigpementsinon dogipatiquedu mpifis
pratique, que donnent certains ecclésiastiques dans
les c ha ires catholiques. Je me posais celte question
Dimanche, en sortant de l'Église S'Martin. Je venais
d'assister un de ces sermons qui font l'impression
la plus fâcheuse sur les coeurs si impressionnables et
les imaginations si vives de ces intéressantes créatu
res qui, sans être adultes, né sont plus enfants. Je
venais' d'entendre une instruction religieuse qui,
d'après moi, instruit trop et disperse eu un temps
et deux mouvements, tous les trésors de morale
qu'une éducation de la force de vingt-cinq «aioles
peut permettre de capitaliser en dix ans.
Un jeune vica,(çe venait d'expliquer et de couj-:
monter en homtne expert et plein de son sujet, le
sixième commandement de Dieu, sujet scabreux s'il
en fut et que de grands orateurs seuls peuvent trai
ter sans danger.
la plaine? J'ai bien connu votre père; il est actuellement
au ciel, et c'était un homme, celui-là, on peut le dire.
Niberu ôla son bonnet en signe de respect, C'était
un rude chasseur, et j'ai truqué des luups plus d'une fois
pour lui; oh bienl jamais le vieux markgrave, comme
nous le nommions, nous autres gens de^ claires, n'a dé
passé la limite du Broeklandt, si ce n'est une fois l'an,
pour aller dîner là-bas au couvent avec l'ubliesse du
Verger et le prieur d'Encbin. 11 faisait en cela preuve de
piété, car l'abbaye paie une redevance aux comtes d'Oisy,
et le vieux markgrave n'aimait point tout ce qui sent lcS
perruques poudrées et les manchettes de dentelle.
Fort bien, répliqua le markgrave en perdant pa
tience, mais voici bien des mots pour rien... Jéroboam
m'aurait déjà déposé sur l'autre rive. Jéroboam est un
innocent, répondit le vieux tourbier, et ii ne peut com
prendre toutes ces choSes-là. Allons, assez parlé!
s'écria le markgrave en fronçant les sourcils.
Et d'un bond il s'étança dans la barque que cette vio
lente secousse fit éloigner de la rive.
On ne peut empêcher un entêté d'agir suivant son
caprice, murmura Niberu en tirant son aviron de la
bourbe.
Il s'assit alors sur son banc et commença faire mou
voir les rames avec une vigueur qu'on n'aurait pas atten
due d'un vieillard aussi avancé en âge. Il chantait en
ramant une complainte monotone et bizarre écrite en
Ne vous attendez pas une analyse de l'Hornérie
prononcée par noire vicaire,
Ce qu'il prêchait je pourrais vous le dire
Mais je me (aispour né pas m'égarerjjdans la
véie où il s'est embohébé pendant vingt minutes.
J'ai vu cependant, je dois le dire, des frottis rougtY,
j'ai vu briller des regards ardents et interrogateurs.
Que doit éprouver^ en effet, la jeune fillette quand
ipour la première fois, elle entend retentir ses
oreilles, ces mots sonores qu'elle ne comprend p®»
et qui cependant l'émeuvent et l'inquiètent, parce
qu'elle cherche les, comprendre. Çt je jeunç lati
niste, eti rentrant du sermon pour se remettre
l'étude, ne s'empressera-t-il pas de recourir son
dictionnaire, podi*' comprendre le sèbs'du fameux
précepte répété vingt fois'en vingt minute^: fugiis
fornicaA h! Monsieur l'éditeur, daignez m'épar
gner le reste. A .f- -W5Ï'41 .'Î.2.1IY
Je n'ai pasda pvétentiart, comme Gros-Jpan, d^en
remontrer mpn curé, mais je crois pouvoir dire
que des sermons sur pareil sujet peu vent être excel
lents dans une congrégation de dames repenties, qui
ont beaucoup faire oublier et rien 5 apprendre,
mais qu'ils sont dangereux devant un auditoire
composé de personnes de l'un et l'autre sexe et
d'âges différents.
Du refte, que roqn prédicateur se tranquillise, je
n'irai pas', comme d'autres, Iç jjire Rome; j'ai, je
l'avoue, confiance ponç. ['avenir en son goût exquis
et son tact parfait l'endrqit des choses les plus dé
licates, et pourtant s'il éprouvait un jouy le besoin
de donner une seconde édition de.sa pastorale,
j'espère qu'il voudra biçn en piévienirses paroissiens,
il aura l'avantage de partager avec Saint-Jean prê
chant dans le désert, les honneurs d'une décente
solitude.
En censurant l'enseignement de l'Etat, nos abbés
remplissent, disent-ils, un devoir clérical; eo faisant
les observations qui précèdent, je remplis un devoir
paternel. Mon prêcheur qui remplit son Clérical de
voir avec un zélé extrême, me pardonnera la liberté
grande que je prends -à son égard j'use d'un droit
et j'ai pour moi le poète qui a dit Par pari refertur.
Il r tm IIf-
Il y a toutefois un mensonge débité par le
Propagateur que nous vbulons signaler, parce
que la mauvaise foi du concurrent déloyal doit
être appréciée par l'opinion publique et que le
charlatanisme, pour être clérical n'en est pas
langue flafnande, et,dont le refrain saccadé lui servait,
de mesure pour fermer et déployer les rames. Lorsque la
barque effleura les premiers roseaux du rivage, le jeune
markgrave sauta lestement ferre et, se tournant vers
Niberu:
Tiens, mon vieux, lui dit-il en lui jetant un écu de
six livres, voici de quoi acheter une cruche de genièvre
que tu boiras nia santé. Merci, seigneur, répondit le
tourbier en ramassant lentement la pièce d'argent. Je ne
vous avais rien demandé, et ie vieux markgrave votre
père ne m'en a jamais donné autant d'un seul coup.
Le markgrave était déjà trop loin pour faire attention
ces observations, elle vieux tourbier continua en bran
lant la tète
C'est un signe de fâcheux augure lorsqu'un jeune
homme dédaigne les avis d'un vieillard,et ne tient plus
même l'argent.; Il faut qu'il soit alors poussé.par un
génie malin oit qu'il ait été regardé d'un mauvais œil...
11 tourna ensuite la'piçce entre ses doigts avec hésita
tion, puis la lançant soudain loin de lui au milieu de
l'eau, il murmura d'un ton boudeur
il a eu tort de me la donner, et j'aurais tort de la
prendre, car je ne l'ai pas gagnée.
Saisissant alors ses deux raines, il se courba en avant,
poussa au large et regagna rapidement les rives septen
trionales du Haut-Broekla'ndt. Pendant ce temps-là, le
markgrave s'était avaucé dans h plaine. Il traversa