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JOURNAL D'YPRES ET DE L'ARRONDISSEMENT.
1,8.52. 18e Année.
Dimanche, 3© Janvier 1859.
Vires acquinteunào
LE PROCIES
ABONNEMENTS Ypbes (franco), par trimestre, 3 francs 50 c. Provinces,4 francs. I Le Pbogbès parait le Jeudi et le Dimanche. Tout ce qui concerne le journal doit
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Ypre», 39 Janvier.
A propos (lia rapport
de la Commission Flamande.
Suite et fin.)
De quoi ae plaignent les Flamandsdont les neuf
commissaires se font l'organe? Noua le verrons
l'instantmais d'abord faisons remarquer l'étrange
composition de ce comité, dont tous les membres,
chargés de discuter ces graves questions, se trou
vaient d'accord l'avarice. Pour juger le procès on
désigna les parties, ou pour mieux dire une seule
d'entre elles. Aussi, au lieu du rapport d'une
commission d'enquête, avons nous sous les yeux
aujourd'hui la proclamation du gouvernement pro
visoire d'une Belgique nouvelle, érigée sur les ruines
de l'union de i83o.
De quoi se plaignent les Flamands? Il serait plus
aisé d'énumérer ce dont ils ne se plaignent pas. Tout
est mauvais, détestable, odieux dans ce pauvre pays.
L'enseignement h tous ses dégrés, sous toutes ses
faces; l'administration, la justice, l'armée, la ma
rine, la diplomatie, les Chambres, la Constitution,
tout est entaché d'un vice radical. Ils ne respec
tent que le Roi, qui encore, dans leur pensée secrète,
devrait prononcer en flamand le discours du Trône.
La langue flamande, nous citons le rapport, est
devenue depuis i83o, par suite de la contusion la
plus sacrilège, l'objet de la calomnie et du mépris.
Les Flamands sont traités en vaincus. Le
gouvernement provisoire fit preuve d'ironie, d'igno
rance et d'arbitraire, en décrétant que le français
serait la langue officielle; il ajouta sa conduite
l'oppression la plus humiliante, en autorisant les
habitants des contrées flamandes se servir de leur
langue maternelle devant les tribunaux. Les signa
taires de l'arrêté du 16 novembre i83o ne connais
saient pas la Belgique flamande ils favorisaient
l'esprit de parti, etc... Le Congrès consacra ces abus,
et l'on a forcé le peuple se séparer en deux castes
qui n'ont de commun l'une avec l'autre que la terre
qu'ils habitent et les fragments d'une langue pour
le commerce journalier.
La commission part de cette base pour formuler
les propositions que nous avons (ait Connaître il y a
deux jours, et qui ont pour résultat de créer une
Belgique en partie double, acheminement naturel
vers le partage du pays en deu'x moitiés, dont la
Hollande accepterait l'une avec reconnaissance, dont
là France accepterait l'autre avec amour.
Ce serait coup sûr une folie que de prétendre
qu'il n'y a rien de fondé dans les réclamations des
Flamands. Ce qu'ils demandaient en i84o nous a
toujours paru fort admissible. Que les administra
tions locales emploient dans leurs actes la langue de
la localité rien de plus juste et de plus facile. Nous
doutons même qu'il n'en soit pas ainsi depuis long
temps. Qu'un receveur, qu'un notaire nommé dans
une commune flamande doive parler le flamand,
rien de plus juste encore et nous doutons fort qu'un
ministre s'oppose jamais, en connaissance de cause,
une exigence aussi légitime. Qu'il soit utile d'en
seigner le flamand dans les écoles, personne ne le
conteste, et ce n'est pas la faute des wallons s'ils ont
malheureusement autant de peine apprendre les
lahgues germaniques que les flamands ont de facilité
s'instruire dans les langues d'origine latine.
Pour la justice, les réclamations des pétitionnaires
méritent aussi d'être satisfaites. Mais elles peuvent
l'être sans qu'il faille introduire aucun désordre
dans notre état social et politique. De simples me
sures administratives un esprit de concession mu
tuelle, un examen éclairé, peuvent empêcher un
magistratwallon de siéger Bruges, et un procureur
du roi flamand de se trouver Vervierscomme l'a
très-bien dit M. Muller, en présence d'une popu
lation rurale qui ne comprend que le patois du pays
de Liège.
Mais le bon sens fixe ici la limite des exigences des
populations flamandes. On ne pourrait la dépasser,
sans tomber sur le champ dans le plus monstrueux
gâchis. M. Snellaert, dans son rapport, ne fait
pas autre chose. En forçant tous les Belges 5 ap
prendre le flamand, il viole tous les principes de
liberté inscrits dans [a conslitution;en parquant nos
soldats en régiments wallons et flamands, il rem
place le patriotisme par un esprit de rivalité digne
du moyen-âge. Enfin, pour donner satisfaction des
griefs qui n'existent pour la plupart que dans l'es
prit inventif des membres de la commissionil crée
pour les Flamands des privilèges inouïs, pour les
Wallons une infériorité réelle.
Il suffira aux Flamands de connaître la langue
qui a bercé leur enfance pour leur rendre les em
plois accessibles dans toute l'étendue de la Belgique,
et les Wallons seront confinés quelques provinces,
parce qu'ils ne sauront pas le flamand, c'est-à-dire,
de toutes les sciences, pour eux la plus pénible
acquérir! Osera-t-on prétendre que ce ne soit pas
la plus criante, la plus odieuse de toutes les injus
tices
M. Snellaert, dans son rapport, exalte très-haut
le mérite et la popularité de I'ioiôme néerlandais.
Le monde littéraire le tient en grande estime et
l'empereur du Japon le parle. Nous nous garderons
bien de révoquer en doute sur ce point les asser
tions du savant rapporteur. Mais le néerlandais sera-
t-il jamais dans l'avenir la langue des affaires de la
diplomatie, des transactions d'aucun genre, entre
les nations du continent? Le néerlandais peut-il être
considéré comme le véhicule de la civilisation
comme la langue du pregrès? Qu'on soit heureux de1
connaître cette langue, d'en user, de mettre profit
les facilités qu'elle donne pour en apprendre d'au
tres, que l'on fasse valoir ses mérites littéraires, sa
richesse, son harmonie, ses glorieux antécédents,
chacun le conçoit; mais la transformgr en instru
ment de tyrannie, do conquête ou de propagande,
c'est une sottise rien de plus, rien de moins et si
nous avions la plus légère fantaisie de despotisme, si
nous voulions imposer aux citoyens une contrainte
quelconque, nous dirions aux Flamands Vous
possédez un idiome qui vous met en mesure d'ac
quérir plus facilement que tout autre peuple la
connaissance des autres langues; nous vous con
seillons d'en profiler pour apprendre l'anglais
qu'on parle sur toute la surface du globe, et nous
exigeons que vous appreniez le français qui est de
venu par la force des choses la langue officielle de
votre pays.
Cettedernièreassertion serait aisément confirmée
par l'histoire. Nous avons été tour tour les vassaux
de l'Espagne, de l'Autriche et de la F'rance. Nos aïeux
ont-ils accepté de la conquête l'idiome allemand ou
espagnol Ils ont subi malgré eux l'empire de la
langue française, parce qu'elle était l'instrument
des idées qui avaient régénéré le monde, le véhicule
de la liberté, et ceux qui le nient au profit du néer
landais ou du flamand, veulent rétrograder non pas
au-delà de i85o mais au-delà de 1789.
M. Snellaert a développé, en tête de son rapport,
des considérations historiques fort singulières. A
l'en croire, la suprématie de la langue aurait été un
perpétuel brandon de discorde entre les communes
et le souverain.
Pourquoi s'arrête-t-il en si beau chemin et n'a-
joule-t-il pas la même occasion, que telle fut aussi
la cause des guerres des provinces et des communes
entre-elles, des Dampierre contre les d'Avesnes;
des Flamands contre les Brabançons, de Gand contre
Bruges et de Malines contre Anvers
Pour peu qu'on ail étudié notre histoire, pour
peu qu'on l'ait envisagée un point de vue impar
tial, au lieu de la Aravestir au profil d'un système,
on doit reconnaître que toutes nus luttes intestines
eurent pour cause des intérêts et bien rarement des
idées. Nous en pourrions citer des preuves sans
nombre, en y comprenant les causes réelles de la
grande explosion populaire du XVI* siècle, motivée
par les impôts du dixième et du vingtième denier.
Nous aimons mieux renvoyer M. Snellaert un de
ses amis, M. Coomans, qui a développé cette idée
avec un grand talent dans son histoire des com
munes flamandes p. 85, Cet écrivain flamand pro
leste avec une rare énergie contre le patriotisme
étroit qui jadis alluma tant de guerres dans notre
pays, propos d'un canal ou d'une foire ou d'un
droit d'étape ce patriotisme qui ne s'étendait pas
au-delà du clocher de la ville natale. «Il y avait,
dit-il, (page 87) moins d'entente cordiale enlYe
Gand et Bruges, qu'aujourd'hui entre Gand et
Paris, Éta il-ce la langue, M. Snellaert, qui causait
ces sentiments de haine et d'envie Point du tout.
C'était la divergence des intérêts. El ce propos
nous ne pouvons résister au plaisir de citer une
page entière de ce livre remarquable que nous en-
gageous M. Vandervoort A tirs, si toutefois il lui ar
rive de lire des ouvrages écrits en français
On vante avec raison le patriotisme de l'Angleterre,
de la Hollande, de la Franee, mais ces pays n'en sont
redevables qu'à la longue habitude d'un gouvernement
national et le même pour toutes les provinces. Re
mettez-y en vigueur les privilèges communaux et pro
vinciaux, faites-y renaître les oppositions d'intérêts, de
contrée contrée, de ville ville, et vous verrez bientôt
se renouveler toutes ces nombreuses petites guerres in
testines dont nous lisons aujourd'hui les relations avec
une pitié si dédaigneuse. Le règne du droit commun est la
condition sine qnâ non du patriotisme et de la paix pu
blique. 11 suffirait rie deux ou trois lois féodales pour
armer demain Françaisconlre Français, Hollandais contre
Hollandais. L'esprit de nationalité n'est qu'une vertu
conventionnelle; élastique de sa nature, il s'étend me
sure que se développe la loi générale. Le seul sentiment
naturel, en matière politique, est celui qui nous attache
au sol où nous sommes nés, où sont enterrés nos pa
rents et nos amis. Tout ce qui dépasse cet horizon est
pour nous une terre étrangère. On ne commence
parler sérieusement de la nationalité allemande que de
puis les guerres de l'Empire, et surtout depuis la consti
tution du Zollverein. Si la Belgique a le bonheur de
vivre encore un demi-siècle sous l'égide de la charte de
1851elle ne comptera plus deux sortes d'enfants, des
Flamands et des Wallons les rancunes héréditaires que
les deux races nourrissaient l'une contre l'autre prove
naient bien plus de la différence de leurs lois que de
celle de leur origine. Sauf la guerre de Richilde contre
Robert le Frison, le Hainaut a presque toujours vécu en
paix avec la Flandre, même quand ces provinces étaient
réunies sous un même sceptre. Les luttes de races sont
inconnues en Belgique; je doute même qu'elles aient été
aussi fréquentes dans d'autres pays que la plupart de»
historiens le prétendent.
Voilà l'opinion qu'exprimait il y a une dizaine
d'années un des défenseur» actuels du mouvement
flamand. Rien ne nous autorise a croire qu'il ait
changé d'avis, et qu'il hésite un seul instant ranger
les auteurs du rapport dont il s'agit, parmi ceux
dont les déplorables théories ressusciteraient chez
nous la guerre civile.
N'esl-il pas étrange aussi que l'on vienne en i858
protester contre l'emploi du français comme langue
officielle, quand c'est en Flandre, il y a plus de six
siècles, qu'il le devint Le plus ancien acte original
connu pour avoir été rédigé en français, est une
charte de la comtesse Jeanne de Flandre, datée do