Fraudes cléricales.
La loi électorale au conseil communal
d'Anvers.
C'est là un abus grave et qui a dû nécessaire
ment attirer l'attention du bureau de l'Association
Libérale, lequel vient d'adresser M. le Gouver
neur la protestation suivante que nous recomman
dons l'attention de nos lecteurs
Ypres, le 11 Novembre 1877.
A M. le Gouverneur de la Flandre Occidentale.
Monsieur le Gouverneur,
Un grand nombre d'administrations communales, et
entr'autres celles de Passchendaele, Bas-Warnêton,
etc., etc., au lieu de notifier les décisions de la Dépu-
tation Permanente en matière électorale, aux récla
mants, comme le prescrit l'art. 40 du code électoral, se
bornent leur donner un simple avis du résultat de la
décision, ce qui met les réclamants dans l'impossibilité
d'en apprécier lejbien jugé et d'en interjeter appel.
D'autres administrations transmettent les décisions
par un messager et y joignent un certificat de notifica
tion dont la date est en blanc, de sorte qu'il leur est loi
sible de l'antidater après coup et d'enlever ainsi aux
intéressés le délai que la loi leur accorde pour interje
ter appel.
L'abus est tel, que sur 27 résultats qui ont été portés
notre connaissance, 21 décisions n'ont pas été régu
lièrement notifiées. Nous devons protester contre cette
marche irrégulière qui vient de s'introduire dans l'ex
pédition des affaires électorales, car elle tend nous
enlever les moyens de nous défendre contre les nom
breuses fraudes qui sont sanctionnées, avec tant d'indul
gence, par la Députation Permanente. En conséquence,
M. le Gouverneur, nous considérons ces avis et notifi
cations, sans date certaine, comme nuls et inopérants
Sour faire courir le délai d'appel et nous vous prions
e vouloir bien ordonner que toutes ces décisions soient
signifiées nouveau et régulièrement dans la forme
indiquée par le code électoral.
Agréez, Monsieur le Gouverneur, l'assurance de no
tre parfaite considération.
Le Président,
HE\R1CARTON.
Le Secrétaire,
Ferd. >Ierghelynck.
Un crime horrible vient de jeter la consternation
dans la paisible commune de Rousbrugge-Harin-
ghe.
Deux petites filles ont volé chacune une bette
rave.
Suivant un usage antique et solennel les en
fants de cette commune se livrent la veille au soir
de la S' Martin, une promenade aux lanlernes.
L'un enfant portait une lanterne Vénitienne
tandis qu'une autre portait une betterave creusée
dans laquelle elle avait placé une chandelle allumée.
C'est l'envie de participer cette paisible dé
monstration en l'honneur de S* Martin,qui a poussé
ces petites filles commettre un crime sans exem
ple dans les fastes judiciaires.
La victime de cet horrible forfait est un nommé
Masson Edouard, charpentier et ex-cireur de bottes
du curé Vandenboogaerde d'ignoble mémoire.
Parmi les auteurs de ce crime, se trouve préci
sément une des petites filles,qui ne peut manquer
de devenir la victime de la vengeance cléricale.
Aussitôt que ce sinistre méfait fut parvenu aux
oreilles des agents de la force publique, ceux-ci
s'empressèrent, comme de juste, se transporter
sur le théâtre du crime, pour faire l'instruction de
celte grave affaire.
Aussi il parait qu'à force de perspicacité et de
zèle, ces agents ont réussi réunir les éléments né
cessaires pour faire traduire sous peu ces hardies
coquines de\ant la eour d'assisesde Rous-
brugge.
Le fruit sec de l'Aima Mater et ses acolytes pa
raissent être dans une jubilation indiscriptible de
voir déjà le S' Esprit l'œuvre,pour venger la mé
moire de l'illustre fuyard.
Nous avons reçu, dit te Journal de Gandle
travail que l'Association libérale et constitutionnelle
de Gand adressé au gouvernement et aux Cham
bres, pour faire voir quelles fraudes nos adver
saires se livrèht dans le but de créer des électeurs
dévoués leur Var'i-
Ce travail, très-intéressant rt très-clair débute
par les lignes suivantes
Les injustes accusations dirigées par le parti clérical
contre les libéraux, font ceux-ci un devoir de démas-
3uer l'audace et l'hypocrisie de leurs adversaires en
émontrant que la falsification des listes électorales est
l'oeuvre de ceux-là mêmes, qui osent nous en accuser.
Les tableaux qui suivent en fourniront la prouve.
Ils contiennent, par ordre alphabétique tie communes
et de noms, les personnes dont les contributions ont
été augmentées au Ier janvier 1876 en vue de leur faire
atteindre le cens électoral général pour 1878, et indi
quent la fois (1" colonne) les bases nouvelles décla
rées, puis (2" colonne) la majoration de l'impôt person
nel qui en résulte, enfin (3" colonne) le total d'impôt
ainsi atteint. Le montant des contributions payées en
1875 est inscrit en regard et permet de constater
jusqu'à quel point nos adversaires ont osé aller pour
créer des électeurs et quels sacrifices ils se sont imposés
dans ce but.
Voici comment se décomposent les déclarations nou
velles des 707 futurs électeurs il y a
148 valeurs locatives majorées
180 portes et fenêtres,
539 foyers,
53 domestiques (39) et ouvriers domestiques (14),
168 chevaux mixtes (154) ou de louage (14),
340 évaluations de mobilier (soustrait l'expertise),
d'après le quintuple de la valeur locative.
Des 147 déclarations augmentant la valeur locative,
113 coïncident avec le quintuplement de cette valeur
nouvelle en vue d'établir l'impôt frappant le mobilier,
et, preuve accablante, le futur électeur n'eût point
atteint le cens, s'il se fût borné quintupler la valeur
locative précédemment déclarée. Par cette manœuvre
l'impôt payé du chef du mobilier représente en 1876 un
capital de 151046 francs de plus qu'en 1875, et cela,
sans qu'aucune augmentation effective soit venue réel
lement accroître la base imposable.
Les foyers forment aussi l'un des éléments les plus
employés par la fraude c'est que l'impôt qui les frappe
est progressif (fr. 0-98 pour 1 fr. 3-66 pour 2 fr.
12-79 pour 3) et que son taux ne dépend pas, l'inverse
de l'impôt sur les portes et fenêtres, du chiffre de la
population. Un motif semblable explique le grand nom
bre de chevaux mixtes déclarés l'impôt. Quant aux
chevaux de louage, il suffit de remarquer, pour faire
toucher du doigt la fraude, que sur 14 déclarations de
cette nature il y en a 9 Aeltre, et que l'impôt encouru
par cette déclaration atteint fr. 19-39 (pour le cheval
fr. 12-19, pour la patente fr. 7-20).
Aucun doute ne saurait d'ailleurs subsister touchant
le caractère frauduleux des déclarations signalées dans
ces tableaux, la seule comparaison des chiffres de l'im
pôt payé en 1875 et de celui atteint en 1876 fournit un
argument sans réplique.
Un tableau résumé placé la fin, le démontre d'une
façon non moins péremptoire.
Il résulte de ce travail qu'il a été porté, la
campague, pour 1878, 707 nouveaux électeurs,
mais nous devons remarquer qu'il est loin d'être
complet aujourd'hui.
Depuis qu'il a été dressé, on nous affirme que
plus de quatre cents faux électeurs ont encore été
inscrits grâce aux déclarations in extremis. Nous
appelons sur cet état de choses l'attention de la
Députation permanente dont la haute impartialité
ne tolérera sans doute pas une fraude aussi colos
sale.
Le conseil communal d'Anvers s'est réuni et une
discussion très-intéressante a eu lieu sur la nou
velle loi électorale.
M. 1 e ministre de l'intérieur ayant écrit l'ad
ministration communale qu'il recevrait avec plaisir
communication de toutes les observations qu'elle
voudrait lui faire relativement la nouvelle loi
électorale, le collège a proposé de lui envoyer la
requête suivante, qui a été longuement discutée et
commentée.
La question est trop importante pour ne pas
publier ce document et les observations aux quelles
il a donné lieu
Le collège des Bourgmestre et Echevins
M. le Ministre de l'intérieur Bruxelles.
Monsieur le ministre,
Dans votre dépêche en date du 3 octobre dernier,
vous nous faites l'honneur de nous dire que vous rece
vrez avec plaisir les communications que nous aurions
vous faire sur l'application de la loi du 9 juillet der
nier aux élections provinciales et communales.
Si, en ce moment, nous prenons avantage de la
latitude que vous nous laissez, p'est parce que nous
avons la conviction de servir utilement l'intérêt public
en vous transmettant l'opinion du conseil communal.
Le législateur, en votant le titre 1" de la loi du 9
juillet 1877, a voulu assurer le secret du vote, garantir
l'indépendance de l'électeur et mettre fin la corruption
électorale pratiquée au moyen du billet marqué. Le
but poursuivi aurait été plus complètement atteint si
le vote par- ordre alphabétique avait été ajouté aux
mesures décrétées néanmoins nous n'hésitons pas
demander l'application, aux élections provinciales et
communales, de cette réforme hautement morale tout
incomplète qu'elle soit. Elle portera, nous en sommes
convaincus, un remède efficace de criants abus qui
ont faussé la sincérité des dernières élections. L'intro
duction de cette amélioration dans notre système élec
toral est, sans nul doute, un progrès mai quant, mais
il en reste d'autres non moins importants réaliser
encore et nous nous considérons autorisés, par votre
dépêche susdite, vous les signaler.
Ce serait, tout d'abord, de donner aux bases con
stitutives du cens une fixité telle qu'il soit hors du
pouvoir des contribuables de s'imposer leur gré ou de
laisser imposer par des tiers, de façon acquérir le
cens électoral.
L'application de ce système dans les communes
rurales de notre arrondissement engendre un véritable
trafic, qui n'est que la corruption électorale, pratiquée
sous la protection de la loi, et savamment dirigée par
de véritables agents instructeurs. Nous voyons dans
les communes rurales, par centaines, des majorations
des diverses bases de la contribution personnelle, com
binées pour atteindre le cens électoral. Une curieuse
statistique de ces faits ainsi que de la surprenante
augmentation des chevaux mixtes a été publiée. Les
manœuvres que nous indiquons sont encore générale
ment ignorées mais nous craignons qu'elles ne devien
nent un danger pour la paix publique le jour où la po
pulation urbaine se trouvera en présence des résultats
qu'elles doivent infailliblement produire. Le titre II de
la loi du 9 juillet 1877, contient contre les patentes du
tableau II, en son article 54, des dispositions excep
tionnelles, rendues tellement vexatoires par les Depu-
talions permanentes, qu'elles rendent le fonctionnement
de la loi impraticable.
Nous ne saurions reconnaître aux Députations per
manentes, qui sont juge et partie dans les œuvres
électorales qu'elles décident, l'impartialité qui constitue
le premier et l'indispensable mérite d'un juge respecté,
et nous estimons que notre système électoral restera
vicieux, aussi longtemps que ces collèges seront inves
tis du droit de statuer, en premier degré, sur les con
testations électorales. Dans notre opinion, l'intérêt
général appelle une réforme ayant pour objet d'attri
buer la connaissance des contestations électorales, en
premier ressort, des juges offrant toutes les garanties
d'impartialité.
Veuillez, Monsieur le Ministre, agréer l'assurance
de notre haute considération.
Le Collège des Bourgmestre
et Echevins,
(S.) Léopold De Wael.
Par ordonnance
Le Secrétaire,
(S.) J. De Craen.
La lecture de cette requête est accueillie par de
chaleureux applaudissements. i
M. l'échevin Van den Nest, dans un excellent dis-1
cours, fait ressortir tous les inconvénients que présenta
encore la nouvelle loi et les nombreux abus qui peul
vent se commettre et que les cléricaux cominettenll
avec une audace révoltante.
Voici entre autres quelques-uns des renseignements]
fournis par l'honorable échevin
Le motif, dit-il, qui a engagé le collège proposer
au conseil d'appeler l'attention du gouvernement sur
les lacunes du titre II, est facile saisir. Ce titre II,
qui a reçu si judicieusement le nom de titre Anversois,
a pour objet de restreindre les fi audes électorales.
Or, on n'y vise qu'une classe de contribuables, ceux
qui acquièrent le droit électoral au moyen de l'impôt
des patentes. On a subordonné l'obtention de ce droit
des conditions si sévères, que l'on peut dire aujourd'hui
que les contribuables de cette classe, qui acquièrent le
droit électoral, possèdent bien et dûment les bases de
l'impôt.
Malheureusement si le titre II est draconien envers
les patentables, il reste muet en ce qui concerne une
fraude bien plus étendue, et plus dangereuse, car elle
possède une apparence de légalité.
Je veux parler de la fabrication des faux électeurs
au moyen de la contribution personnelle, qui a pour
base la valeur locative, les portes, fenêtres, foyers et
le mobilier.
Grâce l'élasticité de cette contribution, des cen
taines d'électeurs ont été créés. Le résultat des élec
tions est faussé d'avance, et cette situation est pleine
de dangers pour le pays.