N° 1,102. Dimanche,
45e AVIVÉE.
26 Juillet 1885.
6 FRANCS PAR AN.
JOURNAL D'YPRES ET DE L'ARRONDISSEMENT.
Mons Colaerl el la loi de famine.
EXORCISME DES INSECTES
LE PROGRES
PARAISSANT LE JEUDI ET LE DIMANCHE. VIRES ACQCIR1T EUMDO.
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Ypres, le 25 Juillet 1885.
Nous sommes des menteurs et des faussai
res, dit le Journal propos de notre pancarte
de l'autre jour.
Cette réponse était prévue.
Il était facile de la donner. Il est moins ai
sé de la justifier.
Le Journal l'a essayé. Il le fallait. Mais
son article, est-il besoin de le dire, n'est qu'u
ne longue escobarderie.
Certes dit le pieux crétin Mons Co-
laert a dit que tous les blés étrangers entrent
chez nous exempts de taxes tandis que nos
produits similaires sont soumis pour leur
exportation des droits très-élevés.
Les blés d'Amérique inondent nos mar-
chés et font nos produits une concurrence
contre laquelle nos cultivateurs ne peuvent
lutter avec quelque succès
Si nos ancêtres condamnaient l'animal brutum la po
tence^ 'a fosse, être brûlé, être lapidé ils ne pou
vaient en agir de même avec les rais, avec les souris, avec
les insectes de toute espèce, tels que les chenilles, les saute
relles, lès pucerons, mais pour mettre un terme aux
méfaits ou aux dévastations de ces bêtes surnaturelles (on-
natuerlyke beesten), ils employaient un autre moyen c'était
l'exorcisme. Maintenant on fait la chasse aux rats et aux
souris: nos ancêtres les excommuniaient et les exorcisaient.
Aujourd'hui on pourvoit la destruction des chenilles
par des règlements provinciaux, sagement ordonnés, mais
très-mal exécutés. Nos ancêtres ne connaissaient pas ces
règlements, mais ils avaient un moyen qu'ils croyaient bien
plus efficace. C'était l'exorcisme.
Desessarts, avocat au Parlement et membre de plusieurs
Académies, donne, dans le Répertoire universel et raisonné
de jurisprudence civile, criminelle, canonique et bénéficiale
publié par M. Guyot, la définition suivante de l'exorcisme:
On donne le nom d'exorcisme la cérémonie que l'église
emploie pour chasser les démons du corps des personnes
qui en sont possédées, et pour soustraire l'empire du
diable les autres créatures, même inanimées, dont l'esprit
infernal abuse. (2)
D'après le Dictionnaire de Trévoux, on se servait de l'exor
cisme pour chasser les maladies des hommes et des bêtes et
pour coasser les animaux qui nuisent aux biens de la terre;
et d'après M. Thiers Traité des Superstitions), on peut
encore aujourd'hui (1732) user très-utilement de ces exor-
cismes, et conjurer les rats, les sauterelles, les chenilles,
les tempêtes mais pour cela (ajoute le Dictionnaire
susdit), il faut avoir un caractère et être approuvé de
(1) Extrait des Mélanges pour servir l'histoire des mœurs, des
usages, des faits, des hommes, de la littérature et des arts de la ille
d'Ypres et de l'ancienne Wcst-Flandre publiés par J -L -A. Diege-
rick, archiviste de la ville d'Ypres.
(2) Edition de Paris, Panckoucke, 1778, iu-8". tome 24, p. 234.
Mais jamais Mons Colaert n'a préco-
nisé comme remède au mal, l'établissement
d'un droit protectionniste.
Une minute, s'il vous plait.
Que cela se trouve textuellement dans le
résumé du discours que vous avez publié le 14
Février 1884; nous ne l'avons jamais dit, et il
n'importe.
Mais c'est l'inévitable conclusion que tous
les auditeurs du candidat-représentant ont dû
'tirer des paroles de celui-ci, étant donné sur
tout le ton du discours et le courant qui régnait
déjà dans la presse cléricale en faveur d'une
taxe sur les céréales.
Et, moins de supposer que Mops Colaert
n'ait su ce qu'il disait', il est ridicule de
prétendre qu'il ait eu en vue en ee moment les
prétendus; remèdes dont M. le Baron
Surmont de Volsberghe a entretenu le Sénat
le 18 Juin dernier.
l'Eglise; et de plus il faut se servir des oraisons et des
i paroles autorisées par l'Eglise; autrement les exorcismes
sont des superstitions très condamnables.
Nos campagnards de la West-Flandre n'y regardaient pas
de si près et voici, ami lecteur, une formule d'exorcisme
dont ils se servaient au xvir siècle contre les pucerons, les
chenilles, les sauterelles et autres insectes.
Il faut toutefois faire remarquer que celte formule est
conforme ce que dit Eveillon dans son traité de l'excom
munication. Il n'y a, dit-il, que deux manières convena-
bles d'adjurer et d'exorciser les animaux 1» en s'adres-
sant Dieu, et en le suppliant de faire cesser le mal
2* en s'adressant au démon et en lui commandant, de la
part de Dieu et en vertu de la puissance qu'il a donnée
son église, de quitter le corps des animaux ou les lieux
dont il abuse pour nuire aux hommes.
La formule suivante contient la double prescription la
prière Dieu et le commandement au démon
Ommederupsen. eertvloien, sprinchaenen enz.,
teverdryven.
t
laet oss bidden.
Heere Jesu Christe, helpt ons van dese onnatturelyke
beesten die onze vruchten commen te vernittigen, door de
hulpe van uwe heylighe moeder, die ons wilt bystant ge-
ven ende verleenen door onserv heere Jesum Christum die
met u leeft ende reegneert in de eenigheydt van den hey-
lighen Geest Godt, door aile eeuwigheydt der eeuwig-
heden. Amen.
Ick besweire ul. den duyvel der hellen door Jesum
Christum van Nasaret f als dat gy met aile uwe beesten
zult Verdwynen, ende te nitte doen aile dese onnaturelyke
beesten die dese vruchten beschadigen ende bederven. Ick
besweire ul. door God almachtig f door Godt den Zone f
door Godt den heylighen Geest f die zal commen oordee-
len levende ende doode en de weirelt door het vier.
Le document que nous venons de vous communiquer,
ami lecteur, ne ait pas si, cette formidable conjuration,
Personne ne gobera cette bourde et Mons
Colaert lui-même n'oserait la défendre.
Qui sait cependant
Mons Colaert a été élevé sinon par des
Jésuites même, tout au moins par des prêtres
qui.y tiennent du plus près. Il a été au petit
séminaire de Roulers et mieux que personne
il doit connaître cette admirable doctrine des
équivoques en vertu de laquelle il est per-
mis d'user de termes ambigus, en les faisant
entendre en un autre sens qu'on ne les en-
tend soi-même comme dit le Jésuite San-
chez, op. mor. p. 2, liv. III, Ch.VI, n° 13.
Et au besoin Mons Colaert oserait peut-
être donner sa parole d'honneur que quand il
a parlé de la crise agricole il n'a point enten
du préconiser l'établissement d'une taxe sur
les céréales étrangères.
Car ce n'est pas d'hier que Mons Colaert
est au monde et il sait tout aussi bien que
les chenilles et les sauterelles s'empressèrent1 de déguerpir,
mais nous vous prions de ne pas trop accuser nos bons cam
pagnards de superstition ou d'ignorance. L'habitude d'exor
ciser les insectes, les souris et les rats, voire même les an
guilles, les sangsues, les limaçons et les vers de toute espèce,
était générale, aussi bien en Fi ance et en Allemagne que
dans notre West-Flandre, et, si vous nous le permettez,
nous vous en apporterons quelques preuves que nous tirons
pour la plupart de l'ouvrage plusieurs fois cité du conseil
ler Cannaert.
Le sieur de l'Ancre dont nous avons parlé plus haut, nous
raconte, dans son ouvrage sur la sorcellerie fl), que saint
Guillaume, évèquede Lausane, délivra son diocèse des an
guilles et des sangsues qui l'infectaient. Saint Guillaume,
evesque de Lozane, dit-il, estant offencé par des anguilles,
il les maudit en cette façon qu'il les bannit de tout son
diocèse. B. Pruminius nettoya entièrement, par ses priè-
res, l'isle de Saint Marc près de Constance, qui estoit in-
fectée de certains vers qui mangeaient tout. Et encore en
le mesme temps, le mesme évesques chassa toutes les
sangsues venimeuses qui infectoient les saumons et tous
autr s bons poissons de son diocèse, ayant fait prononcer
sur elles les exorcismes tirés de l'Ecriture Sainte, (De
l'Ancre, pages 340 et 341. Cité par Cannaert, page 318
des Bydragen).
Cannaert signale encore le fait des habitants de Baune,
dont les vignobles étaient dévastés par une espèce de hanne
ton, et qui se rendirent Autun pour adresser l'official
une requête tendant ce qu'il voulût ordonner ces hôtes
incommodes de vider les lieux, sous peine d'excommunica
tion. On consulta dans cette affaire le célèbre jurisconsulte
François Chasseneux, qui jugea indispensable de suivre
l'égard des hannetons toutes les formes de la procédure,
c'est-à-dire l'ajournement, l'audition par procureur,
sous peine de null;té. (Cannaert, ouvrage cité, page 318).
Enfin le môme conseiller donne in extenso le jugement
(I) Tableau de l'inconstance des mauvais cinijcs el démons, cité ci»
avanl an n» t.
t